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Carnet de montagne – Claire Desthomas Demange

Carnets de montagne

CARNET DE MONTAGNE – Claire Desthomas Demange – Editions Musimot (2016)

 Chronique publiée sur le site des éditions Musimot

Claire Desthomas Demange est une « escaladeuse », elle aime la montagne et la tutoie, se confronte amoureusement à elle à mains nues, corps collé à la roche, existence au-dessus du vide et confiée à la seule maîtrise de ce que réclame cet exercice. Dans ce rapport à elle, qui implique un engagement passionné, la montagne ne pardonne pas la moindre insuffisance.
Il s’agit pourtant moins, dans ce texte court, d’un « récit d’alpinisme » que de quelque chose qui relève essentiellement de ce que l’on pourrait appeler une quête spirituelle. Et la quête, souvent, répond à un appel. On lit d’ailleurs ces mots, dès les premières pages :
« … vers les sommets de l’abandon
là-haut tu seras autre
ce qui est peur devient élan
dans le vertige du vide
je t’invite dans l’abrupt
largue les liens du sol »

Ce Carnet de montagne, écrit dans une prose poétique sobre, fluide et lumineuse, entrecoupée de vers, se compose de 16 sections datées du jour où l’auteure les a rédigées, précédées et suivies de 3 autres qui ouvrent et clôturent le texte principal (le carnet proprement dit), et lui servent davantage de parenthèses que d’introduction et de conclusion..
Les parenthèses sont, dans un texte, ordinairement destinées à y insérer ce qui, en s’excluant du cours de la narration ou de la réflexion, en interrompt le fil et, comme en confidence ou comme en aparté, infléchit le sens du discours. C’est donc, pourrait-on dire, dans l’intimité d’une confidence que s’offre l’essentiel du texte.
La première des parenthèses a pour titre « Avril avant », et la dernière « Après ». Le texte qui, par conséquent, occupe le milieu du livre, est ce qui se tient dans « l’entre deux » de cet intervalle, entre ouverture et fermeture, et débouche sur « Jours infinis ». C’est donc dans ce qui tend « vers cet infini des jours » que se trame le corps du livre. Il est d’abord tissé de la matière insaisissable de l’attente, puisque la narratrice, empêchée par les conditions météorologiques, ne peut aller se confronter aux pentes qui l’attendent : « J’ai ouvert le rideau. La brume nappe la vallée. Elle monte, expire sa nuée, annonçant un jour blanc. Le relief a perdu ses empreintes.[…] Pas d’escalade aujourd’hui. Pas de battement d’ailes. Pas de germe d’inconnu. »

Ainsi s’égrènent les jours 1, 2, 3, presque tous les suivants, dans l’espérance d’une enfin possible échappée vers les hautes pentes de la montagne. C’est bien la singularité de ces pages que ce choix de l’auteure de les tenir ainsi, dans un « suspens », non insérées dans un récit, mais dans une chronologie presque immobile, un temps intermédiaire où ne se passe rien, si peu de choses, comme une vie se ralentit, un esprit s’engourdit, un cœur bat à coups lents, non qu’il veuille cesser de battre, mais plutôt s’épargner la douleur de l’attente puisque
« demeurer est sans mystère
aussi plat que la plaine
je ne peux arracher l’impossible
et rien ne me sépare de moi-même »
Certes, il y a bien eu, avant ces jours de brumes et de pluie, cette attention émue à ce qui se joue sourdement dans le passage des saisons, au paysage qui chavire de l’hiver au printemps, des promenades (en attendant mieux) sur des chemins herbus qui vaguent sur les pentes, les fleurs cueillies dont on fait au retour des bouquets déposés « dans le pichet de verre devant la fenêtre réfléchissant les sommets qui veillent, quelque peu ombrageux ». Mais on sait que ces presque riens ne sont que « passe-temps », des espaces de diversion où Claire Desthomas Demange glane et rassemble les promesses de ce qui l’attend là-bas, vers l’ailleurs, là où sa vie s’exalte et se dépasse en s’oubliant à elle-même dans l’effort tout physique de l’accomplissement.
Reste à prendre son mal en patience : « Il pleut. La montagne est un mur gris. On la voit à l’aveugle. […] Où suis-je, où sommes-nous ? De l’autre côté de la vitre mais sans hier et sans demain. »
Les jours de pluie, les jours de brume, sont des jours gris et blancs, sans vrai commencement ni véritable fin, comme des jours de mi-sommeil qu’on voudrait effacer de la suite des jours, une succession d’heures inutiles : « Pas de jour 7, écrit l’auteure. Je le mets entre parenthèses. Il n’y a pas eu de commencement. Pas la moindre échappée chaleureuse; pas la moindre éclaircie. » Mais il lui faut bien se résoudre à passer par ces heures de presque somnolence où tout l’être se tient en retrait de lui-même, et l’esprit en veilleuse, comme on dit aujourd’hui d’un appareil « en veille ».

C’est cependant dans cet état que se promet ce qui, dans son essence, relève de la poésie. Cet état incertain, « à la pliure » des deux mondes, qui n’est ni veille ni sommeil, mais espace d’accueil psychique où les visions du monde, ses images, ses couleurs et ses bruits, se trouvent augmentés des capacités de l’imaginaire et des forces de l’inconscient, soulagées pour un temps de l’emprise de la raison : « La montagne est à escalader… après l’avoir cueillie, brève vision de paradis, au sein de la réalité minérale. » Réflexion qui rejoint les constantes de la rêverie symbolique dans laquelle, souvent, la montagne se trouve assimilée aux lieux du paradis.
Mais revenons à cet état dont nous parlions plus haut. On lit, chez Cervantès, ces mots de Don Quichotte : « Regarde la sérénité de cette nuit. Vois la solitude où nous sommes, et qui nous invite à mettre quelque intervalle de veille entre un sommeil et l’autre. » Il faut ici nous rappeler que toute la littérature du Moyen âge est aussi sensible à ce phénomène. On y évoque, ici et là, ce sommeil léger qu’on dénommait la « dorveille » par opposition au « sommeil du mort » de première partie de nuit, fait de sommeil très profond. On utilisait ce mot de « dorveille » pour désigner cette période de semi-vigilance très propice à la créativité, à la prière, et également aux états modifiés de conscience source l’imaginaire onirique. Chrestien de Troyes l’évoque dans son Roman de Perceval (ou Conte de Graal), ou dans Le Chevalier de la charrette où il écrit : « Lancelot se trouvait si profondément enfoncé dans l’ennui où le plongeait l’absence de sa Reine, que le monde alentour de lui avait l’inconsistance d’un léger nuage de brume. » Répétons ces mots de Claire Desthomas Demange qui écrit : « Pas de battement d’aile. Pas de germe d’inconnu. Je m’ennuie. » Et elle ajoute :
« vacance
inachèvement
je ne pourrai pas m’inventer
sans révélation je resterai
ce trop accessible me colle à la peau »
Mais c’est dans cette « vacance », cet « inachèvement », cet état de « dorveille » et d’inconsistante réalité que se mijote la rencontre, dans cet ajournement que se prépare la « révélation ». Celle qui lui sera donnée quand
« je serai(s) au cœur
du temps et de l’espace
sans plus de rivage
au sommet de l’aiguille là-haut »
Et c’est alors appel à la montagne à
« (lui) donner le vertige du monde
sans avant »
quand, le ciel s’étant déchiré, les sommets acérés des cimes pourront refléter la lumière qui l’aidera « à relever la tête », et qu’enfin « accrochée à la corde entre ciel et terre, corps et parois aimantés, dans le rejet du vide » elle pourra « en haut saisir un air d’éternité. »

C’est ainsi, incrustées dans ces plages de temps suspendu et de rêverie, que nous sont délivrées ces images de la montagne. Toujours source, chez l’homme, de sentiments contradictoires, comme ceux qui évoquent ici, récurrents, la « crainte » autant que le « désir ». Interdite et promise à la fois, elle apparaît aussi, en arrière-fond, dans le texte de Claire Desthomas Demange, comme lieu idéel, celui de la pureté originelle et de l’innocence perdue, promesse d’immortalité, centre et sommet du monde. C’est ainsi encore que l’auteure, sans abuser des mots, évoque la montagne, comme génératrice de paniques et d’exaltation, monde qui suscite depuis toujours le sentiment d’un univers qui échappe à l’échelle humaine mais nourrit son désir d’absolu :
« quoi de mieux pour dire l’espérance
la folle espérance du plus haut ailleurs
du plus bel ailleurs ? »
Et, en effet, proche des dieux, éloignée de l’ordre humain, la montagne est le point de rencontre privilégié entre le Ciel et la Terre, comme elle est le lieu le plus bas pour les dieux et le plus élevé chez les hommes.
Il nous suffit de feuilleter ces pages d’un Carnet de montagne pour y repérer d’un coup d’œil ce qui, comme nous l’écrivions au début de ce texte et un peu plus haut dans ces lignes, relève de la « quête spirituelle ». Nous y rencontrons le lexique de l’ascension de soi vers soi, dans une opposition de termes ou de notions qui invitent au dépassement (verticalité/horizontalité, haut/bas, ciel/terre, plein/vide…), et évoquent
« les promesses de vertige
l’extase verticale
les sommets d’étoiles »

Carnet de montagne détail
Mais ce n’est pas de la montagne-feu dont parle Claire Desthomas Demange, de la montagne-terre ou de la montagne-air. C’est plutôt la montagne-eau qui suscite son intérêt, la montagne associée aux sources de l’immortalité, à la croissance et à l’épanouissement, celle qui attrape les nuages pour garantir le cycle de la vie, puisque on peut rencontrer « plus haut, jaillissant de la falaise, la cascade qui de son jet puissant féconde le rocher dans sa chute incandescente. »
Montagne qui demande que l’on s’arrache au cours monotone des jours, à l’écoulement sans relief de sa vie, que l’on s’oublie dans cet effort ascensionnel pour tenter de rejoindre, au-delà de soi-même, dans le temps de l’éternité, ce lieu de pureté originelle où, là-haut, on est « autre », puisque toute ascension culmine en ascèse et exaltation.
Ainsi, nous rappelle encore ce texte, si nous montons jusqu’au sommet, notre regard se porte très loin et nous découvrons toute l’étendue autour de nous. Le symbole de la montagne, avec sa base et son sommet, se retrouve aussi en nous. La base, c’est l’intellect et le cœur toujours occupés à faire leurs calculs ou à user de ces paroles qui limitent ou brouillent nos pensées et nous induisent en erreur : « Toute parole dans la vallée n’est qu’expression virtuelle coupée du temps et de l’espace. Il n’en reste nulle trace. Elle ne peut s’inscrire sur le ciel. »
Le sommet, c’est l’esprit, dégagé de toute contrainte et de ses contingences, qui voit exactement de très loin, qui nous guide et nous affermit dans nos certitudes : « Echappée céleste. Mon cher amour qui jamais ne me leurra, et m’apprit que le seul leurre est celui de la certitude acquise. » Dans la pleine lumière du sommet, il n’y a pas de place pour les fausses certitudes, les leurres et les erreurs.

On peut alors comprendre que ce texte (que nous disions d’abord comme « retenu » entre ses parenthèses) fasse silence (ne faisant que l’évoquer) sur ce qui appartient à l’expérience intime de l’auteure. Une expérience dont la narration s’arrête au seuil des mots qu’elle nous donne à lire, comme au bord de l’intransmissible : « Sur l’échelle invisible de l’existence, si l’on passe sans faillir, l’avenir s’oriente vers le haut, vers un éventail de possibles, vers une espérance aérienne; une maîtrise sans doute illusoire du lendemain. […] Ancrée dans l’aptitude physique et son accomplissement intimement et subjectivement spirituel. »
Il faut lire le livre de Claire Desthomas Demange dans ce qu’il ne dit pas, qui est de l’ordre de « l’après », qui nous laisse devant une porte derrière laquelle nous devinons qu’elle a trouvé les marques de son cheminement le plus profond, sur lequel il lui faut être seule pour aller au plus près d’elle-même – et relève, sinon de l’indicible, du moins d’une démarche où s’invente sa propre existence.

Michel Diaz, 02.06.16

Fragments d’un carnet d’hiver (extraits)

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk
Photo :
Arbre solitaire dans la neige – Par BrOk.

Extraits du texte publié dans L’Iresuthe n° 37, printemps 2016

[…]

5 janvier
La nuit ne peut que frissonner au soleil matinal. Un soleil hébété de sommeil. Comme si un mirage de sel et de corps incertain prenait lentement consistance.
La neige d’hier se déguise sous des dehors de masques gris qui voudraient camoufler la détresse du jour. Mais voici celle-là qui remonte, pareille à l’eau d’un puits aussitôt qu’on vient d’y puiser.
Lente entrée dans la rade de l’aube où s’installe un autre silence. La fatigue d’un quai désert.
Le café fume dans le bol posé sur le rebord de la fenêtre. Des mésanges à longue queue s’agrippent aux rameaux dénudés du lilas. Venues faire ration de graines et de graisse.
A travers la faïence du bol, tenu entre deux paumes qui se prêtent à la brûlure, on restitue au monde ce foyer de chaleur dont le cœur toujours s’alimente.
Pour se sentir vivant, il faudrait convoquer ce miracle : être là, sans paroles, pas trop avant de soi et pas trop arrière non plus, mais juste en équilibre sur la ligne de crête du souffle, accordé au balancement des secondes, au rythme de leur pouls. Libre de toute attente et de toute désespérance.

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail110 janvier
On dépose bien ses chaussures mouillées sur le seuil de la porte. On peut y déposer aussi ce qui, de nous-mêmes, nous est un encombrant bagage. Ce qui tombe d’un mur mal bâti.
… Longtemps, j’ai rêvé d’habiter un corps, douloureusement inconnu et toujours hors d’atteinte. Un corps étranger, mais jumeau, qui depuis toujours m’attendait, au revers de la porte close. Sans chagrin de sa part et sans rien à défendre.
Un corps léger, de peu de signifiance, débarrassé du plomb de mes organes et s’avançant comme une danse dans le ciel ouvert. Un corps flottant dans la lumière en brumes, pareil à un éclat de rire du soleil après la pluie.
Un corps fait d’une autre matière, poussière et vent mêlés. Abritant une voix capable de répondre au bruissement des arbres et aux voix des oiseaux.
Une présence sans image sur la vitre sans fond des jours, se tenant en retrait, dans l’abandon du monde, un trou dans la pénombre, comme une éclaircie dans le cœur.

[…]

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail24 février
Il y a de ces jours que l’on pousse, tombereaux de charbon arraché, ongles nus, à la veine. On parle pour y voir plus clair dans le noir de la tête, emmuré dans son crâne, à l’étroit, et c’est pareil à une peur qui nous saisit à entendre le son de sa voix. Et c’est pareil encore au lent drapé d’un horizon de neige où ne s’imprime dans l’air dur que le cri sans écho d’un oiseau.
J’aurais tant voulu avancer, précédé du bruit blanc que fait celui qui sait tout le prix du silence !
Comme on laisse glisser sur sa main, me disais-je à moi-même, l’ombre légère d’un nuage, laisser venir à soi les mots, dans une amitié vigilante. Et les laisser se perdre aussitôt dans l’oubli, sans avoir pris forme ni sens.
Ils ne sont là, pourtant, au bord des lèvres, que pour annoncer quelque chose d’étrangement obscur qui n’a que la nuit pour mémoire et rien pour avenir qu’une ombre dévorante. Qu’aurions-nous donc à faire que les protéger du dehors en les protégeant de nous-mêmes ? Les préservant ainsi de la chair mortelle de la parole.

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail65 mars
… C’est là, et je n’invente rien, sous la peau de la langue.
Remuement des jours de misère. Revenus de si loin dans le souvenir. Et c’était, ces jours, sous les coups de la lame froide, une mince digue de mer qui ne parvenait à rien arrêter de l’incohérence du monde et de son absurde déferlement. L’envie de se cogner contre le mur de sa faiblesse, haute comme un vol d’éperviers, de l’arroser d’un flot brusque de sang, avant que de livrer sa chair aux serres des rapaces.
L’envie de disparaître au monde et à soi-même, et de rompre avec tout discours.

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail411 mars
Depuis aussi loin dans le temps que j’arpente le pont de la veille, je ne suis que nuit pour moi-même. Contre cela, mes yeux de chair ne peuvent rien.
Et le monde, alentour, ne fait que demeurer ainsi. Sourd, opiniâtrement, et comme replié sur les fonds de ses eaux dormantes où gît tout l’incompréhensible. Contre cela, non plus, la lumière du jour ne peut rien.
Il n’y a, peut-être, d’issue, heureuse ou malheureuse, que dans les risques de l’amour, de la souffrance et de l’éclatement. Car selon la logique inspirée par les yeux de l’Ange de la Mort, yeux qui, dit-on, recouvrent tout son corps, on ne peut avancer qu’en brûlant ce que l’on a jadis aimé, qu’en détruisant, l’un après l’autre, ses anciens visages. N’avancer qu’en danseur de corde, au-dessus de l’abîme et d’un centre vertigineux, œil ouvert largement sur un ciel qui voit geler nos plaies.

[…]

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail314 mars
C’était quand déjà ? et quoi au juste ?
J’étais là, parmi vous.
… Quelqu’un est là, j’aurais voulu vous dire. On ne sait qui. Qu’on devine pourtant, mais qu’on feint d’ignorer ou refuse de reconnaître. Et cela vient du fond, de là où les regards butent contre la nuit.
… Ne voyez-vous pas, entre vous et lui, cet anneau de désert, comme dans un champ de neige le gouffre où tombent les pas ?
Une voix qui parle, appelle, se confie, réclame qu’on lui rende son visage, ses yeux, que personne n’entend. Mais, tendant l’oreille, quelqu’un peut-être percevrait un lointain murmure d’abeille, un rien de bruit, un linge étendu qui s’égoutte.
Une voix. Au milieu de vous, et pourquoi dans ces creux de silence, cette lumière sans éclat ? Quelqu’un est là, qui ne peut vivre et ne dit pas pour dire, n’invente pas ses sons, comme l’arbre, jetant ses feuilles dans le vent, improvise les siens. Dire lui est une besogne dévorante. Ce lui est un bagne féroce où quelqu’un cogne contre la muraille, pour être libre.
Et comment ? quand l’aube même hésite à épeler son nom ?

[…]

Arbre-solitaire-dans-la-neige-Par BrOk-Détail525 mars
Pourquoi ne pas écrire ce qui va se passer ?
… Temps livide, indolore. Corps et esprit en rade.
… Et tous ces jours d’avant, cloués sur la roue de souffrance, qui est la seule vérité certaine.
Il faudra que le vent, sous les os de mon crâne broyés par la migraine, finisse par casser ses chaînes. Un vent haché de pluie, tourmenteur mais sans haine, qui dévasterait un peu plus mon jardin. Qu’enfin s’ouvre une porte.

26 mars
De quelle bataille suis-je celui que l’on abandonne à lui-même ? Et de quel combat le dernier témoin ? Ou, plutôt dirais-je, de quel corps à corps ?
Ce sera l’un de ces jours tristes où le crépuscule sera sans visage, la douleur sans épines, le cri des algues étouffé sous le poids de la vague.
La lame du rasoir s’enfoncera dans une chair aux poings serrés. L’oubli s’ouvrant devant, et rien qu’un peu d’étonnement. A peine. Un corps blotti dans le silence, recroquevillé. Une nuit qui ira en s’épaississant, ne reculera pas.
Et je regarderai le sang glisser sur mes poignets pour inonder mes paumes, hésitant à le reconnaître. Comme si, pas plus, ne m’appartenait cette vie qui, souillant le blanc de l’émail, s’enfuira lentement par la bouche du lavabo.
Je la regarderai glisser, non dans l’indifférence, mais avec l’intérêt que l’on porte, quand on a perdu l’usage des mots, à ce qui, sur le bord des lèvres, réclame encore qu’on le nomme. Seulement déchiré par ce sentiment de légèreté que nous donne ce qui nous quitte.

… Sang qui n’est que le prix de la cendre où le cœur se débat encore et de la suie grasse des mauvais jours. De ceux qui n’ont brûlé que dans la fumée de leur peine. En cette heure qui sonne, où le pas fait défaut sous les jambes et où toute fleur enfin s’abandonne.
Où l’amour même, au revers de toute lumière, a fini, sans regret, d’effeuiller les pétales de sa dernière lampe.

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