Archives de catégorie : Revue de Presse

Fêlure : C’est si beau, c’est si vrai…

Chronique publiée sur le site des éditions Musimot (janv. 2017)

FÊLURE, lu par Claire Dethomas-Demange

C’est si beau, c’est si vrai…

Sur le site de Michel Diaz, on lit que son travail d’écriture est conduit par « le désir de trouer cette « part d’inconnu » qui s’ouvre devant soi, d’explorer l’être humain au plus intime de lui-même, ses aspects les plus ténébreux, tout en gardant les yeux ouverts sans s’embarrasser de s’enfoncer parfois dans des impasses ».
Son dernier recueil Fêlure nous raconte cette exploration. Ou plus précisément comme le suggère l’épigraphe :
« Le chemin pris parmi Choisi ? Consenti plutôt. Vertige de cela 
Vertige
Que mourir apaisera. »
Alain Guillard
Le ton et la trame sont donnés. Nous comprenons qu’il n’y aura pas de choix à faire.
D’abord parce que ce chemin commence un 21 décembre, à l’orée de l’hiver, et dans la solitude. Le poète-narrareur écrit : « Ces longs flocons qui tombent, je suis seul à pouvoir les entendre », sans la dispersion qu’un autre pourrait apporter. Le chemin sera froid et blanc. On en pressent l’opacité, pré-figurative d’impasse.
Aussi parce que l’alternative est un pari impossible, qui tiendrait du miracle : le 5 janvier, on peut lire : « Pour se sentir vivant, il faudrait convoquer ce miracle : être là, sans parole, pas trop en avant de soi et pas trop en arrière non plus,mais juste en équilibre sur la ligne de crête du souffle […] Libre de toute attente et de toute désespérance ». Même ce qui pourrait rassurer et freiner la descente vers le vide — le bol de café fumant qui « restitue au monde ce foyer de chaleur dont le cœur toujours s’alimente » et brûle les deux paumes qui l’enserrent lit-on le 5 janvier — participe et contribue à la douleur d’être.

Ce cheminement est donc aride et au fil du temps qui passe, du début de l’hiver, le 21 décembre jusque au début du printemps, le 26 mars, tout espoir se consume. Le 11 mars le poète constate : « on ne peut avancer qu’en brûlant ce que l’on a jadis aimé, qu’en détruisant, l’un après l’autre, ses anciens visages ». Mais il n’y aura pas la possibilité d’un nouveau visage, car au tout début du printemps, le 26 mars le narrateur écrit : « Ce sera l’un de ces jours tristes où le crépuscule sera sans visage » où il regardera « le sang glisser sur (ses) poignets pour inonder (ses) paumes […] Sang qui n’est que le prix de la cendre ». Un sang qui n’est pas sève, sang sans vie, sans printemps. Pourtant le poète espérait le 25 mars « qu’enfin s’ouvre une porte ».
Ironie d’un printemps où la vie s’enfuira lentement par la bouche du lavabo.
Il ne s’agit pas d’une tragédie car la mort était attendue, inévitable. Le 11 mars, le poète dit clairement : « je ne suis que nuit pour moi-même » et s’il avance ce n’est que selon la logique de «l’Ange de la Mort », toujours dans la douleur, « sur la roue de souffrance » — 25 mars —, « dans la douleur d’être » — 2 février —, toujours sur la corde raide « en danseur de corde, au-dessus de l’abîme et d’un centre vertigineux ».
Il n’y a donc pas de choix à faire. La fêlure est trop profonde, avec son corollaire le doute «s’insinuant profond pour me persécuter ». Elle est trop enkystée. Enfant déjà, le poète était «serré contre les bouées noires de l’angoisse ». La fêlure déjà le submergeait, devenait « liquide visqueux l’emprisonnant comme un oiseau mort », préfigurant l’adulte lui aussi « blotti dans le silence et recroquevillé » cédant à la nuit qui ira s’épaississant, prolongeant la métaphore du liquide visqueux. La seule issue possible étant bien celle du sang, de la vie s’enfuyant par la bouche du lavabo. Il y aura alors enfin possibilité de fluidité. Le sang, la vie vont glisser hors de lui, libération ultime. Avec cela en plus : cette prise de conscience lorsque on abandonne ce qui nous interpelle encore.
Michel Diaz saisit ce moment précis où la vie s’enfuit avec une précision et une finesse d’écriture fulgurante et romantique à la fois. 21 mars : « Je la regarderai glisser […] avec l’intérêt que l’on porte, quand on a perdu l’usage des mots, à ce qui, sur le bord des lèvres, réclame encore qu’on le nomme. Seulement déchiré par ce sentiment de légèreté que nous donne ce qui nous quitte». Le balancement de ces deux phrases repose sur la subtile évocation du paradoxe psychologique au cœur de nos vies et de nous- mêmes : le désir d’un au-delà malheureusement inconcevable dans le hic et nunc. Cette évocation sera sublimée par la formulation délicate et exquise consacrée au moment précis de l’adieu à la vie : « En cette heure qui sonne, où le pas fait défaut sous les jambes et où toute fleur s’abandonne. Où l’amour même au revers de toute lumière, a fini, sans regret, d’effeuiller les pétales de sa dernière lampe ».

C’est beau à en pleurer et si ce cheminement dans la désespérance conduit irrémédiablement à la mort, s’il est inévitable pour l’auteur de « renoncer à avancer, ici, sous le ciel nu », l’écriture du recueil est empreinte d’une telle intensité d’émotion et de réflexion,— « Quel Dédale a conçu cet espace où veille un Minotaure qui ne trouve jamais le sommeil » 8 février —, d’une telle inébranlable lucidité — « Et toujours au fond de l’orchestre, on entend les mâchoires qui mastiquent la partition, les dents qui mordent dans la chair des heures » 8 février —, d’un tel respect pour la nature et paradoxalement pour la vie tout court, le 2 janvier l’auteur met en exergue le miracle de la nature —, que le lecteur refuse d’admettre la fêlure et voudrait retenir la nuit. C’est si beau, c’est si vrai, si logique que cela en est inacceptable… et que l’on voudrait crier au poète, pour le convaincre de ne pas nous quitter, de passer du conditionnel au futur et d’affirmer : « Il voudra vivre simplement, comme un soir de septembre, quand il vente dehors et qu’on entend les fruits tomber dans l’herbe. »
Mais cela est impossible.

 J’ai reçu la vie comme une blessure et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice ». Lautréamont

Claire Desthomas Demange

Fêlure: L’Iresuthe n° 39 (janv. 2017)

Fêlure
FÊLURE de Michel Diaz, lu par Jean-Claude Vallejo

Chronique publiée dans le n° 39 de L’Iresuthe

Éditions Musimot, lieu-dit Veneyres 43370 Cussac sur Loire Site : musimot.e-monsite.com

Sous la forme d’un journal, qui va du 21 décembre au 26 mars, sans spécification des années, le poète-narrateur s’enfonce dans un hiver intime, tous les sens en alerte, en une attraction vertigineuse aux bords du monde, de la matière et du temps « juste en équilibre sur la ligne de crête du souffle ». Il avance, par paliers dans l’obscur de la nuit et de l’enfermement, tout à l’écoute de la blancheur inquiétante telle celle de « ces longs flocons qui tombent ». Entre les faits du quotidien, le bol du matin, et « l’archaïque mémoire », il tente de dire l’invisible, de voir l’inaudible, d’entendre l’indicible… Mais peut-on remettre de l’ordre dans ce qui n’en peut avoir ? Quelle « digue » construire face à « l’incohérence du monde et de son absurde déferlement » ?

Quel labyrinthe se hasarde-t-il à explorer, guetté par quel minotaure au lourd halètement, et hanté par les bruits du « mufle qui s’abreuve à l’auge de la douleur des hommes » ?

Douleur d’habiter son corps, d’habiter le monde, « douleur d’être », rêve de délivrance. Détresse de l’égarement. Remontée du souvenir pour plonger dans l’oubli. « Tentative infinie pour figurer sur une belle scène d’où nous efface en un instant la chute du rideau. »

Il interroge ce que c’est que vivre, « se sentir vivant », en de magnifiques proses poétiques, puissamment entêtantes, jusque au choc extrême de la fin, totalement suffocant. Impressionnant. Ultime fêlure, brisure, ou coupure, « au-delà de l’espoir », dit la 4e de couverture, oui sans doute, mais surtout, je pense, « au-delà du désespoir ». Et j’ajouterais volontiers cette question : « et après le désespoir ? … » Tout un hiver dans les tréfonds de l’indicible pour se retrouver, sur « le blanc de l’émail », au seuil de quel printemps ?…

Jean-Claude Vallejo

À propos de Michel Diaz

(À partir de sa notice biographique)

Né en Algérie, il vit à Tours où il a enseigné la littérature et l’art dramatique. Il s’est essayé très tôt à la poésie. Mais passionné aussi par le théâtre, et soucieux d’explorer de nouvelles formes dramaturgiques, il a écrit une douzaine de pièces (…) Parallèlement, sa démarche poétique l’a toujours conduit à se confronter, avec exigence, à la matière du langage et au mystère de la page blanche pour tenter de trouer cette part d’inconnu qui s’ouvre devant soi, de saisir l’être au plus intime de lui-même, de poursuivre ce qui, du réel, pourtant là, constamment se dérobe et que seule la poésie a pouvoir d’exprimer. Il est actuellement directeur de la « collection nouvelles » aux Éditions L’Ours Blanc. Sa bibliographie, débutée en 1975, comporte nombre d’ouvrages de poésie, de livres d’artistes, de pièces pour le théâtre, d’essais, de nouvelles. Il publie régulièrement dans L’Iresuthe.
Le Cœur endurantVient de paraître aux éditions de L’Ours Blanc, Le Cœur endurant de Michel Diaz
Recueil de poésies 98 pages, 10 euros en souscription (12 euros prix public) Illustrations : Jeannine Diaz-Aznar
« Il n’est d’ineffaçable que le sang du rêve au verso du sommeil il n’y a encore que la flamme impassible du temps et la braise hagarde des mots pour obséder la nuit » (extraits du recueil)
L’Ours blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe 75013 Paris

La Nouvelle République – 02 déc. 2015 – Expo/dédicaces

expo Alain Plouvier - 2

Michel Diaz et Alain Plouvier – Photo : NR.

Alain Plouvier privilégie souvent, dans ses œuvres, la ligne, le trait. Qu’il soit droit ou sinueux, libre sur la toile, ou enfermé dans un cadre, il le décline à l’envi. Ses dernières toiles révèlent, une fois de plus, son talent dans la recherche des archétypes, des lettres d’un alphabet universel. On pourra le (re) découvrir à l’occasion d’une nouvelle exposition. Ou de l’ouvrage que vient de lui consacrer Michel Diaz (« Archéologie d’un imaginaire un peintre : Alain Plouvier ») et que ce dernier dédicacera ce week-end dans l’atelier d’Alain Plouvier à Chédigny.

« J’ai travaillé sur l’esprit de ses œuvres en essayant de comprendre ce qu’elles voulaient nous dire », explique Michel Diaz. Auteur de pièces de théâtre, de poésie, d’études sur des artistes, photographes ou peintres  (Thierry Cardon, Laurent Dubois, Pierres Fuentes, Rieja Van Aart, Laurent Bouro), il a découvert la peinture d’Alain Plouvier, il y a quelques années et, attiré par sa minutie, les formes, l’imaginaire déployé dans ses tableaux, a décidé de consacrer son dernier ouvrage à l’artiste de Chédigny (*). « C’est un monde riche de symboles. Ce symbolisme universel peut permettre de comprendre le monde, en tout cas de nous y inscrire en réveillant en nous les signes d’une mémoire millénaire. Ces signes sont ceux de toutes les cultures, de tous les temps. » L’écrivain précise que dans son livre il se « place dans la situation de quelqu’un qui aborderait cette peinture sans la connaître et qui trouverait peu à peu, l’explorant, des chemins d’interprétation ».

(*) « Archéologie d’un imaginaire un peintre : Alain Plouvier » éditions La Simarre & Christian Pirat. 132 pages, 40 €

Atelier Alain Plouvier, 13, rue du Lavoir à Chédigny.
Samedi 5 et 6 décembre de 11 h à 19 h : exposition et dédicace de Michel Diaz.
Dimanche 6 décembre, à 16 h concert Jean-Luc Cappozzo.
12 et 13 décembre exposition et dédicace 15 à 19 h,
à la galerie Sanaga, 99, rue de la Scellerie à Tours.

La Nouvelle République – 26 mars 2015 : Le Printemps des poètes à Mosny

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Article publié dans « La Nouvelle République », jeudi 26 mars 2015.

« ARBRE, VIEIL ARBRE » EN TEXTES ET DESSINS

Au château de Mosny, à Saint-Martin-le-Beau, une exposition peu ordinaire est encore visible jusqu’au 28 mars: un livre d’artiste écrit par Michel Diaz et illustré  par Setsuko Uno.

L’écrivain, sollicité par l’éditeur-poète Alain Freixe pour créer ce livre d’artiste à série limitée, a écrit un texte sur un arbre, « Arbre, vieil arbre ». Connaissant le talent de Setsuko, il lui a demandé de l’illustrer. Ce livre devait être édité en 21 exemplaires. Setsuko a illustré 21 fois ce même texte par des dessins différents, créant ainsi chaque livre de manière unique. Ce sont 14 de ces 21 variations qui sont exposées à Mosny, dans le cadre du Printemps des poètes.

Mais l’exposition ne s’arrête pas là: les Saisons d’ars Mosny présentent, avec ces variations, un volume d’art qui réunit tous les exemplaires des dessins de Setsuko pour lesquels Michel Diaz a récrit 21 textes. Auteur et dessinatrice se renvoient ainsi l’un à l’autre. Ils ont fait appel au talent de photographe de Pierre Fuentes qui a conçu la maquette de l’ouvrage.

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Vieil arbre tourmenté

Michel Diaz est subjugué par les œuvres de Setsuko exécutées à la pierre noire: « Ses arbres semblent hantés, ils sont présences fantomatiques, refuges inquiétants pour on ne sait quels esprits invisibles. Setsuko a fait sien le thème du vieil arbre: troncs contournées, branches noueuses, racines tourmentées, apparitions venues de quelque forêt maléfique. Elle nous en montre l’aspect pathétique, nous replongeant aussi par là dans l’atmosphère étrange et menaçante des forêts et des bois qui peuplent les vieux contes, rejoignant une symbolique aussi vieille que la mémoire. Ce travail nous renvoie à nos vieilles hantises, mais nous interroge aussi sur notre rapport à la nature et au temps, sur notre rapport au monde, éphémère pour ce qui concerne notre condition mais défiant le temps pour ce qui concerne les forces profondes de la nature. » 

Dessinatrice et écrivain étaient présents, dimanche, pour commenter leurs œuvres. Setsuko a fait une démonstration du travail à la pierre noire et expliqué sa façon de procéder avec pierre, gomme et chiffon pour estomper et créer des ombres.

Michel Diaz a lu des extraits de ses textes et commenté le travail qu’ils ont fait en commun devant un public invité par Martine Le Gal, propriétaire du château. L’auteur a expliqué que les livres d’artistes, numérotés et en série limitée, n’auraient pas permis de faire partager leur oeuvre commune puisque un certain nombre d’entre eux sont déjà partis dans des collections privées. Le volume regroupant dessins et textes peut, lui, courir et être édité en de multiples exemplaires. Les invités se sont empressés de l’acquérir et de le faire dédicacer.