Comme un chemin qui s’ouvre – Le Basilic, mai 2019

Article signé Alain Freixe, paru dans Le Basilic, numéro de mai 2019.

Comme un chemin qui s’ouvre
Michel Diaz
collection Fonds Poésie,
éd. L’Amourier

On connaissait ici, à nos éditions L’Amourier, Michel Diaz pour ses nouvelles, À deux doigts du paradis, en 2012 et Le Gardien du silence, en 2014. On connaissait son obsession “pour la mélodie de la langue”, aussi est-ce sans surprise que l’on voit aujourd’hui le Fonds Poésie accueillir ces proses qui vont Comme un chemin qui s’ouvre vers leur cœur de feu, la poésie, selon les mots de Joë Bousquet.
La poésie “comme une échappée dans le temps du jour où les heures ne meurent plus”, où nous nous tenons debout sur les heures “étonnés  d’être encore” appelés à marcher “non pour passer, sur l’arche des pensées, ce pont tendu, vers l’autre rive de soi-même”, non, ce serait
trop dire. L’humilité généreuse de Michel Diaz lui permet tout au plus d’écrire qu’il s’agit “juste de laisser, derrière soi, les ruines de la nuit et ses monceaux d’opaque confondu dans le sel des décombres”.
Tel est le compagnon qui chemine sans faire demeurance, le pèlerin qui marche pour marcher car c’est dans la marche que s’invente le chemin, d’arrachement en arrachement. Ainsi se déprend-on de ce qu’il y a d’orienté, de connu dans les déplacements. Ainsi dans les
promenades telles que les pratique Michel Diaz, on ne se contente pas d’accompagner le temps, on l’engage à naître car on est pris dans un rythme qui ouvre l’air et féconde l’espace de la clarté d’ “un feu sourd qui s’invente à mesure”.
De la marche à l’écriture, des terres traversées au pays de l’encre – la poésie comme “la terre de sous nos pas” écrit Michel Diaz dans son incipit en citant Yves Bonnefoy – les chemins sont de mots, d’images – parfois baroques comme cet (œil (…) anneau du soleil” ou ces “jours (…) tombereaux de charbon arrachés, ongles nus, à la veine” – de couleurs, de prises et de reprises. Là, “dans cette approche recommencée de ce qui est”, on ne répète rien, on reprend, ce qui
suppose nouvelle énergie donnée à la main comme au pas qui invente l’avancée.
Il y a quelque chose de terrien, d’élémentaire, d’archaïque dans la marche. Quelque chose de vertical : on va les yeux tantôt levés vers, tantôt baissés sur, entre ciel et pierres. On va, puis on s’arrête… Alors on reste là, “sans paroles, pas trop avant de soi et pas trop arrière non
plus, mais juste en équilibre sur la ligne de crête du souffle (…) libre de toute attente et de toute désespérance.” Il y a des moments dans la marche ou dans la fatigue du pas, où l’œil perd ses droits – œil toujours déjà traversé d’interprétations verbales, lieu structuré par des savoirs figés – où s’effondre la distance des perspectives, où c’est un vide que l’on pousse devant soi, dans la lumière. Vide germinatif de “la présence sans nom de ce qui nous entoure (…) nous parle en sourdine avec des mots qu’on reconnaît sans les comprendre”. Tel est l’instant, ce lever de rideau, cette entrée en scène d’une étincelle dans laquelle l’éternité et l’infini prennent visage dans un ici et maintenant radical. Dans ce livre de Michel Diaz, le temps de l’homme et le temps du monde se rencontrent dans “la plénitude de l’instant”. Peu de choses en vérité : “une
abeille contre la vitre, les formes d’un nuage, la courbe de tes hanches”, ces petits riens, ces “presque rien” font de notre présence au monde le lieu où il nous est donné “d’entendre ce qu’en sourdine le temps nous conte de nous-mêmes depuis sa rive la plus nue”. Il y a là de quoi voir “la peur (s’évanouir)”, “la route à suivre” s’ouvrir “sous l’étoile où le jour se prépare”. Poursuivons!

Alain Freixe

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