La Voix du Basilic, n° 21, mai 2012

 

A DEUX DOIGTS DU PARADIS, de Michel Diaz. 

Pour l’auteur des neuf nouvelles réunies sous ce titre, il est un fil conducteur, celui du passage. Fil conducteur pour avancer, s’enfoncer plutôt, dans l’univers étrange, envoûtant, que Michel Diaz sait créer par des évocations fortes, maniant une langue riche et imagée et usant d’un talent pour la construction narrative qui saisit le lecteur dès les premières pages.

Il en est deux, de ces évocations, justement intitulées Passages ( I et II) qui donnent à entendre deux textes qui se font écho dans les voix de Nina et de Michaël, un vieux couple, à l’heure où, dans un mouroir – hôpital ou maison de retraite – tout semble s’achever pour lui. Pourtant la vie est là, portée jusqu’au bout par l’amour. Les souvenirs affluent – les bons et les mauvais – d’une longue vie commune, et transfigurent les lieux sordides du quotidien qui s’effacent au rappel des paysages et des bonheurs d’autrefois, ainsi que par l’énergie de celle qui entraîne son compagnon dans le rêve d’une balade imaginaire, tentative d’évasion ultime : « Je lui ai dit : voilà ce qui nous reste à faire… Nous aurons la nuit devant nous… Imagine… Nous sommes partis… Sur la pointe des pieds… Et chacun son petit balluchon… Pas difficile de tromper la surveillante en passant par derrière… ». Au fil de ces pages haletantes, par l’alternance des graphies et la ponctuation suspensive se manifeste l’acharnement à vivre, à aimer, et la lucidité de ces deux personnages, deux belles figures d’humanité qui parviennent au seuil de leur paradis, dans la sérénité.
C’est émus que nous allons plus loin dans le livre, suivant le/les narrateurs dans leurs errances à travers des paysages, des univers, anodins a priori mais qui soudain basculent dans des atmosphères lourdes d’angoisse, tandis que les personnages se débattent avec leurs frustrations, leurs fantasmes. L’auteur ne prétend pas nous les rendre tous forcément sympathiques, poussant parfois le trait jusqu’à la caricature et le ton au sarcasme.

Les situations sont le plus souvent de grande solitude, de rupture et de remise en cause (amoureuses, professionnelles, familiales) ; pourtant, à contrecourant de la désespérance, il y a une recherche d’apaisement, cette tension vers le paradis, par un travail sur soi-même qui peut se faire par le retour aux sources, aux souvenirs ; et c’est pourquoi la chronologie se bouscule parfois dans ces récits où les temps se juxtaposent – présent, passé , et conditionnel, mode de ce qui n’est pas, mais de ce qui est possible. Les représentations se fondent, et sont convoqués père, mère, figures admirables de courage ou d’autorité jusqu’à ce que les rapports s’inversent dans des rêves ou des accès de délire dans lesquels ceux de l’Homme font écho à ceux de la Nature.

Michel Diaz nous entraîne aussi dans ses marches en campagne ou aux bords des fleuves, dans les méandres d’une conscience en prise à des pulsions meurtrières; la force de l’auteur résidant dans la création d’ambiances inquiétantes, ambiguës, mais sans réelle certitude quant au passage à l’acte. Ou bien il n’y a plus de promenade : enfermée dans un petit appartement, une comédienne, aujourd’hui oubliée, ne s’enlise pas dans les regrets de sa beauté passée ni dans la nostalgie de ses rôles, « Elle est là, elle attend, faisant le propre, le net, le vide. » (…)« Pour entrer doucement dans la mort. Ou plutôt, pour sortir de la vie . Discrètement. » Vers quelle renaissance ? Tandis que nous, lecteurs, sommes devant «la révélation qui soudainement nous projette dans d’autres territoires de nous-mêmes, d’autres contrées de l’expérience où de nouvelles configurations psychiques se redessineront en nous . »

Nouvelles sombres, sans doute, à l’humour parfois noir ou grinçant, mais toujours portées par un imaginaire où le visible côtoie volontiers l’invisible et le quotidien l’onirique, un style qui charrie des pépites de pure poésie, ces textes sont d’un auteur qui ménage aussi une belle part à la sensibilité, à l’émotion, et sait nous rapprocher un peu plus de ces zones obscures enfouies en nous-mêmes que la littérature a seule pouvoir de nous révéler.

Marie jo Freixe.