Bassin-versant – préface de Jean-Marie Alfroy

BASSIN-VERSANT, éditions Musimot, avril 2018

Le monologue d’Orphée.

 

 

La poésie contemporaine est souvent, me semble-t-il, l’espace de l’incertitude. Qui parle ? A qui ? De quoi ? Pourtant, dans le dernier opus de Michel Diaz, les deux citations proposées en exergue, de Lorca et de Nietzsche, nous mettent d’emblée sur la voie de sa réflexion poétique: si « la terre est notre probable paradis perdu », la poésie est sans doute le seul moyen de nous sauver de la désespérance et de ne pas « mourir de la vérité » du monde. Ce livre commence comme un écho au Discours de la Méthode « Être là. Et suspendre son pas (…). S’arrêter. » Mais le texte s’installe très vite au-delà du cogito cartésien puisque la pensée est elle aussi mise en suspens : « N’être que cet instant »,comme si la conscience individuelle était appelée à se diluer dans l’indéfinissable infini cosmique.

 

Le précédent ouvrage de Michel Diaz * nous emmenait à travers le temps d’un hiver jusqu’à l’inéluctable mort de celui qui avait choisi d’en finir avec lui-même ; cette fois, la situation s’est sensiblement modifiée; la voix de l’auteur émane d’une conscience de l’être-au-monde qui traduit le refus d’une vie qui nous voûte, sur laquelle nous ne savons pas toujours comment poser nos yeux, mais qui est aussi conscience de la mort, obsédant sentiment de vivants dont nous ne pouvons nous défaire, qui nous garde toujours en veille. Est-ce là poésie de « veilleur » ?… On le croit, carnous sommes bien ici dans l’arrêt, dans l’entre-deux, entre un passé déchiré en lambeaux et un futur menacé de néant, sur cette limite de l’être où nous pouvons basculer dans un bassin-versant ou dans un autre.

Tel un nouvel Hamlet, l’auteur explore lui aussi le thème inépuisable de l’être et du non-être et se décrit, fragment après fragment, comme encerclé de vent, de pluie, d’ombre et de nuit.

Nous sommes là, sans aucun doute, sur le théâtre de la tragédie du vivre et du mourir puisque le poète apparaît, à plusieurs reprises derrière des personæ : un arbre veillant comme une sentinelle dans une nuit de tourmente, un ange très baudelairien, et même la grande Anna Akhmatova qui introduit soudain une lumière rédemptrice en associant le bleu du ciel au champ lexical du jaune : colzas, jonquilles, pissenlits, bouton d’or.

 

Habituellement, un bassin-versant entraîne des rivières vers un fleuve et ce fleuve vers la mer. Si la présence de celle-ci demeure discrète, la figure de son homonyme, la mère, ce « tournesol tragique » comme la définit admirablement l’auteur, se dresse avec d’autant plus de force qu’on déplore sa définitive absence. Toutefois, l’absence est féconde d’une hantise qui donne accès à la connaissance sensible qui est le propre de la poésie : « J’apprends ce que j’ignorais d’elle, ce que je ne savais pas de moi ». Le souvenir des disparus a donc le pouvoir d’élucider nos mystères les plus intimes, et la parole poétique serait l’outil le plus adéquat pour en laisser un témoignage.

D’où la question fondamentale qui donne son titre à l’une des sections de l’ouvrage (adressée aux errants sur la terre, exilés et « migrants »)« Quel Orphée pour quelle Eurydice ?». En effet, si Orphée est le terme générique capable de désigner tout poète, le nom d’Eurydice se prête à de multiples interprétations. C’est sans doute pourquoi cette Eurydice indéfinissable ne peut être espérée autrement que sous l’apparence d’un « visage, addition de tous ceux rencontrés »qui ne sont que visage de « l’autre », notre frère en humanité, mais aussi le « visage, reflet de soi ».

Et ce « reflet de soi » est d’abord ce qui tâche de porter voix, de soi vers l’autre, du plus intime vers ce qui, au-delà de soi-même, s’ouvre à l’universel. Car, si dès l’aube, tout est dit, il nous reste pourtant, aiguisant la faim qui nous tient debout, à interroger sans cesse et indéfiniment le fait d’être sur la terre, à s’émerveiller autant qu’on le puisse des « jours qui nous reviennent en ressac », de la lumière renaissante du soleil, de l’arbre debout dans le ciel ou de la« persévérance de l’herbe », et de ces menues choses qu’on peut voir et entendre de l’insaisissable réalité du monde, pour peu qu’on y soit attentif – ce peu de choses qui nous tient vivants dans cet étrange et si fragile sentiment de l’existence, cette sorte d’ivresse éphémère (peut-être dérisoire mais combien précieuse !) qui naît du désespoir lui-même et des jours noirs du monde où « l’air que l’on respire est quelquefois terrible ».

 

On l’aura compris, la prose poétique de Michel Diaz, innervée d’un imaginaire foisonnant, nous entraîne dans une méditation dont les arrière-plans philosophiques sont clairement assumés.

Une réussite de ce texte – parmi d’autres – est de nous entraîner dans un perpétuel mouvement alors même que le poète se présente statique, dans l’attitude de qui s’arrête et prend le temps de regarder le monde pour l’interroger ou se laisser glisser dans les plis de sa rêverie méditative. Alors, puisque la vie est le vaste théâtre du monde, laissons-nous emporter par un verbe inspiré qui se propose de nous ramener au plus près de nous-mêmes.

 

 

Jean-Marie Alfroy

 

 

Fêlure, aux éditions Musimot, 2016.

lichen N° 23, février 2018

Michel Diaz

Ignorez-moi passionnément

Rester vivant.

À cette seule fin, il te faudra encore aller, sur tes sentes d’étroite lumière, vers cela qui toujours, devant toi, fait masse, se dresse comme un ciel aveugle qui recule à mesure et, sans jamais céder, repousse et ralentit ton désir d’avancer,

vers cela contre quoi tu dois sans cesse te cabrer, cette force d’inerte paroi qui ne peut que laisser à vif et inapaisé, avec, au bout des ongles, ce qui saigne, avec aussi, entre les côtes, cette blessure qu’il te faut désemplir sans relâche de la nuit qui la guette.

Il faudra bien un jour, dis-tu, que se lèvent tes yeux, ta bouche, ton visage, aux marges de tout silence, dans sa sécheresse de paille,

que se lève ta voix, cette pierre en ces routes de pierres où l’on pèse son pas,

que se lèvent ces mots qu’a semés ta parole, comme se redresse le chien couché sous l’auge où on l’a  si longtemps oublié.

Je sens bouger en toi, qui de si loin me parles, des foisons de semence, cette amitié que tu cherchais dans sa famine immense et ses entrailles remuées de tant de vaines espérances.

Il suffisait pourtant d’un seul regard, dérobé au suspens d’une brève rencontre, pour que ta mémoire s’éveille et quitte la paix engourdie de la chambre des morts, d’un seul trait de soleil à l’oblique du cœur pour que s’efface le chagrin qui hante ton sourire.

Il ne suffisait que d’un arbre qui tremble sous la caresse de ton geste, ce qu’il se risquait à donner, sans rien attendre d’autre que ce que peut attendre une chanson perdue dans l’accueil de ses branches et la quiétude de ses feuilles où les voix étranglées font leur miel.

Ni regrets cependant, ni remords.

Maintenant que tu es aux portes de l’ombre, l’essentiel, te dis-tu, est d’accepter la nuit, d’y prolonger ta route pour qu’au bout ce soit enfin le jour.

Oui, maintenant, tu peux le dire, et cela seul suffit à l’émergence d’une secrète mais ardente joie : ignorez-moi passionnément.

M. Diaz

Fêlure – Blog « Lire au Centre »

FÊLURE, lecture par Bernard Henninger. Article publié sur « Lire au centre », blog de FR3 Centre-Val de Loire.

Fêlure (Michel Diaz)

« fêlure »

Recueil de poèmes de Michel Diaz

aux éditions Musimot a la forme d’un livret carré, et il tient dans un sac ou une poche. Constitué de poèmes en prose, son style semble s’inspirer librement des Haïkus Japonais…

Musimot_Felure_Diaz_2016

À la manière d’un journal, chaque poème débute avec une date, le recueil commence au 21 décembre et s’achève au 26 mars, et semble proposer un compte-rendu du temps qui passe… ce qu’il feint d’être avant de s’évader vers des dimensions plus intérieures. Le poème part d’une chose, d’un fait, d’une constatation de nos sens, pluie, froidure, chaussures mouillées suivi d’une plongée intérieure :

21 décembre : Ces longs flocons qui tombent, je suis seul à pouvoir les entendre… Comme je suis seul aussi à entendre ces lents éclairs, ces lentes minutes, ces lentes secondes, et ces toujours plus lourds et longs instant et ces patientes plantes qui descendent, l’une après l’autre les imperceptibles degrés du temps.

Et le lecteur pénètre au cœur d’un hiver qui n’est ni tout à fait une saison ni tout à fait un paysage de l’esprit, qui échange l’un avec l’autre dans une circulation fluide entre une réalité qui nous reste étrangère, muette, car fermée aux échanges, aux émotions et des paysages intérieurs déchirés. Par le biais d’une mise en abîme permanente, le quotidien et l’hiver permettent de découvrir les facettes d’une nostalgie :

Aux heures de lumière avare où le sang ralentit, où les mots se font rares, se cognent à leur ombre et ne font qu’une suite de râles, je déplie le rouleau de l’hiver.

Le travail de Michel Diaz témoigne d’une économie de moyens, d’une volonté de se restreindre à un vocabulaire concret, entre l’immédiateté du réel, les brisures d’une vie qui est comme un émiettement de l’être, et le rêve idéalisé d’une présence au monde exempte de douleur, d’émotion, comme si on pouvait être sans aimer et sans souffrir.

Michel_Diaz_recadrage

Partant d’un questionnement, chaque poème en prose débouche sur une absence, un manque que l’on questionne, il y a dans ces poèmes une épure et un élan qui font songer à la construction des Haïkus, écrits avec une une prose exigeante, qui, plutôt que de se soumettre aux conventions rebattues d’un sage déroulement des vers et de leur chant si conforme, tente de se confronter à l’âpreté de la prose.

10 janvier : On dépose bien ses chaussures mouillées sur le seuil de la porte. On peut y déposer aussi ce qui, de nous-mêmes, nous est un encombrant bagage. Ce qui tombe d’un mur mal bâti… Longtemps j’ai rêvé d’habiter un corps, douloureusement inconnu et toujours hors d’atteinte. Un corps étranger, mais jumeau, qui depuis toujours m’attendait, au revers de la porte close. Sans chagrin de sa part et sans rien à défendre…

Il y a des brisures d’enfances, jamais résolues, qui empoisonnent le regard, et ces fêlures me semblent entrer en résonnance avec une autre, plus ancienne mais qui chante dans la mémoire :

Le vase où meurt cette verveine
D’un coup d’éventail fut fêlé
Le coup dut effleurer à peine
Aucun bruit ne l’a révélé. […]
Mais la légère meurtrissure…
En a fait lentement le tour. […]
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n’y touchez pas.

           Sully Prudhomme           

Et cette fêlure, cette perte d’innocence, conduit au mutisme, à l’impossibilité de dire ou aussi, parfois à une brisure du Soi, un dédoublement, où l’autre semble posséder une vie propre, une présence au monde calme, libérée de la douleur et de l’angoisse; Pourtant, la création avance au travers de l’hiver, égrénant les jours, peut-être plus optimiste qu’elle ne veut bien l’avouer : « ne pas se désoler, pensais-je encore, d’avoir autant lutté avec si faible esprit et de si pauvres armes », la poésie vue comme une issue, faible, ténue, parfois dérisoire, pour émerger du labyrinthe intérieur qui est comme un gouffre magnétique, qui attire plus qu’il n’effraie.
La poésie comme une magie : les mots sont comme les briques d’un jeu de construction, mais plus le texte progresse, plus le matériau se fait rare, ou plutôt se condense, réclamant en quelque sorte, une compensation à cette tension, et un poids équivalent de silence. Voilà, donc ce court recueil que l’on peut évoquer à défaut de l’analyser :

Flaques de mars, battues de vent, haleine, froid, mais sa présence insaisissable, à fleur d’épaule, une main presque amie, comme cherchant une clé.

La poésie de  Michel Diaz mêle l’obscurité des mots, la clarté d’une froide saison, le désespoir d’écrire et ce sentiment de la vie comme une fêlure fine qui parcourant le vase de notre être menace de le scinder en deux.
Voici donc un recueil qui conjugue nos mots, et si cette chronique fort tardive parvient à vous donner le goût de l’hiver, n’hésitez pas à vous plonger dans sa mélancolie, ses faux airs de Haïku, et de partager, malgré les obstacles, son avancée résolue dans une inspiration qui tient chaud contre vent, pluies et froidures. Il faut lire la poésie de Michel Diaz !

Fêlure de Michel Diaz aux éditions Musimot

Michel_Diaz_Vendome_2015

Bernard Henninger

 

Noir – Claire Desthomas-Demange

NOIR, Claire Desthomas-Demange, éd. Musimot (2017)

Chronique publiée dans L’Iresuthe N° 41 (janv. 2018)

Lecture par Michel Diaz

« Faire son deuil » dit-on couramment. Se défaire du froid du chagrin, comme ma mère se défait du froid de la pierre scellée.
« Faire le noir ». Le noir est, en langage dramaturgique, cet espace d’obscurité qui sépare deux actes, deux tableaux ou deux scènes, intervalle où le temps se suspend, ou se concentre et se dilate, où se joue quelque chose dans l’ombre. Faire le noir en soi, l’éprouver. S’y perdre et s’effacer. Disparaître à soi-même et au monde. Effacement ou dilution de l’être face aux grandes questions ou aux grandes angoisses – le sens, la fin promise à tout et à tous.
S’il n’est pas celui des peurs de l’enfance, celui où l’on soupçonne que nous guette quelque danger, celui aussi du froid de l’âme, le noir peut être celui de la nuit où l’on cherche à se réfugier, celui du fond secret de nos pensées, ou encore celui où, espère-t-on, se dissolvent chagrins et détresses. Pénombre rassurante comme celle, protectrice et tiède, des eaux premières, ou celle aussi hospitalière où se ravive une force intérieure et s’annoncent d’autres possibles (ce que l’ombre éclaire et que la lumière du jour obscurcit), dans l’attente que s’ouvre la porte de cette ombre amie:
elle cherche la nuit
croit qu’elle lui répond
bien plus que le jour
et que son peu de soi
pourra y exister
dans la sérénité.
C’est ainsi que commence le texte de Claire Desthomas-Demange, texte où le « elle », le « toi », et le « je » ou le « moi » s’accompagnent, quelquefois se confondent, semblent (et j’en ai fait le parti-pris de ma lecture) ne faire plus qu’un « nous », au-delà, ou plutôt en-deçà de ces pronoms trop personnels qui séparent et divisent. Ce petit livre, Noir, commence par ces mots qui évoquent le retrait de soi, en soi, ce repli dans le noir qui nous tente quand on veut panser sa douleur. Ces mots, son peu de soi, que l’on retrouve dès la strophe suivante, son peu de soi s’épuise, ne peuvent que me rappeler le texte de Michel Bourçon (éd. La tête à l’envers, 2016) intitulé Ce peu de soi, proses dans lesquelles le poète poursuit une longue méditation sur le simple fait d’être là, dans son corps et sa tête, conscience prisonnière d’elle-même, qui tourne entre les os du crâne, traversée de pensées obsédantes, traversée d’une voix qui ne cesse jamais de parler, et descend quelquefois dans la nuit des organes mais ne s’épuise que dans le sommeil, lieu d’un silence noir où s’abolit le monde, lit d’une anesthésiante paix. Ce peu de soi, que ce soit celui de l’auteure ou ce peu qui survit de l’esprit de sa mère, c’est un corps qui gravite dans l’imperceptible, qui pèse peu, fait peu de bruit, ne s’accommode que de son allègement. Pourtant ce corps a une voix, qui, lorsqu’elle s’habille en mots, affleure en même temps qu’elle épouse précisément le point de contact avec les choses, avec l’instant. Car il y a, dans ce tourment (perpétuel assurément pour quelques-uns), et cette hésitante consolation à la perte, l’espoir d’une communion sereine avec le monde qui émerge çà et là, mais s’avance d’abord comme une promesse à soi-même:
je deviendrai moi-même
j’accomplirai l’espoir
[…]
de cette nuit jailliront mes envies
amies de la sollicitude
sans que jamais mon cœur s’écorche.
Car il s’agit de se rejoindre et, dans le même mouvement, de rejoindre aussi l’autre, fût-il ou fût-elle disparu(e) et plus largement l’univers entier, dans une posture volontariste:
je peux écouter le silence
la gamme claire des instants
qui se joue dans la transparence
où peut renaître le souffle
[…]
et que je peux recommencer.
Car il s’agit bien, dans ce texte de Claire Desthomas-Demange, de « rejoindre » – soi et le monde – de dire ce qui est fendillé, brisé, de tenter une réparation, sans illusions naïves cependant et prétendument satisfaites, humaines donc, mais de composer avec la réalité de la mort et avec le mystère d’être là, de renaître:
une partie du ciel
se mire dans le lac
sans nulle ride bleue
[…]
le passé est léger
une mer tranquille
où je ne tangue plus.
Ne plus tanguer, c’est bien cet exercice difficile auquel nous condamne la vie, exercice jamais tout à fait accompli puisque
quand vient le crépuscule
je cherche d’un dernier regard
la lumière qui s’éteint
et je me sens mourir un peu.

« La poésie, déclare le poète Alain Freixe dans un entretien, a le devoir de nous redresser. » Et il entend par là que se dispensant de tout discours philosophique et intellectuel, ou de la précision du concept, elle se doit d’aller à l’essentiel de ce qui interroge notre relation au monde dans ce pur sentiment « d’être là » que Rousseau, regardant le ciel, écoutant le flot battre le flanc de sa barque livrée à la dérive, et s’abandonnant à l’oubli de soi, désignait par les si simples mots de « sentiment de l’existence ». C’est à ce sentiment que veut aussi nous rappeler Claire Desthomas-Demange dans Noir. Mais goûter
la nuit et le jour dans la transparence
tous deux au grand jour et
simplement vivre
sans que son cœur cogne
réclame que l’on fasse la démarche de se rassembler, cet effort de soi dans cet élan vers « l’autre » qui
murmure sa renaissance
dans la ouate du silence.
C’est ainsi que l’on « se redresse », retrempant sa raison de vivre dans ce qui, au-delà de la mort et dans sa pensée apaisée nous réaccorde à
cet écho d’étoiles
force du mystère
et au vent (qui) se lève sur la terre des jours. Pourtant ici, qui sourd des pages, une intranquillité se dit, transpire; pour autant, disais-je plus haut, nulle métaphysique ni intellectualisation, plutôt un pigment particulier sur le papier, qui affleure et donne cette coloration d’une grande douceur, comme celle de cette nuit radieuse (qui) porte sa présence. Car c’est aussi dans le sentiment de l’absence, l’épreuve de la perte et l’espace du deuil que l’amour se réarme contre la lumière sombre et la prière vide, et contre le silence des oiseaux et l’insoluble attente, pour peu que l’on reste attentif à l’aube aux pieds de brume et à
la furtive lumière
fugue fragile sur le champ de fleurs.

Ce pudique et émouvant hommage que Claire Desthomas-Demange rend à sa mère disparue est ce qui, dans ce texte, nourrit de sa sève ce si peu apprivoisable « sentiment de l’existence ». C’est ce que plus haut j’appelais « l’essentiel », et que seule la poésie au plus près de ce peu de soi, offert dans son dépouillement, jusqu’aux limites de sa nudité, est en mesure de traduire.

Michel Diaz, 13/01/18

Dans l’inaccessible présence – Michel Diaz & Jeannine Diaz-Aznar (novembre 2017)

Extrait du texte (Thi Lùu éditions)

 

    Peut-être une ombre

     mais peut-être rien

     qu’un gémissement d’herbe

 

     un doigt de l’air

     sur la paupière

     dont on ne sait s’il s’est posé

     ou s’il s’en va

  

     Rien que cela

     un signe dans le vide

     qui n’attend aucune réponse

  

     Et c’est assez déjà

     pour donner un sens à l’énigme

     dans laquelle se perdent nos vies

  

     comme il suffit de

     retourner une feuille de vigne

     pour nous souvenir de ces lignes

 

     labourées au creux

     de nos mains