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Owakudani, terre de soufre – Michel Diaz – Pierre Fuentes (février 2016)

OwakudaniOWAKUDANI, TERRE DE SOUFRE, images de Pierre Fuentes, texte de Michel Diaz (éd. L’Atelier du livre d’Art, 2016)
Introduction au livre :

« Nous inscrivant dans la pensée de René Char selon laquelle il ne faudrait « pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire », nous pouvons dire de la poésie que, se saisissant de la réalité, elle nous en suggère d’autres lectures. En se jouant des codes culturels qui imposent le sens des mots à la langue et, par là, au regard, elle nous offre les moyens de nous en affranchir et, ainsi, de nous confronter à l’énigme de l’univers sensible et matériel. Le seul qui nous importe dans sa vérité, ni univoque ni définitive, mais qui constamment se dérobe et que nous tentons cependant de saisir en entrebâillant l’espace de pénombre où s’étend, au-delà des yeux et des mots, l’infini du réel. C’est-à-dire cet inconnu dont notre imaginaire nous propose un mode de déchiffrement.

Depuis quelques années déjà, et dans quelques-unes de ses précédentes séries, Pierre Fuentes a creusé, dans son rapport aux objets et aux lieux qu’il photographie, le sillon d’une démarche poétique toute personnelle. Démarche non de « transfiguration » de la réalité, mais de « dévoilement » qui nous autorise à « nommer les choses impossibles à décrire ». Dans sa vision du monde sensible s’inscrivent les signes éternels de notre relation à l’univers, autrement dit ce qui, par les moyens de l’art, nous ouvre toute perspective d’y trouver notre place.
Ces images de Pierre Fuentes, ramenées du Japon, et qui constituent la présente série, Owakudani, images d’une soufrière où ses pas l’ont conduit, n’auraient pu être qu’étonnantes. Cependant, son travail d’artiste en a fait des œuvres dans lesquelles on hésite à voir ce qui emprunte à la technique de l’eau forte ou du dessin à l’encre. Et c’est le traitement particulier de ces images, ce qu’il en a fait d’inspiré, qui nous ouvre les voies de ce qu’on peut y voir comme témoignage d’un outre-monde.
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En cela, l’artiste renoue, par-delà sa propre culture, avec ce qui, lié dès l’origine à la tradition bouddhiste theravâda et à la religion Shintô, surpeuple les arts japonais de fantômes ou de créatures de l’au-delà (théâtre kabuki, contes populaires, poésie épique, peinture, cinéma aujourd’hui et mangas), laisse ouvert le passage entre le monde des vivants et celui des morts, mais aussi des esprits bienveillants, des démons menaçants ou terribles. Certes, cette intention n’est pas véritablement explicite dans ces œuvres du photographe (et sans doute même s’est-elle imposée à lui sans qu’il en prémédite l’intrusion). Mais il n’en demeure pas moins que dans les images qu’il donne à voir s’ouvre l’écart entre les choses vues par notre œil rationnel et ce qui constitue la matière du rêve. Ce terreau de l’âme où viennent puiser les racines de notre inconscient collectif et universel, cet espace d’imaginaire où s’élaborent les mythologies.
Il suffit de tourner les yeux vers les chemins qu’il nous propose, d’écarter avec lui le rideau d’une réalité dont d’ordinaire se contentent nos yeux, et de lui emboîter le pas ou, plutôt, de suivre son regard.
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