Note de lecture, par Eric Barbier, publiée dans le N° 76 de la revue Diérèse, Printemps-été 2019, p. 310.
Michel Diaz, COMME UN CHEMIN QUI S’OUVRE, L’Amourier, 2019, 14 €
Michel Diaz, homme de scènes et de textes, publie chez L’Amourier ces proses, pages pour baliser les errances nées au cours de ses marches solitaires, sur des chemins qui conduisent plus vers le retour que vers un ailleurs, divagations dans le territoire intérieur, l’espace de la mémoire, « A la rencontre de cet inconnu que l’on porte devant soi. »
Mieux que transcriptions de ce qui est vu, notations d’observations certifiées par l’exactitude du souvenir, la prose se veut ici être l’interprète du regard, la révélatrice de l’intime. « Près de moi la mer, plus riche que tous les autres langages. » Tout autour la dureté et même les horreurs du monde ne sont pas ignorées, la déambulation n’invoque pas l’absence, de nouveau revient l’innommable, « des morts auxquels, le plus souvent, on renonce même à donner un nom », tandis que nous sommes débordés d’appellations. Alors quelle simplicité retrouver, celle d’un geste esquissé, du bruit d’une source, du chant d’un oiseau ? Les questions se répètent, écrire paraît dérisoire mais comment sinon, et de qui, ne pas être oublié : écrire reste la preuve que le combat est encore mené, tant pis si les mots échappent à celui qui croit savoir les employer.
« Et qui sait ce qui se tait sous les mots. » Consolation des devenirs, parvenir à se trouver révèle un bien mince espoir. Arriver à se perdre relève peut-être d’un plus difficile parcours. Ecrire, « poétiser », il faudra en accepter les contradictions, le langage reste aussi une émotion.
Marcher ainsi est un acte mélancolique, pour parcourir la « dimension illusoire du réel. » C’est toujours à l’aube, à la première étoile, que l’on repart quand la nuit « ayant épuisé son ombre, s’écarte maintenant. » La marche écarte les simulations du verbe, la phrase ne connaîtra pas d’inutiles dérivations. Faut-il être pierre pour en comprendre la vérité ? Chaque réponse construit son attente, avant de venir à jour. Et permettra d’échapper aux heures noires, de garder un équilibre, « sous la peau de la langue. »
L’orgueil résiderait dans le renoncement, quand le dévoilement d’un secret en crée un autre, quand ce qui serait appelé silence impose sa singularité, bruit de l’inexprimable, où l’averse nous transporte dans une autre région de nous-mêmes. L’interrogation forme ainsi certains usages de la beauté, là où rien ne peut paraître définitif, ni peser en nostalgie, « comme une eau dans le froid se rétracte et s’habille de déchirures. »
Marcher pour se sentir présent, ici, non pour aller vers « l’autre rive de soi-même. » Marcher, non pour observer mais pour déchiffrer le monde et dépasser son propre aveuglement.
Eric Barbier