Quatrième de couverture :
Le thème qui rassemble les textes réunis ici est celui de la langue même, son désir de traduire en mots ce qu’il faut arracher au silence. « Toute parole tue est reposoir d’obscurité », écrit l’auteur dans sa préface en citant René Char. Ainsi, les pages consacrées au fleuve nous ouvrent un imaginaire poétique où la parole nous invite à questionner l’apparence du monde, à écouter au fond de nous le murmure des mots d’avant toute parole et le temps d’avant toute mémoire. Cette parole s’essayant encore, en d’autres pages, à épouser le mouvement de la pensée dans les tâtonnements de l’acte poétique, les vertiges de son errance, nous entraîne dans les dédales de son cheminement, au bord de l’indicible même où toute langue se dissout, tout langage s’effondre.
Poésie qui questionne et qui se questionne, cette démarche est celle d’un poète dont l’écriture, qui peut être solaire ou plus sombre, lyrique et sobre tour à tour, s’attache à cerner l’essentiel de ce que lui ouvre sa quête.
Extrait du recueil :
Il y a dans le cœur de terribles labours
pareils à ceux de la tempête acharnés sur la mer
il y a tant de sang confus au fond des yeux
que les jambes parfois titubent sur la route
où sont les mains tant espérées
si douces à la nuque aux hanches si brûlantes ?
les mots tressés
comme des lianes à la branche des jours ?
les jours peuplés de feuilles
et les feuilles de nids ?
les heures vont pourtant
creusant leurs traces de glacier
le gris du ciel grince aux lucarnes
chaque aube doit lutter contre un nœud de nuages
où aller cependant
malgré les certitudes qui s’effondrent ?
sinon vers moins d’impatience moins de harcèlement
moins de cris discordants au bord des puits stériles
au fond desquels veillent les monstres ?
où sont les mains tant espérées ?
qu’espérer d’autre que des yeux
aptes à déchiffrer la pluie
des paumes transparentes au soleil
un battement de cœur qui se satisfait d’exister ?
il faudrait tout bas épeler
la nuit et l’eau qui se donne
la respiration de la lampe
le chat qui dort le chien qui rêve
la paisible araignée qui tisse le silence
où sont les mains tant espérées ?
l’ombre qui me regarde s’accoude à la fenêtre
y découpe la face du ciel
y imprime l’haleine de l’hiver finissant
brûlante note de hautbois
le cri d’une effraie troue
la vitre comme une étoile
il y a dans le cœur de terribles labours
il y a tant de sang confus au fond des yeux
mais dites-moi :
où sont les mains tant espérées ?