Raphaël Monticelli – un poème inédit

À la Dame de Millepertuis

La voici au seuil de ton palais, tu hésites encore, et tu trembles, un peu, comme si tu ne le connaissais pas, comme si tu ne te connaissais pas, comme si tu ne la connaissais pas.

*

Te voici au seuil de ton palais. Il résonne de toutes les voix que le monde a connues, et de celles qu’il ne connaît pas. il prend toujours la forme des voix qu’il accueille. Les voix du monde le modèlent. Elles lui donnent son sens et son énigme.

Quand la voix frappe ton palais, elles y arrondissent l’espace, y forgent des pièges à échos

*

Quand ta voix frappe ton palais, elle y creuse des gorges, y coud des nids.

Quand la terre se fend et geint, les voix secouent le palais qui se tord et souffre. Rien ne l’abat.

Ton palais connaît les ouragans et les tempêtes. Voix mouillées de salive et de larmes, à gorge noyée.

*

Les esprits animaux aiment reposer dans le palais, traversés des voix qu’ils traversent.

Quand nos voix frappent le palais, elles y tressent des douceurs de terriers, y sculptent les totems des termites. Ont-elles donné naissance aux insectes volants? Ces insectes sont-ils des bribes de voix?

*

Les scarabées bousiers sont les gardiens du palais. Ils recueillent et engrangent toutes les voix perdues.

À l’abri dans le palais, les scarabées dorés soumettent les voix inconnues à l’industrie subtile des scribes rêveurs.

Des bêtes pensives au front épais paissent dans le palais. Et entre leurs cornes un ciel prisonnier murmure.

*

La danse furtive des bêtes de l’eau anime le palais. Ce sont les signes inattendus du silence.

Des ruisseaux de sable coulent dans le palais, ils charrient le soleil sec des voix inentendues.

Fidèles à tous les souffles, les champs de blé, d’orge et de seigle bruissent en chants menus dans nos palais.

*

Cette tension dans les chambres du palais : airs de murmures, airs de soupirs.

De grands corridors relient les portes du palais. Les voix s’y déploient et s’y densifient.

Le palais s’ouvre par mille portes. La toute première, percée dit-on par Dieu lui-même, est celle de la langue première.

*

Les portes du palais se joignent les unes aux autres. Traversé de lumières ouvert à tous les vents, mon palais, le palais de toutes les voix.

Sur les murs de ton palais, j’ai déployé l’armée timide de nos signes. Personne ne sait les déchiffrer.

Les sols du palais portent en creux les piétinements d’une bruissante humanité. Traces sur traces, voix et temps enfouis.

*

Chaque matin, un long tremblement parcourt les portes d’Orient de mon palais, et je frissonne d’inquiétude.

J’aime par dessus tout ce moment bancal où, dans mon palais, se fiancent les crépuscules de toutes les voix!

Quand elle est avalée dans le palais, chargée de lune, de brasillements ou d’odeurs de pluie, la nuit ne fait rien taire de mes voix.

*

Quand les voix poussent les frimas dans le palais, ce sont cristaux qui s’entrechoquent et crissent et craquent.

Dans le palais, il est des patios d’arbres sévères gardiens de nuages et protecteurs de ciels

et un puits inépuisable où les voix se mêlent en gouttes à la liquidité des pierres.

*

Les toits du palais ne résistent pas au Zénith. Il les crève. Et, avec la lumière, les voix déferlent dans ses intérieurs.

Toutes les voix du monde modèlent mon palais, voix inconnues, voix disparues, voix éteintes. Et toutes ces voix font ma voix.

[…]

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