Archives par étiquette : Un an de noyaux de cerises

Un an de noyaux de cerises – Octobre 2014

Noyaux de cerise

Un an de noyaux de cerises – Relink éditions –
Recueil de poèmes de Sylvie Azéma-Prolonge lu par Michel Diaz.

Chronique publiée dans Chemins de traverse, N° 45, décembre 2014

 » Ça n’a pas de nom
Ça n’a pas de prix
Ça a fait son chemin »

« Ce sont ces trois vers, annonce la quatrième de couverture, qui pourraient être emblématiques de tout le recueil : une poésie buissonnière… Des vers vagabonds, courts ou longs, trop fous pour être enfermés dans une métrique stricte, des messages-offrandes, de jour ou de nuit, à toute heure, une écriture en zigzag, périlleuse parfois, l’acte poétique en chemin de traverse, une sorte d’ivresse. »

Sylvie Azéma-Prolonge nous offre un recueil tout entier composé de ce rythme ternaire qu’elle dit proche du haïku. Mais le haïku, au contraire, forme poétique très codifiée (même sous sa forme occidentale), obéissant à des règles de composition rigoureuse, prend toute sa dimension dans un rythme soumis à une métrique invariable à laquelle les vers ne dérogent jamais. En fait, si nous sommes loin de la forme stricte du haïku, nous n’en sommes pas trop éloignés dans l’esprit, dans la mesure où ces poèmes visent, ici aussi, à dire l’évanescence des choses, à traduire le passage fugace d’un sentiment, le vibrato d’une émotion. Ainsi :
« Au cœur du ciel noir
Le vent contre ma tempe
Douce première goutte sur ma peau »

ou :
« Il est là en face de moi, dans le train
Nous lisons le même livre
Et faisons comme si de rien n’était »

Ce recueil est composé de 366 courts poèmes écrits jour après jour, qui couvrent le temps d’une année, de juillet à juillet, et qui, datés à l’heure et à la minute près, semblent jaillir à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, comme si l’esprit qui les a conçus demeurait toujours en état de veille, prêt à fuser dans une image, et travaillait en même temps à se maintenir toujours dans cet « entre-deux » de la conscience si propice à la rêverie poétique et à l’émergence des mots.
Drôle (pas toujours si drôle que ça !) de petit livre qu’on peut lire dans tous les sens, du début à la fin, à rebours, de la fin au départ, qui se permet insolemment d’aller de l’observation concrète la plus terre à terre à l’évocation délicate d’un état d’âme, d’une notation réaliste et topographique à une réflexion qui prend forme de « cri intime », drôle de petit livre, oui, et qui, en nous, d’un texte à l’autre, imprime son sillon.
Ça a l’air de ne pas se prendre au sérieux pour mieux cacher que ça l’est vraiment. La vie y passe, jour après jour, en pointillés, ombre portée fuyante aux insaisissables contours avec, parfois, on le devine, des sanglots retenus, ou des gestes de nonchalance qui prennent des allures de bravade, de faux airs de ne pas y toucher, ou des mots qui se teintent d’accents d’ironie douce-amère :
« A gratter les murmures j’ai fait croûter
La peau du chagrin
Un bruit fort serait un baume »

Ça crache vers le ciel des noyaux de cerises comme on fait des ronds de fumée, tête renversée en arrière et yeux clos, ou comme on jette des graviers dans l’eau pour tromper l’ennui, la mélancolie, les chagrins ordinaires des jours, et on en reçoit parfois un dans l’œil. Car Sylvie Azéma-Prolonge nous rappelle qu’il n’est pas facile de
« Rester à hauteur d’homme
Dans la rythmique de l’été
A l’article de la vie »

Et elle use aussi, pour cela, de mots équilibristes posés sur le fil du rasoir, mots jongleurs, jonglés, jeux de mots qui s’amusent d’eux-mêmes ou bégaient, en allitérations ou onomatopées, car la vie est trop capricieuse et trop imprévisible pour être prise tout à fait au sérieux.
Mais quoi qu’on dise ou fasse, nous avons souvent l’occasion d’avoir le cœur gros, le regard et l’âme embués, et on ne sait pas toujours comment, ni où, ni auprès de qui s’abriter « les jours de grêle ».
Tout cela, en tout cas, mouline sa petite musique de nuit et de jour, qui passe de la pénombre à la lumière, et du grave à l’aigu d’un cri de bonheur échappé ou d’un rire qui dissimule le coup d’épingle des douleurs.

On est, dans ce drôle de petit livre, dans la chair même de l’existence et dans l’à-vif des sentiments, quelquefois en bordure d’abîme, le plus souvent, comme l’écrit l’auteure, « dans une zone indicible de rapprochement, d’achoppement. » Et, en effet, ces pages, nous rapprochent un peu plus de « l’autre », comme elles parlent de nous-mêmes qui portons, comme nous pouvons, nos fardeaux de misères et sommes pour nous-mêmes notre pierre d’achoppement… De nous-mêmes, c’est-à-dire aussi de ces joies minuscules qui font le bonheur d’être. Oui,
« Et si on se faisait une belle étoile
Un petit matin à la flamme bleue
D’un butane » ?

C’est cette tendre flamme bleue qui court d’une page à l’autre de ce recueil, trop discrète pour éclairer la nuit, mais suffisante pour y allumer une petite étoile.

Michel Diaz.