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La Nouvelle République – 26 mars 2015 : Le Printemps des poètes à Mosny

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Article publié dans « La Nouvelle République », jeudi 26 mars 2015.

« ARBRE, VIEIL ARBRE » EN TEXTES ET DESSINS

Au château de Mosny, à Saint-Martin-le-Beau, une exposition peu ordinaire est encore visible jusqu’au 28 mars: un livre d’artiste écrit par Michel Diaz et illustré  par Setsuko Uno.

L’écrivain, sollicité par l’éditeur-poète Alain Freixe pour créer ce livre d’artiste à série limitée, a écrit un texte sur un arbre, « Arbre, vieil arbre ». Connaissant le talent de Setsuko, il lui a demandé de l’illustrer. Ce livre devait être édité en 21 exemplaires. Setsuko a illustré 21 fois ce même texte par des dessins différents, créant ainsi chaque livre de manière unique. Ce sont 14 de ces 21 variations qui sont exposées à Mosny, dans le cadre du Printemps des poètes.

Mais l’exposition ne s’arrête pas là: les Saisons d’ars Mosny présentent, avec ces variations, un volume d’art qui réunit tous les exemplaires des dessins de Setsuko pour lesquels Michel Diaz a récrit 21 textes. Auteur et dessinatrice se renvoient ainsi l’un à l’autre. Ils ont fait appel au talent de photographe de Pierre Fuentes qui a conçu la maquette de l’ouvrage.

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Vieil arbre tourmenté

Michel Diaz est subjugué par les œuvres de Setsuko exécutées à la pierre noire: « Ses arbres semblent hantés, ils sont présences fantomatiques, refuges inquiétants pour on ne sait quels esprits invisibles. Setsuko a fait sien le thème du vieil arbre: troncs contournées, branches noueuses, racines tourmentées, apparitions venues de quelque forêt maléfique. Elle nous en montre l’aspect pathétique, nous replongeant aussi par là dans l’atmosphère étrange et menaçante des forêts et des bois qui peuplent les vieux contes, rejoignant une symbolique aussi vieille que la mémoire. Ce travail nous renvoie à nos vieilles hantises, mais nous interroge aussi sur notre rapport à la nature et au temps, sur notre rapport au monde, éphémère pour ce qui concerne notre condition mais défiant le temps pour ce qui concerne les forces profondes de la nature. » 

Dessinatrice et écrivain étaient présents, dimanche, pour commenter leurs œuvres. Setsuko a fait une démonstration du travail à la pierre noire et expliqué sa façon de procéder avec pierre, gomme et chiffon pour estomper et créer des ombres.

Michel Diaz a lu des extraits de ses textes et commenté le travail qu’ils ont fait en commun devant un public invité par Martine Le Gal, propriétaire du château. L’auteur a expliqué que les livres d’artistes, numérotés et en série limitée, n’auraient pas permis de faire partager leur oeuvre commune puisque un certain nombre d’entre eux sont déjà partis dans des collections privées. Le volume regroupant dessins et textes peut, lui, courir et être édité en de multiples exemplaires. Les invités se sont empressés de l’acquérir et de le faire dédicacer.

 

Arbre(s) – Vernissage et lecture/dédicace, 15 mars 2015 à Mosny.

Arbres

« La poésie est faite pour être partagée. »

Dans le cadre du Printemps des Poètes, les Saisons d’Arts Mosny présentent,
du 15 au 28 mars, une exposition de dessins à la pierre noire de Setsuko Uno,
et un livre d’art, Arbre(s), reproduisant ces dessins accompagnés de textes de Michel Diaz.

Vernissage et lecture en présence des artistes le Dimanche 15 mars 2015 à partir de 15 h,
au Château de Mosny, Saint Martin le Beau.

Ouverture : Vendredi , samedi ,dimanche,lundi de 15 à 18h.

Note d’introduction – Arbre(s) – Novembre 2014

Arbre planches

Introduction au livre réunissant les 21 dessins d’arbres de Setsuko Uno (en reproduction numérique), accompagnés de 21 textes de Michel Diaz – maquette de Pierre Fuentes.

Nous retrouvons, presque invariablement, dans ce que donne à voir l’artiste Setsuko Uno, peintures et dessins, poupées, portraits ou paysages, quelque chose que l’on perçoit, de prime abord, comme sourdement inquiétant.

Impression qui (puisant aussi à la sève de son héritage pictural autant que culturel) procède ici de sa façon d’affronter le réel, en le traitant toujours de biais, c’est-à-dire en nous confrontant à quelque chose qui, en vérité, sans d’abord l’avouer, représente quelque chose d’autre que ce qui nous est proposé, en usant pour cela d’un léger décalage dont, à première vue, nous ne saisissons pas clairement les enjeux.
C’est par cet interstice ouvert au sens, dans ce « jeu » introduit entre signifiant-signifié, brèche dans le visible, et qui est le pur jeu de l’imaginaire, le ressort de ce processus créatif, que de la représentation la plus minutieuse des objets du réel, on glisse sans contradiction ni heurts à ce qui ne nous permet pas d’autre choix que d’en faire une approche fantasmatique.

Nous ne trouvons pas autre chose, dans ces derniers travaux *, où l’artiste fait sien (s’en accaparant avec une force opiniâtre), le thème du vieil arbre, troncs contournés, branches noueuses, racines tourmentées, nous en montre l’aspect pathétique et le plus violent, nous en donnant une lecture torturée comme une représentation spectrale, traduction personnelle et fortuite de ces danses macabres qui, dans la statuaire et la peinture médiévales, nous mettent face à ce qu’est notre destinée humaine et au jeu sans répit de la mort.
Et l’artiste, en effet, ne se prive pas, d’un dessin à l’autre, comme on fait autant de portraits, de nous livrer l’image d’êtres assiégés par la peur et les affres de la vieillesse ou stupéfaits, comme au sortir de leur brutal réveil, de devoir rendre compte de ces instants, heures, années ou siècles, engloutis par le temps du sommeil. Arbres que l’on devine cernés par la forêt, transformée par la nuit ou les pâleurs de l’aube en un vaste cimetière pour les animaux morts, arbres qui sombrent corps et biens dans le fouillis de leurs racines, au cœur du lit de leur désastre, ou font l’effort d’en émerger pour essayer de retrouver et de tenir la route de ce qu’en un autre âge promettaient leurs ramures.
Mais on peut voir aussi, au-delà de ces formes que l’on pensait inertes, ce qui, inspiré par les formes de la nature, sublimé par le geste et la précision du dessin, investit notre imaginaire pour en faire la scène de notre drame, y introduisant, de manière quasi hallucinatoire, une part de notre mémoire onirique. Rien ne nous interdit d’y voir ici un personnage, homme-arbre, dont le torse se prolonge en membres décharnés, un autre là, visage en décomposition, qui essaie de jeter un regard en arrière, par-dessus son épaule, observe avec mélancolie la déchéance de son propre corps. On y devine aussi un ange aux traits de cire, ailes collées à lui comme un suaire, et luttant pour s’extraire de la gangue de bois dont il est prisonnier. On peut, sans trop se fourvoyer, penser ici et là, à des éléments récurrents du monde de Jérôme Bosch, à ses créatures tragiques autant qu’énigmatiques, à lui qui, justement, a signifié mieux que personne la fragilité de cette nature inquiétante sortie de son esprit.

Pourtant l’arbre et le bois qui le constitue (l’un des cinq éléments de la symbolique chinoise, celui qui correspond à l’Est et au printemps, à l’ébranlement de la manifestation et de la nature), sont loin d’être réduits, ici, à leur seul état de matière morte et stérile. Il faut y regarder d’un peu plus près, dans l’oblique de ce regard vers lequel Setsuko Uno nous invite à poser nos yeux.
Selon un symbolisme plus universel, l’arbre mort, excavé, est l’antre qui abrite les esprits de la nature et l’espace où habitent ceux des ancêtres, creuset de vie métamorphique, lieu de passage entre monde de l’au-delà et monde du visible, avant que réapparaisse l’âme, autrement incarnée en quelque figure animale. L’arbre creux désigne donc l’image de l’arbre régénérateur. Du chêne creux, d’ailleurs, s’échappe l’eau de la fontaine de Jouvence et, dans le langage des alchimistes, il signifie la régénération et symbolise le fourneau dans lequel ces derniers fabriquaient cette pierre qui, projetée sur n’importe quel métal, le transmutait en or. Ainsi, le chêne creux (et, par analogie, tout arbre) devient en quelque sorte matrice de la pierre, et c’est en ce sens que le même Jérôme Bosch dans la tentation de Saint Antoine l’assimile à une mégère qui extirpe de son ventre d’écorce un nourrisson emmailloté.

Et c’est de ces ventres d’écorce que Setsuko Uno, au-delà de l’apparition de ces créatures que nous évoquions plus haut, extirpe et fait jaillir, le réanimant, l’esprit même du feu régénérateur. Car que sont la plupart de ces troncs, branches et ramas de racines qui se tordent en langues de feu et se ramifient en mèches de flammes ? Sinon feu assoupi au cœur du bois et dont il ne demande qu’à s’extraire, non pour la destruction mais pour la réconciliation avec ce que nous ne pouvons toucher avec nos yeux de chair.
Feux allumés sous les doigts de l’artiste, et par eux, pour « les yeux de l’esprit » de celui qui regarde, c’est-à-dire ces yeux qui sont ceux de la rêverie et de l’imaginaire matériel. Yeux intouchables autrement que par là, parce que ces yeux du-dedans se tendent à partir de là où nous ne pouvons plus nous tendre, nous font prendre conscience de ce que le corps ne peut plus atteindre, et qu’ils vont là où nous ne pouvons plus aller.

Chaque dessin engage son silence, sa charge incorruptible d’émotion dont les traits ne témoignent pas seulement, mais dont ils semblent différer dans le temps momentanément suspendu du regard l’inaudible murmure, inintelligible d’abord, de cela qui cherche à se dire.
Il nous faut, pour pénétrer l’espace du dessin et atteindre l’intimité de l’image, emprunter le chemin de ces yeux sur lequel se découvre l’énigme de la nuit, et où quelques coups de crayon et de gomme ont suffi pour raviver la braise et quelque chose qui nous touche et nous blesse à la fois, mais d’une joie sacrificielle, qui se dresse en articulant ses syllabes de flammes et que nos yeux se mettent à écouter.

Et faire en sorte que les yeux écoutent, c’est ce à quoi s’applique l’œuvre d’art, en ce qu’elle est chemin d’exil et d’expérience tout autant que creuset de révélation, ce à quoi Setsuko Uno, en toute discrétion, incite le regard de qui prend le temps de s’y arrêter.

Michel Diaz

* Ces dessins originaux, à la pierre noire, ont fait l’objet d’un livre d’artiste (21 exemplaires numérotés), édité aux Cahiers du Museur, dans la collection « A côté », en octobre 2014.

Arbre vieil arbre

ARBRE(S) – Michel Diaz – Setsuko Uno (octobre 2014)

 

ARBRE(S), éditions L’Atelier du livre (2014), livre d’art, 36 p.,  contient les reproductions d’une série de 21 dessins (à la pierre noire) de Setsuko Uno, accompagnés de 21 textes de Michel Diaz qui signe une introduction consacrée au travail de l’artiste.

Ouvrage de luxe au tirage limité, proposé en souscription (L’Atelier du livre, décembre 2014), ce livre, conçu (avec la complicité de Pierre Fuentes) pour le seul plaisir de partager avec quelques-uns ces dessins et ces textes, se situe délibérément « hors tout » : hors éditeur, hors dépôt légal, hors référencement, hors distribution et hors diffusion… Il n’est que pur et bel objet qui, en ne cherchant pas à s’inscrire dans « la chaîne du livre », s’octroie la liberté d’exister pour lui-même, en dehors de toute allégeance, qu’elle soit d’ordre culturel, éditorial ou commercial.

[…] Chaque dessin engage son silence, sa charge incorruptible d’émotion. […] Il nous faut, pour en pénétrer l’espace et atteindre l’intimité de l’image, emprunter le chemin de ces yeux sur lequel se découvre l’énigme de la nuit, et où quelques coups de crayon et de gomme ont suffi pour raviver la braise, soulevant aussi quelque chose qui nous touche et nous blesse à la fois, mais d’une joie sacrificielle, qui se dresse en articulant ses syllabes de flammes et que nos yeux se mettent à écouter.

Et faire en sorte que les yeux  écoutent, c’est ce à quoi s’applique l’oeuvre d’art, en ce qu’elle est chemin d’exil et d’expérience tout autant que creuset de révélation, ce à quoi Setsuko Uno, en toute discrétion, incite le regard de qui prend le temps de s’y arrêter. [Extrait de l’introduction]

Arbres-SU-MD

Extrait de la partie V, p. 26 :

     […] du plus intime de cet arbre solitaire, emmuré dans son corps de poussière, jamais né, dirait-on, jamais mort, oublieux de toute aube festive et de toute agonie, et qui a maintenant une ombre sur laquelle s’asseoir et se laisser aller à rêver son feuillage,

     puisque la lumière, on le croit, renaîtra de cette ombre fertile, pleine d’oiseaux timides, sans qu’on s’en aperçoive, comme croît le germe du feu dans un lit d’herbes sèches, que l’on sent s’éveiller la couleur du fond de son sommeil,

     mais l’arbre, dans le jour oblique et la lumière qui le sculpte, s’y écoute trembler, prenant forme et volume, se jouant du néant où toute chose sombre corps et biens, comme d’un roc inerte qu’on écarte, soulevant de sa face une peau de mille ans incrustée de lichens par les vents et les pluies,

     travaillant à faire apparaître un visage qu’on ne reconnaît pas, que s’opère dans sa chair même une fusion du temps comme à la vie, imperceptiblement lié.

 

 

 

Arbre, vieil arbre – Ed. « Les Cahiers du Museur » (2014)

Arbre vieil arbre

SU

Texte de  Michel DIAZ – dessins à la pierre noire de Setsuko UNO

Livre d’artiste, éd. Les Cahiers du Museur (Nice), coll. « A côté », 21 exemplaires originaux numérotés et signés par les auteurs (format 21×29 cm, papier Moulin du Coq, grain aspect torchon, 325 gr)

arbre, vieil arbre

si vieil arbre mien, affublé des guenilles d’un roi dont on ne compte plus les mutilations ni les siècles

arbre aux songes mal équarris, aux tumultes dilapidés, muet sous les outrages comme larron irrépentant, tremblant de tout son bois aux crachats de la foudre et à tous vents battu sans tourner le dos à la mer ni jamais déserter, essayant juste d’être

arbre poussé sur mes terrils, défeuillé par mes froids, indulgent pour mes neiges, buvant à mes racines, comme rampe un chien au bout de sa chaîne vers une eau toujours limoneuse, voix obscure d’écorce et d’aubier, grimaçant ramas de ratures
arbre qui toujours fut la forge de mes mots, l’enclume de mon souffle, l’épée de mes douleurs, mon abcès de misère, porte d’un monde couronnant hautement l’horizon de mes yeux, champ d’honneur d’insistantes offrandes portées à bout de branches

arbre de mes nerfs cisaillés, de mes muscles rompus, de mes vertèbres fracassées sur la roue des incertitudes, de mon corps démembré, exposé à la face terreuse du ciel, au cillement de son œil borgne, à l’orbite insondable des astres
arbre de mon sang rejailli contre les parois du silence, suintant au front de mes nuits, recueilli dans le linge lourd des angoisses

arbre d’os, de veines ouvertes, d’écorché revenant du profond des âges, ni blasphémé ni applaudi mais fidèle comptable de ses organes devant son opiniâtre acquiescement au monde
arbre d’ambition souveraine à ne survivre à d’autre froid qu’à celui d’une mort harcelante et noueuse qui au creux de ses bras aimerait l’emmurer

Arbre2

Arbre1