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La cendre grise pour demain – Léon Bralda

LA CENDRE GRISE POUR DEMAIN

texte de Léon Bralda, images de Michel Coste

Cahier de l’Entour N° 38 (2019)

Article publié dans le N° 79 de Diérèse, automne 2020

Le numéro 38 des Cahiers de l’Entour (un tirage, comme toujours modeste, de 50 exemplaires), ce sont 22 pages également partagées entre le poète Léon Bralda et le photographe Michel Coste qui, de ses riches noirs, blancs et gris, et d’une matière indéterminée, racines, écorce, pierre, pâte de temps fossilisée, fait remonter à sa surface on ne sait quels fantômes, figures de la peine (on peut penser aux esclaves de Michel-Ange) dans lesquelles sont encore visibles, incrustées dans leur mouvement arrêté, quelque trace d’un jour crayeux et d’anciennes ruines de vie.

Dans ce texte, extrait de « A la marge, la nuit », Léon Bralda chemine à travers mots et d’une image à l’autre, comme on écarte de l’épaule les pans de la nuit qui nous cerne, s’y risquant à voix douloureuse, à la recherche d’un peu plus de lumière, comme l’on s’avance de pierre en pierre pour passer le gué du silence : Il y a toujours un drame noué tout au fond de la gorge lorsque le soleil luit si haut sous la parole et qu’un secret pèse dans l’herbe humide des bas-fonds. // Le silence a rongé les montants des fenêtres. Un espace inouï frappe où le feu prend, sans rien que de la cendre grise pour demain.

La fréquentation de l’espace propre à la poésie permet qu’une patiente et humble marche intérieure s’accomplisse en nous, cheminements de solitude, passages vers l’intérieur de l’être et le secret de ces paysages qu’ils ouvrent, ces circulations vitales qui les parcourent : Je longe la barricade que reconstruit le jour. J’embrasse un vide étrange et lumineux. Je bois à la fontaine une lumière vive, déjà vieille du temps que charrie la distance.

Ces cheminements à travers l’espace géographique, comme à travers celui ouvert par l’écriture, vers un peu plus loin que soi-même, ces territoires où la vie taille dans la mémoire, c’est cela, pour autant qu’on le puisse, essayer d’apprivoiser l’invisible, les mystères des voies vers la compréhension de notre appartenance au monde : La terre, et l’eau, et l’herbe ont un secret… Femme fertile, frêle fleur fécondée par le feu : ce froid fossile de ma nuit.

Il y a pourtant autant d’inconnu devant soi, logé dans nos questionnements, que d’invisible dans l’espace : Dans l’errance du pas que présage un désir, d’anciens vestiges ont proclamé le deuil, ourdi le souvenir// Et je ne peux que croire à mon infirmité. Voir ne nous servirait de rien ? Ne rien voir nous soulagerait de tout ce qu’on a vu, et si ta fatigue est poussière au miroir de tes mots, s’il se fait, sous les versants de la montagne, une voix pleine de reproches, est-ce parce que nous ne pouvons que vivre dans le renoncement ? D’ailleurs n‘a-t-on pas déjà sondé ces champs de pierres ? N’a-t-on pas, et pour le souvenir, fouillé la moindre faille ? Ouvert le moindre vide au vide du matin ? N’a-t-on pas retrouvé l’os et le bois calciné ? // Que cherchons-nous, au fond, sinon nos origines ?

Ces cheminements incertains, et à mots tâtonnants, c’est aussi cela essayer d’avancer en nous appuyant sur ce qu’il y a de moins tangible en nous, pour nous apercevoir qu’il n’est rien de plus sûr, de plus solide et de plus essentiel que cette insoutenable vérité : cette immobilité trahit ton émouvant destin : tu meurs aussi et ton visage, peu à peu, se couvre d’un sable fin qui compte tes silences. Une vérité dont rien de ce qu’elle provoque de révolte ne pourra subsister sinon cet habit noir piqué de lèvres blanches, ce drap de pierre et d’ombre, de bois taillé aux lames du désir.

Michel Diaz, 21/10/19