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Un bégaiement – Julien Bosc

UN BÉGAIEMENT
– suivi de Tables d’auteurs –
Julien Bosc – Editions Cénomane (2016)

Chronique à paraître dans Les Cahiers de la rue Ventura

… Elle pleure contre un mur, le lâche, se retient, cède, et est par terre, en boule, dans l’ombre, à l’abri du feu, avant le feu, et très fin. […] et ça dit, dans sa tête aussi ça dit « elle ouvrit les yeux et, pleura contre un mur, le lâcha, se retint et fut par terre, en boule, dans l’ombre, à l’abri du feu, avant le feu et très fin, du blanc. »
Ainsi s’ouvre le texte de Julien Bosc, ainsi s’achève-t-il, au bout du bout de son ressassement. Tout est dit, se dit, se parle entre ces deux phrases, ou lambeaux de phrases. Ce « quelque chose » qui se dit, se parle, et pourrait se parler comme à l’infini d’un cheminement de parole où, pour ne pas se perdre, il faut se cramponner aux mots de ces phrases que leur auteur déroule, la plupart du temps, sur l’espace de plusieurs pages, et pourrait poursuivre plus loin encore. Ce « quelque chose » qu’il conduit jusqu’à l’épuisement du souffle, jusqu’à la dissolution de ce corps dans sa fatigue extrême, ou sa dispersion dans le feu, la poussière, la cendre, le sable, le silence définitif, dans l’absolu du blanc, de ce qui s’est vidé jusqu’au bout de son sang, l’a regardé couler, sans un mot ni un geste pour le retenir, tentative inutile, parce qu’il est aussi le sang du temps, le sang du monde qui n’arrête pas de saigner d’une blessure ouverte au-delà de toute conscience, comme on ne peut ni arrêter ni endiguer la matière du rêve.
Or, il ne s’agit pas ici d’un rêve mais, au contraire, de la conscience suraiguë d’être plongé vif, écorché, l’esprit pantelant, dans le monde, et dans le temps du monde, jusqu’à l’indicible de la douleur, jusqu’aux origines d’une souffrance qui n’a, pour s’exprimer, comme en une entreprise d’exorcisme, que le théâtre de son propre corps.

Ce texte, errance hallucinée dans la parole, vertige sans réel début ni fin, expérience d’une descente dans les enfers physiques de l’être, pourrait aussi bien être un texte de théâtre. Il n’y a ici rien de plus de ce que l’on pourrait attendre d’une partition dramatique, d’une mise en espace où se jouerait l’essence même du théâtre. C’est-à-dire bien peu de choses si l’on voulait aller au bout de la parole, de l’offrande sacrificielle du corps du comédien, et d’une tentative dramatique extrême. Il suffirait alors d’un espace scénique indéterminé et d’une lumière crépusculaire, d’un mur aux pierres apparentes et blanchies à la chaux, d’un corps capable d’endurer une telle épreuve, et de ces mots tissés comme un terrible oratorio conçu pour une voix, qui ne passe pourtant par aucune bouche, une voix qui remonte de profundis et qui, comme on peut le lire en quatrième de couverture, cherche sa parole, arpente les labyrinthes du corps, se blesse au mur du silence, balbutie au bord des lèvres, de toutes les lèvres, s’affronte au souffle inaudible, un bégaiement.
A côté de cela, toute mise en scène d’un texte de Beckett (même ses textes sans parole) nous semblerait presque trop sage, le dépouillement du théâtre de Peter Brook nous paraîtrait encore trop chargé d’intentions, et il faudrait aller chercher du côté du « théâtre pauvre » de Grotowski, espace, jeu, esprit, pour approcher ce que l’on imagine *. Ce qui est donné à imaginer: (…) un mur, celui-ci derrière elle, s’y adosse, la tête inclinée, les jambes étendues devant elle, les bras elle ne sait, quoique la dextre entre les cuisses, mais où les bras, où la langue, aux limites du poumon et de l’estomac, égarée parmi les organes, une langue sous la peau, dans la peau, elle a la langue dans la peau, éperdue et nue, sans lieu ni lien avec rien, un bégaiement, ça bégaie…
Oui, j’ai lu ce texte, d’un bout à l’autre, comme un texte de théâtre, car outre ce qu’il « donne à voir » dans l’abondance de ses descriptions, presque essentiellement visuelles et organiques, on ne peut le lire qu’à voix haute, ou à mi-voix, qu’en emplissant sa bouche de ses mots, à déglutir, à murmurer, à mâcher ou à proférer, dans le souffle coupé, le halètement de la fièvre, le hoquet ou le spasme, le bégaiement, le ressassement jusqu’à la nausée.
Que les choses pourtant soient dites: tout texte littéraire (et celui-ci en est un qui s’inscrit dans la haute exigence), n’est digne de ce nom que s’il est capable de s’affronter à l’épreuve de la parole, au chuchotement, à la confidence, au balbutiement, au soupir, à la plainte, au cri, à la profération, au bégaiement, et à toutes les cordes de la voix humaine. Ainsi, la poésie, qui doit, d’abord nous donner à entendre, avant de donner à comprendre, et qui est affaire de cœur et de pouls, de poumons et de souffle, de langue, de bouche, de dents: (…) or sans mots, sans mots ça parle, le corps avec des mots de tous les jours mais dans sa langue à lui, elle revient sur ses pas, ne cesse d’écouter, à son corps défendant, ils lui échappent, les mots, mais quelquefois un bégaiement, du corps à la tête un dialogue, l’un avec sa langue, l’autre sa mutité, des mots errants, conglobés, dans un point du corps… Il faudrait cependant ajouter à cela ce qui, de la parole, passe par le ventre, les nœuds des intestins, les crampes de l’estomac et leurs élancements, et tout ce qui se joue encore dans l’espace de la poitrine, perfore le plexus, autre théâtre de douleurs ou point nodal d’où s’élargissent les ondes de l’apaisement.

Julien Bosc est aussi poète **. Il n’est donc pas très étonnant que son texte accorde cette place au corps et à la parole qui en suinte. Un corps en peine qu’il nous est donné, ici, de vivre par les mots comme l’on vit à l’intérieur d’une blessure. Elle est cela, ici, le seul lieu qui importe. Car nous ne sommes, ici, ni dedans, ni dehors, mais dans le lieu du signe, espace tout autant physique que mental, où cela remue, se bouscule, s’enchevêtre. Pas les pensées, non, mais leurs bribes, leurs haillons, mais les fulgurances des sensations, de froid, de chaud, de faim, de soif, de peur, de douleur, de plaisir, de vertige, d’évanouissement, d’anéantissement de soi. Mais aussi ces mouvements imprévus, de la tête, des bras, des jambes, de tout un corps qui se défait, se rassemble, se recompose, s’assure de lui-même pour se défaire encore. Un corps qui se blottit entre ses propres bras, ou se recroqueville, se détend et s’étire, se lève, marche, esquisse quelques pas hésitants, trébuche, se redresse, se cogne à quelque chose, un mur, une souffrance qui semble vivre de sa propre vie, respire, soupire, hoquète, vomit on ne sait quel liquide, pisse, défèque et quelquefois se branle, plongeant ses doigts dans un vagin qui saigne… quand la parole continue : un mot, au bord, le jour, mais non, il retourne dans la bouche, se replie sur soi dans l’aorte, s’y resserre, seul, et elle seule aussi; la lèvre fendue, par le signe, l’épellation du signe…

Ce texte de Julien Bosc, Un bégaiement, s’inscrit dans la lignée de ce que nous ont laissé d’autres poètes, des explorateurs, comme lui, qui se sont avancés dans les territoires d’une parole qui a renouvelé notre rapport à la littérature. Nous pourrions aussi bien citer Maurice Blanchot, qu’Edmond Jabès ou Bernard Noël. Mais c’est sur Emmanuel Levinas que j’aimerais conclure, en citant un extrait de l’un de ses textes, relatif à la poésie, qui fait, me semble-t-il, écho à celui dont je viens de parler: Langage discontinu et contradictoire du scintillement. Langage qui par-delà les significations sait faire signe. Le signe se fait de loin, d’au-delà et au-delà. Le langage poétique fait signe sans que le signe soit porteur d’une signification en se dessaisissant de la signification. (…) La poésie transformerait les mots, indices d’un ensemble, moments d’une totalité, en signes délivrés perçant les murs de l’immanence, dérangeant l’ordre. Déranger l’ordre, défaire les structures du langage et bousculer notre quiétude digestive de lecteurs, ce texte de Julien Bosc ne peut se lire que sous ce brutal éclairage. Ou il nous faut alors passer notre chemin.

Michel Diaz, 02/04/17
* Pour Grotowski, l’entraînement physique de l’acteur était un moyen pour accéder à autre chose de plus subtil, de méta-corporel. Il pousse ses acteurs à l’extrême pour diminuer les résistances intérieures de ceux-ci, c’est la via negativa. Le don total de l’ HYPERLINK « https://fr.wikipedia.org/wiki/Acteur » \o « Acteur » acteur pour le jeu organique et immédiat, que le maître polonais nomme alors translumination, fait de lui un « acteur saint ». L’acteur est une fin, alors que le rôle est secondaire ; le rôle est un attribut du théâtre, et pas un attribut de l’acteur. Pour transmettre sa vision du théâtre il distingue la lignée organique de la lignée artificielle ; sans privilégier l’une ou l’autre, il découvre que ces deux approches ouvrent des sentiers d’expérimentation très fertiles. (Sources Wikipédia)

** Poète, Julien Bosc a été publié aux éditions Unes, Rehauts, L’Atelier la Feugraie, La tête à l’envers, Quidam, Potentille. En 2013, il a crée les éditions Le phare du cousseix, dédiées à la poésie contemporaine. Il est lauréat 2015 de la « Bourse Gina Chenouard de création de poésie », décernée par la Société des Gens de Lettres (SDGL).

Un navire de papier – Michel Diaz – Laurent Dubois (avril 2017)

UN NAVIRE DE PAPIER – Editions Cénomane – 2017

Michel Diaz, textes – Laurent Dubois, photographies

LE LIVRE :

Chaque entreprise se construit un monde unique et singulier.
Arjowiggins ne fait pas exception. À Bessé-sur-Braye, cette imposante usine de fabrication de papier se pare elle aussi d’une couleur qui lui est propre, née de l’indéfinissable alchimie créée par la configuration des lieux, la nature de l’activité et le travail des femmes et des hommes qui maintiennent le cap de ce Navire de papier.
Dans ce livre, Laurent Dubois et Michel Diaz tentent de restituer ce qui émane du gigantisme des machines, réglées au micron pour produire à très grande vitesse la blancheur diaphane du papier, de témoigner de la présence fantomatique des corps au travail, de traduire le bruit, la poussière, la chaleur, l’humidité…
Dans cette confrontation se révèlent non seulement le portrait d’un processus industriel, mais aussi une réalité qui ouvre sur un imaginaire du travail paradoxal et poétique, et sur nos questionnements les plus intimes.

Extraits du texte :
[…] Mais, vu de l’extérieur, et en se faisant ignorant de toute fonctionnalité des lieux, ce monde mécanique, assemblage insensé de cylindres d’acier, de tapis déroulants, de poutrelles, de câbles, de tuyaux, de ce qui malaxe et écrase, découpe, enroule, bat son rythme effréné de cœur sans état d’âme, ce monde, pense-t-on, n’est pas bien éloigné de ce qui peut nourrir l’imagination onirique, laquelle, dans la légitimité de sa démarche, pourrait revendiquer de résider dans telles connexions secrètes entre mécanismes du rêve et mécanique industrielle, entre outils fonctionnels (dont les arcanes nous échappent) et machinerie propre à l’activité du rêveur.
Et c’est alors, autorisant de telles connexions entre les éléments de la réalité concrète et les images et les mots, cette langue que s’est forgée le rêveur éveillé (qu’il soit photographe ou poète) que peut naître, de toutes choses, ce qu’on appelle « poésie ».

 *   *   *

[…] Pour d’autres, ce sont peut-être l’eau des sources, les monts de l’enfance, la noire transparence du calme, son immensité limpide, l’œil à tout endroit aspiré dans la splendeur du sombre, c’est peut-être aussi cette force, la force des solitudes d’antan, qui fait que le regard se pose, se pose longtemps sur les choses.

Pour ceux d’ici, ce sont le vacarme de ces machines qui tournent jour et nuit, broient et mâchent le temps, et recousent les heures les unes aux autres, et les gestes précis, répétés, assurés à leur tâche, oui, c’est sans doute tout cela qui donne à ceux qui œuvrent, ici, dans cet espace d’existence où, travail accompli, on les rend à eux-mêmes, le désir de réconcilier soleil et silence, parole et sommeil, effort et plaisir, un autre sens au vivre avec, en arrière-jour, ce gémissement de la peine à s’accorder chaque matin au monde et à ce qu’il en faut partager.

*   *   *

[…] On aurait bien envie de désigner ce que ces images contiennent comme des « fragments de pénombre », ou des « fragments nocturnes », ou des « fragments du réel pur » volés, comme dans la caverne de Platon, à ce qui apparaît d’un jour dont on ne peut jamais directement regarder le soleil. Mais peut-être aussi bien, rassemblant tout cela, comme des « fragments de mémoire ».
Car ces lieux, si l’on est simplement visiteur, nous invitent à une expérience particulière dont les multiples déclencheurs sont autant d’éléments de nature variable: souvenirs de lectures, de dessins, de tableaux ou de films. Autant d’images resurgies, déposées à fleur de mémoire et qui tout à coup nous font signe.

Et c’est là, tout à coup, à travers le filtre des yeux, telle réminiscence des architectures de Piranèse, ou telle description d’un roman de Conrad et le boucan fiévreux où se sont emballés les moteurs, à moins que ce ne soit telle scène des Temps modernes où Charlot se retrouve happé par les mandibules d’une machine dont on soupçonne que l’absurdité pourrait bien cacher une vie secrète.
Dans tous les cas, ces éléments du souvenir, images assez saisissantes pour qu’elles demeurent aussi nettes dans nos mémoires, provoquent le même sentiment de force et de sourde inquiétude.

C’est pourquoi, en effet, pénétrant dans ces espaces de travail, on ne peut qu’éprouver ce que l’on éprouve dans les lieux « forts » où l’humain se retrouve à interroger ce qu’il a pu construire pour le maîtriser mais qui, le servant, le dépasse, et parfois lui échappe (le brûlant dans ce cas au feu de Prométhée).

*   *   *

[…] On dévide son fil d’Ariane pour avancer plus loin, encore, sous un ciel de poutrelles qui quadrillent le jour.
Marcher, ici, c’est se confier à un égarement qui seul pourrait repeindre d’indécis les envers du décor. Guidé par ces deux seules et uniques lueurs qui ouvrent sur le jour et la nuit de la rêverie, l’autre pente du lent regard, son indissociable versant.
On peut alors, sans mal, imaginer quel piège ou quelle créature nous attend, accroupie à l’angle d’un mur, au détour d’un couloir.
On entend respirer quelque chose, venu d’on ne sait où, d’on ne sait quelle île lointaine. Venu peut-être aussi de ces régions obscures de la peur, où rien ne moisit, ne fume ni ne rouille, mais survit à tout et traverse les nerfs, les poumons, les planètes, saisit au creux de l’estomac, jusqu’au centre du cœur.

C’est aussi une sorte de voix sans mots, de grondement. Une rumeur qui monte de très bas, d’en dessous. De l’indescriptible désordre du monde et d’un infini de visages dont le regard de quelques-uns, croisés, ne serait-ce qu’un bref instant, nous rappelle soudain à ces lieux où les choses ont repris leur place et les hommes la leur, sans autre certitude que le mince fil du présent.
Des hommes dont les jours, les gestes et les corps sont comme les témoins vivants du long voyage silencieux, et de la terrible lenteur de la vie.

  *   *   *

[…] On pourrait quand même se demander: l’homme, qu’est-il encore, ici, au milieu d’un orchestre jouant en même temps de tous ses instruments, donnant cet opéra dont le bruit enfiévré déferle, dressé comme la mer contre une forteresse, quand tout s’anime, se déploie et se referme en un même et puissant mouvement ?

On pourrait légitiment se le demander.
Au-delà de ces murs, la terre existe-t-elle encore ?… Qui sait, la fin des temps viendra peut-être ici, est peut-être advenue, aux extrêmes limites de l’océan, ici, sur cet archipel de hasard, son dernier îlot habitable.
On imagine le déchaînement des éléments où la terre va s’engloutir.
L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure ?… S’en ira sur la pointe des pieds, après avoir, d’un peu de poésie, coloré l’air et l’or du temps, et laissé son intelligence aux machines. Qui se passeront désormais de lui.
Feront, sans lui, un livre qui racontera son histoire, et où il sera dit que l’homme est né de l’imagination négligente d’un dieu qui, d’un poème trébuchant, le froissant dans sa paume, fit une boule de papier jeté à la corbeille.

Éditions Cénomane – Le Mans
80 pages, format 21 x 26 cm, à la française
Textes de Michel Diaz, photographies de Laurent Dubois
Préface de Bernard Giusti
Genre: livre d’art/poésie
Prix public à parution : 25 euros TTC
ISBN 978-2-916329-71-0

Médiathèque de La Riche – Lecture et dédicace – mai 2016

La Riche

A l’occasion de l’exposition des cyanotypes de Laurent Dubois, à la médiathèque de La Riche, je ferai, le vendredi 20 mai,  à 19 h., une lecture d’extraits de l’ouvrage, « Né de la déchirure », que nous avons publié aux éditions Cénomane.

Le boucan des arts – Lavaré – lecture/dédicace, sept. 2015

Boucan

Dans le cadre de la manifestation LE BOUCAN DES ARTS,

je serai à Lavaré (Sarthe), le samedi 5 septembre 2015 où, à 14h,

dans l’église du village où seront aussi exposés des cyanotypes de Laurent Dubois,

je ferai une lecture des extraits de l’ouvrage Né de la déchirure, publié aux éditions Cénomane.

J’aurais plaisir à vous y rencontrer.

Michel Diaz

 

Né de la déchirure – Michel Diaz – Laurent Dubois (mai 2015)

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NÉ DE LA DÉCHIRURE : Cyanotypes de Laurent Dubois, texte de Michel Diaz.
Préface de Raphaël Monticelli
 – Editions Cénomane – Mai 2015.

« Ce livre nous parle d’arbres abattus. Deux voix en dialogue : celle du photographe, Laurent Dubois, et celle du poète, Michel Diaz. Laurent Dubois a approché leurs restes: corps meurtris, déchirés, démembrés, morcelés, veines à vif. Il n’a usé d’aucun artifice, n’a pas sacrifié au goût de l’instantané et de la surprise. Sans mise en scène, il a fait, lentement, le portrait des arbres désolés.
Dans les suaires de Laurent Dubois, Michel Diaz découvre non seulement le corps meurtri des arbres, mais tout ce dont ce corps est porteur: la terre où il s’ancre, l’eau qu’il aspire depuis les gouttes, flaques ou mares jusqu’aux mers et aux océans, et le ciel que vont habiter ses branches. On entre dans le bleu, dit-il, comme on confie sa voix au vent. Dans l’image de l’arbre livré au fer de l’abattage, dans les œuvres de Laurent Dubois, il reconnaît cet espace où s’exorbite la pensée, vers l’infini du bleu où elle s’enfonce en nageant , un édifice mouvant bâti sur un abîme, (…) qui nous lave de l’effroi risible du silence, et où se joue l’énigme insondable de notre propre vie.
Images et textes sont ici liés comme on le voit rarement, dans la lenteur, la précaution ou la suspension.
Ils proposent une double méditation sur notre présence au monde: éphémère dans sa réalité physique, défiant ou méprisant le temps quand montent le bleu et le chant. »

Extraits de la préface de Raphaël Monticelli.

Extraits du texte :

  •         Le bleu n’a pas de lieu à lui seul réservé. Il n’est d’abord que la couleur de ce mot qu’il habite.                                                                                                                                                              Impalpable, évanescent, ne s’accordant , selon toute apparence, qu’aux caprices du fugitif, de l’éphémère, du sereinement volatil, en sa réserve, en son presque retrait du spectre somptueux de la lumière, il réunit en lui toutes les dimensions.  Non seulement, depuis la lèvre du rivage, l’étendue et le mouvement du grand large étiré jusqu’à l’horizon, et encore au-delà de ce que les yeux peuvent voir, mais aussi bien ce qui, à ces mêmes yeux qui le fouillent, offre en sa profondeur la première matière du rêve, la substance infinie de la contemplation. Sans même que ceux-ci s’en rendent vraiment compte, il se coule en eux qui le boivent, et quelquefois s’y noient sans espoir de retour.  Enfin, le temps lui est indifférent. Il s’y fond comme les nuages, et comme eux s’y déforme en volutes et lents tournoiements, y faisant résonner un son imperceptible, une manière de murmure continu qui glisse au plus profond de nous, s’aventure au plus près du secret qu’est l’énigme insondable de notre propre vie, nous traversant de part en part, ne portant en effet d’autre nom que celui de sa seule couleur, puisqu’il est le temps même, sa pure émanation, mémoire du glacier des siècles, et seulement soucieux d’éternité.

 

  •         Accoudé au balcon du monde, là où rien ne commence et où rien ne finit, sans âge mais sentant toujours le ligne frais, le bleu regarde vers le Tout et les si longs lacis du temps qui en s’enroulant se déroule, chargé de silence et de nuit. Charriant une ombre éblouie de cristaux dont s’enveloppe le repos des astres.  Né des sources dont il s’inspire, il exhale de lui un long chant où le ciel s’ouvre comme un fruit sur le sommeil secret mais fertile des profondeurs, où sa voix se confond avec la flûte basse d’un oiseau nocturne, l’aboiement d’un chien à la lune, l’écho d’un pleur d’enfant, le murmure d’un Verbe qui s’est tu à jamais et ne subsiste plus que dans les lents remous de l’air.                                                                               Assis dans ces lointains, en bordure d’abîme, le bleu veille au foyer où le temps s’alimente et entretient sa braise sur laquelle, patiemment, il souffle.

 

  •        Quand le bleu s’épaissit, se dilate, s’éploie en transparences, vacille au bord du vide, mousse de lumière, une fenêtre s’ouvre dans le temps, une main tourne la crémone, un vent léger pousse les vitres, tout le ciel entre dans la chambre, c’est encore un matin tout neuf, un autre jour pour rien, sans autre raison que lui-même, sans défense, sans poids, sans prix. Nos yeux alors sont un chemin sur le bord duquel on s’arrête, où on pose ses mots pour ne plus encombrer sa bouche. On renonce à sa pesanteur comme on entre dans la prière. On contemple juste ce bleu, qui apaise la soif et la faim, le couteau des questions, l’incertitude qui nous hante.  On regarde ses mains immobiles, on s’absente au-delà de sa vue, dans la quiétude que dispense le repos du septième jour.

 

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