Michel Diaz
Ignorez-moi passionnément
Rester vivant.
À cette seule fin, il te faudra encore aller, sur tes sentes d’étroite lumière, vers cela qui toujours, devant toi, fait masse, se dresse comme un ciel aveugle qui recule à mesure et, sans jamais céder, repousse et ralentit ton désir d’avancer,
vers cela contre quoi tu dois sans cesse te cabrer, cette force d’inerte paroi qui ne peut que laisser à vif et inapaisé, avec, au bout des ongles, ce qui saigne, avec aussi, entre les côtes, cette blessure qu’il te faut désemplir sans relâche de la nuit qui la guette.
Il faudra bien un jour, dis-tu, que se lèvent tes yeux, ta bouche, ton visage, aux marges de tout silence, dans sa sécheresse de paille,
que se lève ta voix, cette pierre en ces routes de pierres où l’on pèse son pas,
que se lèvent ces mots qu’a semés ta parole, comme se redresse le chien couché sous l’auge où on l’a si longtemps oublié.
Je sens bouger en toi, qui de si loin me parles, des foisons de semence, cette amitié que tu cherchais dans sa famine immense et ses entrailles remuées de tant de vaines espérances.
Il suffisait pourtant d’un seul regard, dérobé au suspens d’une brève rencontre, pour que ta mémoire s’éveille et quitte la paix engourdie de la chambre des morts, d’un seul trait de soleil à l’oblique du cœur pour que s’efface le chagrin qui hante ton sourire.
Il ne suffisait que d’un arbre qui tremble sous la caresse de ton geste, ce qu’il se risquait à donner, sans rien attendre d’autre que ce que peut attendre une chanson perdue dans l’accueil de ses branches et la quiétude de ses feuilles où les voix étranglées font leur miel.
Ni regrets cependant, ni remords.
Maintenant que tu es aux portes de l’ombre, l’essentiel, te dis-tu, est d’accepter la nuit, d’y prolonger ta route pour qu’au bout ce soit enfin le jour.
Oui, maintenant, tu peux le dire, et cela seul suffit à l’émergence d’une secrète mais ardente joie : ignorez-moi passionnément.
M. Diaz