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Le petit train des gueules cassées – collectif (janvier 2015)

Couv. Petit train des Gueules Cassées

Les éditions de L’Ours Blanc sont heureuses de vous annoncer la parution,
en ce début d’année 2015, de l’ouvrage Le Petit train des gueules cassées
– recueil collectif de nouvelles réunies sous la direction éditoriale de Michel Diaz.

13 textes de Michel Diaz, James Faust, Brigitte Guilhot, Lucien Nosloj, Tristan Préal,
Sylvie Prolonge, Françoise Rachmuhl, Anne Renault, Christian Rome.
Préface de Michel Diaz qui en assuré la direction éditoriale

Prix de vente public, 12 € (220 pages)

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« Les treize textes réunis ici s’attachent à nous raconter des histoires de frères humains, des histoires de gueules cassées auxquelles nous ne pouvons rester ni insensibles ni indifférents, car toutes sont étroitement accordées à ce qu’est notre sort terrestre, celui qui simplement consiste à essayer de faire face aux maux de l’existence et à ses détours imprévus, à tenter de vivre le mieux possible, à survivre parfois malgré tout, parfois aussi à renoncer.

Noirs, ces textes le sont, sans aucun doute. Mais le noir est une couleur. Celle aussi de la nuit. Et c’est dans sa noirceur que les yeux, s’y accoutumant, arrivent peu à peu à discerner les formes qu’elle dissimulait, à les apprivoiser et à les désigner, redonnant liberté à nos mains, repères à nos pas.

Et c’est aussi du fond du noir qu’émerge la lumière. C’est encore à cela que s’appliquent ces nouvelles : porter cette clarté sur nos visages et partager ce qui, se découvrant à nos regards, y persiste opiniâtrement de jour. Car que ce soit dans le chagrin ou la douleur, dans l’inquiétude ou la poignance de leur vie, voire dans leur folie, les personnages (réels ou inventés) qui traversent ces textes ne se laissent jamais abattre du premier coup par le poids de l’épreuve. Tous, on le verra bien, ont d’abord pour projet de lutter pour survivre et de rester debout, toujours à hauteur d’homme. »

Pour donner tout son poids à ce livre, Michel Diaz a réuni neuf auteurs à la plume solide, quelques-uns auteurs confirmés, quelques autres qui ont déjà fait leurs preuves ou dont c’est la première publication. Parité (à très peu de choses) respectée, il en résulte cet ouvrage de tons et styles différents, dont la cohérence repose sur sa thématique autant que sur la force de ses textes et la qualité de leur écriture.   [Texte de 4ème de couverture]

Vous pouvez commander cet ouvrage à votre libraire ou, directement, à l’éditeur en utilisant le bon de commande proposé ci-dessous.

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Introduction – Le petit train des gueules cassées

Couv. Petit train des Gueules Cassées2

Introduction au recueil collectif de nouvelles Le petit train des gueules cassées,
Editions de L’Ours Blanc (janvier 2015)

Dissipons dès l’entrée tout malentendu, peut-être toute appréhension dans l’esprit du lecteur.
Ce recueil ne contient aucun récit de guerre, n’est consacré ni à évoquer les horreurs ni à rappeler les profonds traumatismes que l’atroce conflit, qui ouvrit dans le feu et le sang le siècle précédent, a imprimé dans la mémoire collective.
Pourtant, si cet ouvrage venait à être lu par des lecteurs trop jeunes pour ne s’être pas renseignés (ou ne pas en avoir été informés) sur les dommages que causa l’utilisation du premier matériel de guerre « moderne », il n’est pas inutile de rappeler que l’expression « gueules cassées », que l’on retrouve dans son titre, fut inventée par le colonel Picot, premier président de l’Union des blessés de la face et de la tête. Elle désignera donc les survivants de la Première Guerre mondiale ayant subi une ou plusieurs blessures au combat et affectés par des séquelles physiques graves, notamment au niveau du visage, et ne concernera d’abord que ces pauvres poilus qui, pour nombre d’entre eux, avaient reçu un éclat d’obus en pleine figure et s’en étaient trouvés dé-visagés au point d’en perdre quelquefois toute apparence humaine.

Image forte, évocatrice, irremplaçable désormais, cette expression est donc circonscrite, en son origine, à un contexte historiquement bien précis. Elle le restera durablement.
Mais la langue, on le sait, qui fait feu de tout bois, ne demande qu’à s’emparer, les détournant parfois, les connotant différemment, déplaçant leur champ sémantique, leur donnant ainsi l’occasion d’une seconde vie, des expressions qui, telles des « formules choc », parlent à notre imaginaire.

Car la vie « ordinaire », celle qui va son « petit train » à travers montagnes et vaux qui jalonnent nos paysages, ne nous épargne pas non plus. Et il faut bien l’admettre : pas toujours moins cruellement. Déchirures du cœur, plaies saignantes de l’âme, esprits blessés, vies estropiées, fracturées, mutilées, amputées, destins bouleversés, trajectoires détruites ou infléchies vers la folie, sont parfois les effets, à tous les coups dévastateurs, le plus souvent irréversibles, et quelquefois mortels, que les éclats d’obus de l’existence infligent aussi aux vivants dont nous sommes.
« Frères humains », écrit François Villon dans sa ballade, nous laissant, lui aussi, le précieux héritage de sa formule que nous sommes loin d’avoir épuisée. Formule chargée de douleur empathique, initiale d’un chant profond que nous avons heureusement récupérée, et qui contient dans ces deux mots tout le poids de la compassion que nous inspire le spectacle de la condition humaine.

Les textes réunis ici, de tons et styles différents, s’attachent à nous raconter des histoires de frères humains, des histoires de gueules cassées, parfois dès la naissance, auxquelles nous ne pouvons rester ni insensibles ni indifférents, car toutes sont étroitement accordées à ce qu’est notre sort d’humains, à notre passage en ce monde, à notre statut de vivants, celui qui simplement consiste à essayer de faire face aux maux de l’existence et à ses détours imprévus, à tenter de vivre le mieux possible, à survivre parfois malgré tout, parfois aussi à renoncer.
On nous dira, peut-être, que ce sont là des textes bien « noirs ». Mais voir « la vie en rose » relève plutôt du registre de la chanson quand elle fait vibrer les violons des amours éternelles et les cordes des grands sentiments. Pas de celui de la littérature. Qui s’efforce de bien planter ses yeux dans ceux de la réalité, ou dans ce qui parfois échappe à notre rationalité mais qui n’en existe pas moins. Ce n’est pas la petite Dame qui a chanté ces mots, les avait même écrits pour conjurer le mauvais sort jeté sur son frêle corps maladif et sa vie d’amoureuse désillusionnée, qui oserait nous démentir.

Noirs, ces textes le sont, sans aucun doute, et tout ce qui précède n’aura tout compte fait servi qu’à en annoncer la couleur. Car le noir est une couleur. Celle aussi de la nuit. Et c’est dans sa noirceur que les yeux, s’y accoutumant, arrivent peu à peu à discerner les formes qu’elle dissimulait, à les apprivoiser et à les désigner, redonnant liberté à nos mains, repères à nos pas.
Et c’est aussi du fond du noir qu’émerge parfois la lumière. Des coulisses d’un monde qu’on croit indifférent à nos misères et durablement établi sous la neige des jours.

Lumière de l’esprit, du cœur, de l’appel, quelquefois, à rejoindre la paix de l’oubli. Mais appel, avant tout, de l’irréductible nécessité de demeurer dans la clarté, trop souvent vacillante, de notre humanité.
Car c’est bien de cela dont il s’agit ici, à quoi s’appliquent ces nouvelles : porter cette clarté sur nos visages pour essuyer leur masque de pénombre et partager ce qui, se découvrant à nos regards, y persiste opiniâtrement de jour.
En fait, nous réappropriant ce terme emprunté au lexique de la croyance (à laquelle nous ne pouvons le laisser en capture – à son seul usage et profit), nous dirons qu’il y est question de « salut ». Non, bien entendu, dans le sens, religieux et métaphysique, où l’on évoque le « salut des âmes », mais dans une acception éthique, c’est-à-dire dans cet effort inviolable de l’esprit et du cœur qui, s’en remettant à eux-mêmes, tâchent d’y trouver les ressources de leur propre libération.
Car que ce soit dans le chagrin ou la douleur, dans l’inquiétude ou la poignance de leur vie, voire dans leur folie, les personnages (vrais ou inventés) qui traversent ces textes, ne se laissent jamais abattre du premier coup par le poids de l’épreuve. Tous, on le verra bien ici, ont d’abord pour projet de survivre, de se battre, ou de se débattre, mais ne peuvent le faire, ou ne consentent à le faire, qu’en se raccrochant (et parfois désespérément) à ce que les valeurs intransigeantes de l’amour offrent de plus précieux, cette attention sensible qu’on témoigne envers autrui, qui est aussi la volonté de s’éprouver dans l’autre et de s’y reconnaître.
C’est en cela que chacun d’eux, à sa manière, de manière parfois intuitive, de manière parfois résolue, et avec plus ou moins de succès, tâche de se « sauver » du tourment de ces contingences auxquelles notre sort d’humains se trouve confronté.
Mais certains personnages (de premier ou de second plan), comme coulant en eau profonde, se laissent entraîner dans la chute morale, se retrouvant alors perdus, clamans in deserto, et c’est alors du noir de leur détresse – et même en quelques cas de leur ignominie – que nous apparaît le côté le plus pathétique de leur humanité. Salauds, parfois, mais à jamais frères humains, oui, frères désespérément humains. Habitants d’un monde incendié par les feux de leur propre souffrance, n’ayant pas toujours la maîtrise des mots qui pourraient la nommer et dont même, parfois, ils n’ont pas la moindre conscience. C’est peut-être cela qu’on appelle l’enfer.

Et puis, allez, pour en finir, car il faut bien le dire enfin, histoire d’être tout à fait honnête avec les auteurs de ces textes : le lecteur ne manquera pas d’y trouver quelques plages et pages d’humour (noir ou grinçant, mordant ou quelquefois farcesque) puisque, comme chacun le sait, si « l’humour est la politesse du désespoir », il est aussi une forme de politesse à l’égard du lecteur. Comme une main tendue, un geste de complicité, une démarche nécessaire pour dédramatiser ce qui, maintenu ainsi à distance, s’allège de son poids et s’amuse à narguer ce que la vie prétend nous imposer de tyranniquement sérieux.

Michel Diaz

Brigitte Guilhot – Soluble – octobre 2014

Soluble Livre

SOLUBLE –  Editions de L’Ours blanc

Roman de Brigitte Guilhot  lu par Michel Diaz

Chronique publiée dans Chemins de traverse, N° 45, décembre 2014

L’amour est-il soluble dans le désespoir ?

La dernière fois que j’ai rencontré le poète Gérard Macé, il m’a posé cette question:
« Lisez-vous des romans ? » Je lis peu de romans, aussi n’ai-je pas hésité longtemps avant de lui répondre. « Il y a trop de mots là-dedans, vous ne trouvez pas ? » a-t-il poursuivi. Ce jugement sans appel n’était pas sans nuances pourtant. En effet, ce n’est pas la longueur d’un roman qui fait qu’il y a « trop de mots ». Un texte de quelques pages peut déjà en contenir beaucoup trop; il s’agit, bien évidemment, de toute autre chose. Il s’agit de ce que l’on fait de ces mots.

En cela, le roman de Brigitte Guilhot est un objet bien singulier. Par sa brièveté sans doute (110 pages), qui lui évite de se perdre en descriptions et digressions, mais singulier aussi par son mode de narration. Composé de six chapitres aussi rapides que nerveux, correspondant à six journées, tout entier porté par une narratrice qui s’exprime à la première personne, ce roman, que l’on peut lire comme un texte arraché au silence et écrit, semble-t-il, sur le fil du rasoir, comme « en état d’urgence », est un texte qui multiplie ellipses, raccourcis narratifs, contractions, non-dits, ruptures, pointillés, sauts d’un état de l’âme à l’autre… Dégraissé de toutes choses inutiles, il se rattache moins au genre traditionnel du roman qu’au script de cinéma ou au texte théâtral monologué que l’on envisagerait de transposer sur scène, dans sa tension dramatique et sa ferveur, sans presque rien y changer.

Si je parle d’ailleurs de « texte monologué », c’est pour mieux souligner la dimension « orale » qu’il contient. Cette parole, en effet, n’est pas celle du monologue intérieur. Retranscrite après coup par la narratrice, elle est essentiellement tournée vers un destinataire auquel elle désire que ses mots parviennent, auquel elle souhaite confier sa mémoire, lui faire, avant qu’il soit trop tard, cette confession que d’autres, peut-être, qualifieraient « d’inavouable ». « C’est pour cela, Enfant, que je décide de te confier cette histoire, pour que les flots d’amour se libèrent à travers toi au lieu de te retenir dans les filets sous-marins d’une transmission avortée. »

Objet singulier aussi, que cette « confession », parole que je serais tenté de dire écrite autant que « proférée », jetée à la volée contre les murs, envahissant l’espace en éclats et brisures, singulière offrande d’amour que ces mots transmis sous la menace de la maladie et de la mort, dans la mesure où ils ne mettent aucunement l’accent sur le développement conventionnel d’une intrigue, mais misent presque essentiellement sur des états émotionnels, sur les rapports du personnage à son environnement immédiat, au chat qui l’accompagne, au silence, aux bruits, à la vie sourde des objets, à ses états physiques et psychiques, à ses vertiges vénéneux, misent sur la montée de l’intensité dramatique qui parcourt ce texte d’un bout à l’autre, nous interdisant presque d’en interrompre le fil de la lecture que l’on voudrait faire tout d’une haleine.

Cette écriture « ramassée » tient peut-être au fait que l’auteure, qui pratique aussi le genre de la nouvelle et en connaît les codes, en emprunte les éléments qui font tout l’intérêt du genre: action centrée sur un seul événement, personnages peu nombreux, raccourcis littéraires, concentration des faits et des idées, intensité dans l’émotion, plongée brève, soudaine, profonde, dans la complexité des êtres et de la vie.

Le point de départ de l’histoire qui nous est racontée ici n’a pourtant, lui, rien de singulier. Il relève d’un schéma que la littérature (romanesque, théâtrale) ou le cinéma ont déjà maintes fois exploité et qui est celui du huis clos. La quatrième de couverture nous dit l’essentiel de ce qu’il est loisible d’imaginer avant d’aborder la lecture: « Prisonnière dans sa maison bloquée sous la neige en compagnie de son chat, une femme vient d’apprendre la mort de l’homme qu’elle a aimé avec passion. »

On pressent donc déjà que ces circonstances vont introduire une sourde menace extérieure, un tourment provoqué peut-être par les lieux mêmes où le personnage est reclus, situation propre à générer la montée d’un délire d’angoisse, d’une sorte de déraison, « la grande peur de la montagne » et de la solitude, la fièvre d’un esprit condamné à tourner en rond sur lui-même, désarroi augmenté ici par la perte de l’être aimé. Narration « ramassée » ai-je dit, elliptique, et, en effet, on ne saura jamais dans quelle région de montagne cette action se déroule, ce que Rita est venue faire dans cette maison isolée, en plein hiver, à 1780 mètres d’altitude, comme on apprendra peu de choses sur les événements qui ont provoqué sa rencontre avec son amant, le poète et récidiviste taulard Astérion, coupable d’on ne sait quoi, mort dans des circonstances dont on ne saura jamais rien non plus (et dont on doutera même qu’il est vraiment mort). Mais ce texte se démarque aussi de ceux auxquels nous pouvons faire d’abord référence par le parcours particulier que le personnage de Rita, la narratrice, accomplit en elle-même et qui débouche sur ce que l’on peut appeler une « révélation ».

Mais avant d’effleurer cet aspect du roman, qui en constitue la « clé de voûte » et la finalité, il convient d’évoquer le climat dans lequel nous plonge l’auteure. Ce ne sera pas trop déflorer l’histoire que de dire qu’Astérion le poète dont Rita est éperdument amoureuse fait une soudaine et imprévisible apparition dans la maison, forteresse ou blockhaus, surgissant du néant, au moment du petit déjeuner, sous la « forme » d’une voix entendue à la radio, puis s’installe dans les lieux qu’il investit sous l’aspect d’une mouche. C’est ce dont, en tout cas, Rita semble persuadée. Et ce dont l’auteure finit par nous persuader aussi. L’anima d’Astérion, ainsi réincarnée, n’en devient pas moins cependant une présence entêtante et persécutrice. Ce ton de dérision, qui flirte avec le fantastique ou, en tout cas, avec l’irrationnel, est celui même d’un récit qui nous entraîne dans les coulisses de nos délires, dans les plis et détours d’une conscience qui semble perdre les repères du réel, s’abandonner à une forme de folie, s’aventurer dans un labyrinthe d’émotions et de réflexions où elle trouvera le fil d’Ariane qui lui permettra d’émerger au jour autre qu’elle n’y était entrée, comme régénérée, lavée de ses douleurs et libre d’elle-même. Cheminement ardu et non exempt de souffrance, de reddition et de révolte conjuguées, car il nous est permis de comprendre qu’Astérion, amant de chair, homme de mots, être complexe à l’esprit torturé, n’aura jamais été peut-être pour Rita qu’une relation essentielle et insaisissable, une présence-absence, obsédante et « persécutrice », oui, et on aurait envie d’écrire un « pervers narcissique », usant et abusant de ses pouvoirs de séduction pour mieux maintenir l’autre dans sa soumission. Le récit tout entier sera donc traversé de ce double mouvement, contradiction terrible de l’esprit, déchirement du cœur, qui consistera autant, pour Rita, à essayer de conserver ce qui persiste en elle d’amour passionnel qu’à apprendre à haïr (et peut-être à tuer) pour mieux s’en libérer. Mais « on ne revient que brisé d’un amour d’une telle puissance. » Car l’amour fou, on le sait bien, ne peut être que destructeur, qui pose sur la bouche des amants le baiser de la mort.

Je parlais plus haut de « révélation », ne trouvant pas de terme plus approprié pour désigner ce qui, au terme de l’épreuve, après qu’elle a coulé dans les fonds de soi-même, se présente à Rita au détour de sa nuit comme un recommencement de lumière. Mais il lui faudra d’abord traverser l’expérience, insoutenable de douleur, où le temps se contracte et où, dans le miroir, face à face avec elle, lui apparaîtra son visage défiguré par les affres de la vieillesse.« J’ai baissé mon regard sur mes jambes nues dont je voyais pendre la peau. Mes cuisses blêmes et couperosées s’affaissaient comme mes seins que je n’osais pas regarder et dont je sentais le poids sur mon ventre distendu. » Ce seront là les ultimes salves de la vengeance dont usera « l’esprit » possessif d’Astérion, sa présence spectrale désireuse encore de s’accaparer de la morte- vivante, décharnée, mutilée, tondue et titubante, qu’il ne peut se résoudre à abandonner au-delà de sa propre mort. Combat sauvage. Il ne reste à Rita, pour retrouver un peu de lumière et d’air pur, qu’à s’attaquer, usant de ses dernières forces, aux murs de neige qui bloquent portes et fenêtres, c’est-à-dire aux derniers remparts au-delà desquels, elle le sait, la vie existe encore. Cela suffira-t-il à mettre fin à la séquestration de son corps et de sa pensée, à ce qui s’apparente à une agonie convulsive ?… « Des images et des voix me parvenaient d’un ailleurs dont je ne percevais ni les limites ni la consistance… Je tremblais des pieds à la tête et pourtant je n’avais plus peur. Des ombres se penchaient sur moi avec une immense empathie… C’est alors que je fus transpercée par le Faisceau de la Connaissance et que me parvint l’Illumination. […] Des litres d’eau et de sang transpiraient de ma peau. »

Je ne dirai rien de la fin du roman que l’auteure, nouvelliste aussi, je l’ai dit plus haut, nous ménage sous forme de chute. Il n’en reste pas moins à dire, qu’en lisant ces derniers chapitres, on ne peut s’empêcher de penser, à propos de Rita (Sainte Rita ?), à cette série de femmes en extase qu’a dessinées Ernest Pignon-Ernest sur lequel le vers de Gérard de Nerval, les soupirs de la sainte et les cris de la fée, a eu une résonnance particulière. Y voyant une référence à Thérèse d’Avila et à la sibylle de Cumes, il a aussi relu le Cantique des cantiques et s’est lancé dans la représentation de femmes en état de « grâce mystique », frappé par le mélange qu’elles offrent, dans leurs écrits, de sensualité exacerbée et de désir de désincarnation. Ce sont ainsi, outre Sainte Thérèse, les corps de Marie-Madeleine, de Marie de l’Incarnation ou de Catherine de Sienne qu’il nous donne à contempler. Corps tordus, décharnés par les privations, le manque de sommeil, l’élan vers le divin, « suant des litres d’eau et de sang », déformés par ce qui s’entremêle de pulsion sexuelle et de douleur physique.

On imagine bien, dans cette partie du roman où le corps de Rita se déchire dans ce combat contre elle-même, Ernest Pignon-Ernest la surprenant pour en dessiner ce qui, du personnage, se dissout dans les contorsions de l’extase amoureuse et les soubresauts de la lutte.

On trouvera, dans Soluble, ce mélange de « mots d’amour et de cruauté » portés à un degré d’incandescence qui nous fait dire encore que ce texte, dans sa brièveté, sûrement même grâce à elle, contient le condensé de la passion humaine.

Michel Diaz.

Chronique publiée dans CHEMINS DE TRAVERSE N° 45 – déc. 2014

Cristaux de nuit – Michel Diaz (avril 2013)

 

Quatrième de couverture :

      Le thème qui rassemble les textes réunis ici est celui de la langue même, son désir de traduire en mots ce qu’il faut arracher au silence. « Toute parole tue est reposoir d’obscurité », écrit l’auteur dans sa préface en citant René Char. Ainsi, les pages consacrées au fleuve nous ouvrent un imaginaire poétique où la parole nous invite à questionner l’apparence du monde, à écouter au fond de nous le murmure des mots d’avant toute parole et le temps d’avant toute mémoire. Cette parole s’essayant encore, en d’autres pages, à épouser le mouvement de la pensée dans les tâtonnements de l’acte poétique, les vertiges de son errance, nous entraîne dans les dédales de son cheminement, au bord de l’indicible même où toute langue se dissout, tout langage s’effondre.

Poésie qui questionne et qui se questionne, cette démarche est celle d’un poète dont l’écriture, qui peut être solaire ou plus sombre, lyrique et sobre tour à tour, s’attache à cerner l’essentiel de ce que lui ouvre sa quête.

Extrait du recueil :

 Il y a dans le cœur de terribles labours

pareils à ceux de la tempête acharnés sur la mer

il y a tant de sang confus au fond  des yeux

que les jambes parfois titubent sur la route

 

où sont les mains tant espérées

si douces à la nuque aux hanches si brûlantes ?

les mots tressés

comme des lianes à la branche des jours ?

les jours peuplés de feuilles

et les feuilles de nids ?

 

les heures vont pourtant

creusant leurs traces de glacier

le gris du ciel grince aux lucarnes

chaque aube doit lutter contre un nœud de nuages

 

où aller cependant

malgré les certitudes qui s’effondrent ?

sinon vers moins d’impatience moins de harcèlement

moins de cris discordants au bord des puits stériles

au fond desquels veillent les monstres ?

où sont les mains tant espérées ?

 

qu’espérer d’autre que des yeux

aptes à déchiffrer la pluie

des paumes transparentes au soleil

un battement de cœur qui se satisfait d’exister ?

 

il faudrait tout bas épeler

la nuit et l’eau qui se donne

la respiration de la lampe

le chat qui dort le chien qui rêve

la paisible araignée qui tisse le silence

où sont les mains tant espérées ?

 

l’ombre qui me regarde s’accoude à la fenêtre

y découpe la face du ciel

y imprime l’haleine de l’hiver finissant

 

brûlante note de hautbois

le cri d’une effraie troue

la vitre comme une étoile

 

il y a dans le cœur de terribles labours

il y a tant de sang confus au fond des yeux

mais dites-moi :

où sont les mains tant espérées ?

Cristaux de nuit - Couv 001