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Entrefaits et le Quatuor d’Arnal

Quatuor d’Arnal

LES ENTREFAITS

En un jeu qui d’ailleurs n’en est pas un, quatre écrivains – Michel Diaz, Jean-Claude Tardif, Yves Arauxo et Jean-Pierre Otte – se réunissent en quatuor pour composer des poèmes. L’aventure est collective, composite, alternative. Le premier – ils sont premiers à tour de rôle – propose une ligne de départ. Les autres prennent le relais, ajoutent leur ligne chacun à leur tour, en toute connaissance de cause et en tenant compte des lignes précédentes (au contraire du cadavre exquis surréaliste), sans que l’action d’écrire se fasse pour, contre ou avec les autres, mais uniquement en faveur du poème composé au fur et à mesure.

Par leurs apports successifs, ils créent un esprit ou un esprit se crée de lui-même, esprit impersonnel dont chacun participe, et qui semble acquérir une sorte d’autonomie ou d’autarcie, ayant sa propre vie, ses facultés inventives, sa libre spontanéité.

Ce sont des entrefaits, du verbe entre-faire, se faire l’un l’autre, fertilité dans l’intervalle.

Jean-Pierre Otte

Ces six poèmes sont extraits de « Les entrefaits » du Quatuor dArnal à paraître cet automne À l’Index :

J’emprunte le silence comme une voie profonde,

Un chemin creux sous une cascade de mots.

Soudain le temps nous impose ses rives

Et l’esprit, lentement, sollicite ses rêves.

Le mieux qu’on puisse faire est de suspendre son souffle

Et parier qu’on progresse dans l’étoilement taciturne

Des nuits qui se vendent à l’encan,

Des jours qui sont dans une paresse de lumière,

Et auxquels il faudrait rendre leur cœur convulsif.

Il est une extase de la pure présence

Qui serpente entre l’ailleurs et l’indicible

Et n’a de commune mesure avec rien.

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Depuis que la vacuité est en vase clos,

Nul ne peut plus voir Dieu ni même le prier.

Au travail du néant s’adosse le loisir du sens.

La parole trébuche dans un dernier murmure.

Tout à coup, on se retrouve excentré,

Réduit au plus succinct du cœur.

Ici est partout quand on ferme les yeux.

La mémoire n’est plus à l’arrière des paupières

Mais au-dedans de soi, un marécage magnifique,

Bien plus beau que tout ce qui ne peut s’atteindre.

La conscience s’élargit à sa propre mesure.

Les migrateurs y passent indifférents.

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Apparut un homme qui n’était fait que de vitres

Et disait qu’il était en tous points transparent.

Au bras de sa femme en miroirs déformants,

Il avançait comme on se précipite

Dans les clartés et reflets d’une fête foraine,

Qui ne donnaient aucune preuve de son existence.

Aussi souffrait-il d’un manque de reconnaissance,

De la légèreté de ceux qui le croisaient,

Et du mépris de ceux qu’il ne croisait point.
«Ah! ÊTRE, ÊTRE enfin sous un simple regard !»

Mais la lumière est changeante et fait naître

Tant de variations dans l’invariable instant.

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Quel bel avenir derrière nous,

Et devant, quelles ruines à rebâtir !

Faut-il marcher à reculons pour retrouver un horizon ?

Ou simplement s’asseoir et le regarder passer?

C’est une question de savoir-faire, de savoir-vivre.

Mais faire et vivre exigent le bon mode d’emploi

Que chaque enfant s’empresse d’oublier en grandissant.

À moins qu’il ne le cache au fond de ses poches

Ou dans le petit pays qu’il porte sous ses paupières

Et gardera pour lui derrière ses blessures.

Celui qui érige le jeu en principe de sa méthode

Ne peut pas ignorer que les dés sont pipés.

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Dans l’absence, il y a des lieux inconnaissables

Qui donnent le vertige comme les prisons de Piranèse.

Pline l’Ancien les évoquait déjà

Dans les plis et les replis de son histoire naturelle.

Ce sont des lieux perpétuels sur lesquels on suppute

La valeur de nos rêveries passagères,

Où le centre n’est qu’une périphérie

À partir de laquelle prendre enfin la tangente.

On n’y échappe que par les bas-fonds du sommeil

Où communiquent les espaces de toute nature,

Où le dernier des regards

S’accroche aux canevas de l’inconnaissable.

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Dans l’obscurité, une odeur de femme

Révèle une présence insaisissable,

Un rêve que l’on ne peut que caresser

Ou une légende pour les temps futurs.

Pourtant, cette odeur dans l’obscur a un corps

Qui habite la nuit pour dire la clarté

Et le silence pour prononcer un souffle

Léger et parfumé de lys martagon.

Que vienne charnellement un jour où,

Nourris de ce souffle et de cette clarté,

Nous puissions accoster à l’horizon des sens,

Nos mains nues modelant enfin ce corps révélé.

Traverser l’obscur – Jean-Pierre Boulic

Traverser l’obscur

Michel DIAZ

préface de Jean-Louis Bernard

Éditions Musimot (2024) – 98p

Note de lecture de Jean-Pierre Boulic, à paraître dans un prochain numéro d’Arpa.

Au fil des lectures que proposent les recueils de Michel Diaz, une constante s’impose : l’errance – qu’il sait être le réel propre à chaque humain mais où la patience en est le prix inestimable. Mais alors de quelle sente initiatique peut-il être question, lorsque dans le nouvel ouvrage Traverser l’obscur que le poète vient offrir à ses lecteurs, il observe que « on rôde/égarés en nous-mêmes » avec « toute cette douleur/qui a fait notre histoire » ? Seraient-ce là les ténèbres de l’errance (« nous ne serons jamais que nos ombres ») comme peuvent le laisser entendre ces « Leçons de ténèbres », titre de la partie initiale du livre ?

La crainte de l’abrupt d’un monde sombre que nous observons chez Michel Diaz se matérialise dans les thèmes liés à la solitude, l’abandon, la souffrance, voire l’insondable. Et rien ne nous interdit de faire un rapprochement avec ces autres « Leçons de ténèbres » que le compositeur François Couperin (1668-1733) laisse surgir des lamentations du prophète biblique déplorant la destruction de Jérusalem… La comparaison – peut-être audacieuse – ne paraît nullement déplacée : personne n’échappe au tragique qui traverse l’existence.

Mais qu’en sera-t-il des temps à venir si « nos souffles/enchaînés à leur roue de supplice » devaient en être définitivement le signe ou la fatalité ? L’approche qu’en fait Jean-Louis Bernard, en préfaçant l’ouvrage, incite à demeurer vigilant : « Il n’y a pas de fin à cette errance-là […]. Et donc, au fond, l’énigme que nous recherchons en cette errance, ne serait-elle pas l’errance elle-même, et sa disponibilité à l’imprévisible ? » Nous pourrions ajouter l’impossible si l’on suit le poète face « au mystère insondable de l’univers ».

« Comme une porte au vent » ouvre la deuxième partie du recueil, demande « où trouver le lieu du passage » quand on a « la nuit dans la poitrine ». Le poème donne à découvrir ici, dans sa prose ample, une voie possible quand il confie : « la caravane indigente des rêves t’enseigna peu à peu à pétrir le pain de ta parole – qui avait goût de cendre, la soupe de tes soirs la lenteur du silence et des larmes… ». Jean Sulivan déclarait que l’on écrit pour se sauver du monde. Alors, comment guérir par l’écriture, a fortiori par le langage poétique, à un moment où l’on se heurte aux affres de la consommation et de la violence ?

Mais la parole de poésie – son espace – est seulement un lieu – celui du réel refondé, celui de la relation intime où existe ce qui fait vivre en vérité : « je vous écris d’un lieu/où il y encore – on ne sait/pour combien de temps -/ des arbres sur la terre/et de l’air dans les feuilles/du feu dans les nuages/et de l’eau dans le ciel ». Le poète sait voir et partager. La parole du poème ne croit pas à la vacuité de l’univers. Michel Diaz le révèle dans cette troisième partie, « L’ombre dissout les pierres », placée sous les augures d’Henri Meschonnic affirmant que « la lumière vient toujours après le noir », en attente d’une « bouffée d’éternité » relève Michel Diaz.

La quatrième séquence de l’ouvrage est une puissante méditation sur l’ « Être là » qui est finalement l’attitude conditionnant la réussite (le bonheur ?) de toute destinée humaine, véritable aventure qu’il faut considérer comme telle, même « en compagnie de la mélancolie » car il y a sûrement à rencontrer et accueillir ces « instants d’une lumière/dont la grâce soudain accordée/refait le commencement/du monde ». Instants de silence pur, dit le poète, qui laissent découvrir l’« incandescence/d’une simple fleur/sur laquelle descend butiner/un fragile rayon de soleil ».

Ce recueil, sous le bel écrin de l’éditeur, est partage d’une aventure et incitation à la quête du vivant, y compris dans ses méandres, et surtout comme un levain dans le monde « en état de perpétuelle naissance ».

Jean-Pierre Boulic (juillet 2024)

Traverser l’obscur

Michel Diaz

Traverser l’obscur

Editions Musimot (juin 2024)

Les Éditions Musimot ont le plaisir de vous présenter « Traverser l’obscur » de Michel Diaz. A découvrir avec possibilité de précommande sur : https://www.musimot.com/…/m-a-z/traverser-l-obscur.html Sortie prévue le 15 juin 2024

« Rien ne m’est sûr que la chose incertaine » disait maître François Villon ; et donc, si le chemin poétique de Michel Diaz n’est pavé que d’incertitudes, ainsi qu’il le dit lui-même, c’est qu’il sait bien qu’écrire est une affaire de devenir et touche en conséquence, quasiment par définition, à l’inachevé. Et finalement, nous égarons-nous en chemin, ou bien le chemin n’est-il que l’égarement lui-même ? Se perdre n’est-il pas le meilleur moyen de parvenir là où on ne se savait pas capable d’aller ? »

Extrait de la préface de Jean-Louis Bernard

Préface de Jean-Louis Bernard
Couverture et illustrations : photographies © Marie-Pierre Forrat
Traverser l’obscur — © Éditions Musimot / 2024 ( à paraïtre )
14 cm X 18 cm / 98 pages — ISBN 979-10-90536-58-6 — Prix 18 €