Fragments d’une errance

Texte pour une vidéo de Pierre Fuentes (exposition « Autour de nous », galerie Lyeux fertiles, Tours, 21-22 avril 2018). 

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Fragments d’une errance

s’est-on assez nourri l’esprit pour survivre qu’on aura tenu son pari, pas si stupide ni insensé s’il nous a permis de franchir, les yeux ouverts, l’espace de ce temps qui nous est attribué sans mesure, dans un arbitraire qui à creuser la part de l’inconnu, son unique question, en fait pour une bonne part l’inestimable prix

on avance, ne laissant nulle empreinte, sur un chemin de feuilles, d’odeurs, de froissements, allant seul, sans feu ni fin, foulant la terre obscure, errant parmi les herbes délaissées, les ramas de branchages morts, dans l’improvisation de la trace et la scintillation du souvenir

en vérité, notre mémoire est plus ancienne que nous-mêmes, feuilleté d’innombrables couches de temps entrelacés, et il nous faut la convoquer pour pouvoir parler de l’instant

en effet, à l’image de ce que nous dit Héraclite, on peut chercher l’évanescence de ce qui se passe dans l’immobilité du temps, mais le nécessaire retour aux essences par la remémoration ne va pas sans quelques questions qui réclament une traque lointaine: 

la mémoire est-elle autre chose qu’un acte d’imagination volontaire ? le souvenir est-il reconstitution du passé ? ce passé composé de la mémoire, de fictions et de rêves ?

quoi qu’il en soit de ces réminiscences, on devine qu’elles nous construisent puis nous transmuent en ruines,

des ruines sur lesquelles on marche, comme on le fait parmi les rues des villes dévastées, de celles divisées, mais où l’errance poétique, arpentant de sombres décombres ou se nourrissant des décors de la guerre, y trouve les ressources d’y tirer les éléments sur lesquels bâtir une esthétique de l’imaginaire

mais dans imaginaire, il y a images, évidentes et mystérieuses, mouvements invisibles, imprévisibles et migrants, mis à jour et meurtris dans leur saisissement, comme autant de miroirs qui nous brisent, de corps qui se dissolvent, non dans la brume, mais comme celle-ci se tord en boucles floues et lentes, déchirant leur blancheur aux ramures grises des arbres,

et il ne nous faut, pour les susciter, qu’accepter de se perdre dans son regard, comme l’on accepte de suivre son ombre qui s’avère une exploratrice plus assidue que l’être qui lui est attaché

on regarde alors ces images, sans craindre qu’elles nous transforment en statues de sel ou de pierre, ni qu’elles disparaissent, nous laissant nus et seuls face à la faille du silence, et démunis face au néant

c’est ainsi que se met en branle le travail du regard, que les yeux s’abandonnent et se fardent de désespoir, comme pour mieux valoriser l’essentiel du regard poétique, et simultanément arrachent l’ombre à la préhistoire de son langage, en allant, pour cela, où le regard ne porte pas

ainsi peut-on faire céder l’inaccessible, ou tout du moins tâcher de le transformer en étoile guidant le chemin, en le scrutant jusqu’au plus loin, jusqu’à ce que les yeux s’en détachent et poursuivent seuls l’ascension, car vision et aveuglement sont ici les faces jumelles de ce même chemin

mais pour être fructueuse, l’errance doit faire route en compagnie de la mélancolie, ni tristesse ni nostalgie, mais « mélancolie créatrice », qui n’a rien à voir avec les ténèbres, mais tout avec l’obscur

et c’est là, peut-être, le seul moyen de fouiller les cavernes les plus secrètes et les plus profondes de la mémoire, aux prises avec ce qui, en même temps, lui donne sens et la prive de sens, seule manière de retisser la relation avec tout le perdu

pour cela, les images se doivent de nous faire signe avant de se faire sens, et devenues passage d’un temps suspendu, tenter d’appréhender cet intervalle irréductible entre parole et territoire comme entre vision et regard, ou mémoire et oubli, offert comme une halte à la mélancolie et ouvert à l’accueil de la blessure originelle, seulement accessible à qui a répondu à l’appel silencieux des signes

simultanément, alors, se fait jour le sentiment que tout devient, ou redevient possible, au cœur même de la déroute

aussi, dans une nuit qui s’épaissit, n’est pas encore devenue ténèbres, à travers les régions indéterminées de la quête, les yeux tâtonnent vers leur source et ne fonctionnent plus qu’au souvenir, au plus loin de lui-même, en-deçà de toute mémoire, celui que laissent sur les lèvres les échos lointains d’une langue oubliée,

ou celui que déposent, au verso du regard, les éclats de lumière sur la pierre d’un mur sur lequel se sont imprimées, dans les glyphes de leurs lichens et leurs hiéroglyphes de mousses, les premières images d’un monde que nous avions perdu

  

Michel Diaz, 01/04/2018

 

Le poème recommencé – Gilles Lades (2018)

Le poème recommencé – Gilles Lades
– Editions Alcyone (2018) –

Chronique publiée dans Diérèse N° 75 (été 2019) et sur le site de Radio occitania (mai 2018)

Ce qui se lève entre les lignes

La poésie de Gilles Lades est d’abord une voix. Elle est de celles qui, précédant toute saisie du sens, est avant tout matière de parole. Elle est de celles qui se lisent en murmurant, se disent à mi-voix, comme l’on se parle à soi-même, se façonnent et se modulent en musique sur les lèvres, dans le mouvement de chair de la langue.

Dans Le poème recommencé, recueil qui se divise en cinq parties, Gilles Lades donne à cette musique la lumière vacillante de la mélancolie, celle à laquelle puisent, au plus profond, les racines les plus intimes du poème. « Lumière de mélancolie » disais-je, qui peut être sombre, avare de clarté, complice de la mort, ou clarté douce, bienveillante et amie. Cette lumière-là, comme « une clarté qui vient sous la main », une « demeure où faire solitude », est celle que fréquentent volontiers les poètes, un espace de mi-pénombre offert à la lucidité de leur questionnement, d’eux-mêmes et du monde. Lumière dans laquelle la douleur, tenue à sa juste distance, se fait territoire fertile où vient puiser ce qui persiste de l’amour, et où s’alimente la source de la création. De toute création peut-être.
Ainsi, écrit-il dans la cinquième section qui donne son titre à l’ouvrage, section dans laquelle le poète nous confie sa relation à l’écriture:
attends que l’instant
devienne mémoire
reconnaisse ton pas
te mène à la cour d’enfance
amenuisée de toutes parts
Ou écrit-il, par exemple encore, quelques vers plus loin, donnant à son métier d’écrire sa profonde et incontournable nécessité:
[…] le souffle qui soulève
par surprise ta poitrine
tisse des écheveaux de vie
Ou dans ceux-là aussi, tout aussi explicites:
désir d’accorder le poème
à l’ultime leçon du vaste étonnement
au point de fuite du silence
Ce recueil, en effet, bâti de pierres assemblées à leur juste place, ne laisse aucune chance à quelque égarement sur des voies digressives. Cette lumière dans laquelle « la mémoire fait front à l’hiver », comme on use en peinture du clair-obscur, n’éclaire que l’espace de ses seuls objets, dans des textes où
signes et lignes
se rangent autour d’une lumière
défendue ligne à ligne
Ainsi sommes-nous, dès les premiers vers, appelés à une démarche méditative à travers souvenirs d’enfance, évocation des êtres aimés disparus, questionnement de ce qui fonde nos origines et de notre présence au monde:
Ecoute vois
la forêt sans feuille
que même le vent n’approche pas
[…]
ne sors que lentement des arbres et des pistes
traverse mélodieux
la mémoire de tant de disparus

Evocations de paysages, de places de villages ou d’un château ruiné, d’une « rue qui éclate en jardins cachés », de personnages égarés dans la solitude de la vieillesse, d’une hirondelle annonciatrice des « grands vols d’avril », d’un arbre « grand comme la beauté », d’une rose au bord d’un sentier, d’une clairière loin dans les bois ou du souffle aigre du vent de mars, constituent l’ample matériau de ces textes. Gilles Lades est ici le poète de ces presque riens, rencontrés çà et là dans l’affût du regard et au hasard des pas, de ces riens comme suspendus au-dessus, une chose coulant dans une autre, et toutes se fondant dans un long travelling de pensée ou de rêverie, sans que l’on sache où cela fut, ni même si cela fut, sauf que cela revient, lui revient comme une hantise, sans que l’on sache pourquoi ni comment cela lui revient:
Une cendre de ciel survit
le remords tourne au-dessus des rires
comme la fatigue sur le dernier soleil
Gilles Lades est aussi le poète de la fusion des états de conscience dans le même creuset poétique, quelquefois dans le même vers (« bonheur ce mot qu’il faut renommer »), douleur de la perte des autres et de soi à soi-même, nostalgie des temps de l’enfance et de ses éblouissements, mais quête toujours poursuivie de ces menus miracles de bonheur furtif et de jubilation dans sa présence provisoire au monde, ce qu’il nous donne à voir, à entrevoir, qui est là et s’échappe aussitôt, qu’il faut traquer sans cesse et, saisi un instant, couver dans la tendresse de ses mots, celle qui fait le cœur plus grand que toute la mort à venir. C’est ainsi qu’il écrit à sa mère, par-delà le néant de l’absence:
merci de m’avoir donné
cette main si fragile qu’elle soulevait la colline
vers l’impossible avenir
merci de me laisser
parcouru de questions
sévères et salvatrices
Le poète se montre tout prêt, page après page, à sauter hors de l’espace mesurable comme du temps des horloges – cet autre espace – où ne joue que la causalité pour, par delà toute chronologie, à inscrire les choses les unes dans les autres dans un même regard attentif sur le monde. Attentif à le déchiffrer comme à en défier les apparences, dans des poèmes dont chacun, écrit-il, « contribue à dessiner une mystérieuse ligne de faîte, entre permanence et transmutation ».

Il y a une profonde nostalgie chez qui cherche, encore et toujours, comme le fait Gilles Lades, espérant que quelque chose se lève de l’obscur, d’entre les mots et les lignes, qu’il éclaire toute la scène, et donne sens par là au monde. Nostalgie qui fonde, j’y reviens encore, une mélancolie difficile à juguler. S’ouvre le ravin noir sous la musique de sa voix, reste le bord du précipice, le seuil du vide et de ce temps où « le printemps venu par effraction « s’annonce « comme une douleur de plus »… Le ton est certes grave, mais ce n’est pas rien pour autant cette confidence glissée dans la section « Avide solitude »:
je choisis la terre vive
limpide entre ses murs
où quelques fleurs s’écrivent
au bas d’une légende pauvre
Gille Lades s’avance, dans ce poème recommencé, entre affirmation du désir de vivre et apprivoisement de sa familière et pudique désespérance. Et si cette faille d’abîme était à accueillir ? Pour ce qu’elle est. C’est-à-dire la ligne tracée de notre humaine condition.

Michel Diaz, 30/03/2018

 

Fêlure – Verso N° 171 (janv. 2018)

FÊLURE, lecture par Valérie Canat de Chizy, publiée dans la revue Verso N° 171.

MICHEL DIAZ : FÊLURE – Editions Musimot, 2016

De courts textes en prose, écrits à la façon d’un journal. Une écriture sensible et subtile pour dire la fragilité de la vie, les instants à peine perceptibles qui en font la beauté, comme « ces lentes minutes, ces lentes secondes », l’imperceptible marche du temps. Car « il y a une vérité, pour chacun, à habiter le monde ». Car « même dans le silence, le rythme continue à battre. Celui de l’univers et celui, sourd, du temps ». Il y a le miracle d’être là, présent. « Le café fume dans le bol posé sur le rebord de la fenêtre. Des mésanges à longue queue s’agrippent aux rameaux dénudés du lilas. Venues faire ration de graines et de graisse ». Puis, le narrateur se souvient. Il se souvient avoir été, dans sa jeunesse, coupé des autres de par l’absence de paroles. Les mots ne sortaient pas de la bouche, créant une rupture, un exil. « Je ne pouvais, enfant, que me tasser au fond de mon mutisme, serré contre les bouées noires de l’angoisse, en attendant que la prochaine vague me prenne dans ses doigts visqueux et me rejette, comme un oiseau mort, sur un rivage enseveli sous son lourd linceul de pétrole ». Par petites touches, Michel Diaz polit ce  souvenir, comme la mer le ferait d’un galet.  Il interroge aussi la présence au monde et la solitude. Ses proses dévoilent une fêlure mais l’on sent malgré tout battre le cœur de la vie.

Valérie Canat de Chizy

 

A propos de la peinture d’Olivia Rolde

Debout, présents et vivants

A propos de la peinture d’Olivia Rolde

D’où nous vient cette impression qu’en regardant les peintures d’Olivia Rolde nous sommes constamment dans une double perspective de notre regard subjectif ? C’est-à-dire à la fois dans la dimension onirique dans laquelle ordinairement s’égarent nos repères, et dans celle d’un « réel pur » qui serait toujours sous nos yeux, mais qu’ici nous découvririons, ou aurions plutôt le curieux sentiment de re-découvrir ? J’emploie ce verbe « découvrir » dans le sens où l’on dit que l’on retire un linge pour rendre à la vision ce qu’il dissimulait, cela qui était là et que nous ne savions, ou ne pouvions plus voir.

Cette peinture qui s’affirme d’évidence comme « non figurative », ne cesse pourtant de représenter. Non des formes et figures identifiables inscrites dans le répertoire de ce qu’il nous est loisible de nommer, mais des figures et des formes à travers lesquelles nous pouvons reconnaître des signes qui nous rendent un peu plus lisibles la première matière dont sont tissées nos relations avec l’énigme que nous sommes à nous-mêmes sur l’indéchiffrable scène du monde, ce permanent spectacle d’apparences que la réalité sensible nous donne à regarder, à pénétrer, à investir, à traverser, à interroger sans relâche, nous incitant à défier le vide de l’Abîme et à tenir la dragée haute à tout son incompréhensible.

Nous sommes ainsi confrontés  à « l’étrangeté familière » d’une réalité qui nous ouvre les portes d’un monde dont nous n’entrevoyions que l’obscur horizon. Dans sa peinture, Olivia Rolde travaille à nous montrer notre possible de regards, tout autant intérieurs que physiques, sur un monde dont nous ne connaissons jamais que cet espace de « vision » et d’expérience, cette embrasure étroite de nos sens où nous nous contentons de vivre. Sa peinture semble nous dire: « La Terre sera entièrement vôtre, ses signes tous pareils, sans privilège pour aucun sur un autre, en valeur ou en importance, ni en rien. » Et elle semble dire aussi: « Je viens de la lumière et en suis la matière même, c’est pourquoi je n’ai pas de forme, ou je suis la totalité des formes qui se font laves éruptives, élans de flammes qui se dressent, danses de spectres qui s’enlacent et se heurtent, glougloutent et invectivent, couleurs et lignes qui se font terreau pour verdoyer, dévalent en abîme, tutoient le ciel et les nuages, et s’enfoncent dans des entre-eaux d’où nous reviennent en mémoire, en leurs figures archaïques, les tout premiers élancements d’une vie balbutiante. »

Où finit la distance et où s’abolit la frontière ?… Nous sommes là dans un espace de regard où le vide convoque le plein, où il vide la plénitude au profit d’autre chose qui est réinterprétation de notre présence à l’espace et au temps, nous renvoie à un alphabet de signes et de formes, de lignes et de glyphes, de manifestations pictographiques où se dit quelque chose des origines et de l’éternité des choses. Ces images content une histoire inaugurée par des racines qui ressemblent à des artères, déplient sous nos paupières une couche initiale apprêtée par le jour et où la nuit n’a pas dormi encore, nous ouvrent sous les pieds une terre repue de pluie et lourde de secrets, une opacité de silence où gronde quelque chose qui nous vient du plus lointain des temps. Ces images-là ne sécrètent pourtant aucune violence ni ne crachent aucune inquiétude, ne recèlent non plus nulle angoisse qu’un dieu surgisse de ces profondeurs, mais dégagent une énergie affûtée à l’angle de l’imprévisible, et s’offrent à la volonté vitale du surgissement dans des migrations de fissures où circulent des graines d’orages, des songes d’incendie, des frémissements telluriques. Elles sont à l’imaginaire l’image de sa turbulence, comme le corps est celle du mystère. Un espace interrogatif dans un espace de désir, l’un et l’autre anonymes et lui-même sans nom, mais un lieu pacifié et germinatif où se réinvente un regard sans contrainte, et où vibre une voix sans parole qui élève un début de genèse, nous introduit à l’intérieur d’un théâtre sans bornes ou nous conduit aux marges d’une terre sans limites.

Peindre. Construire. Et construire en peignant. C’est bien cela qu’Olivia Rolde fait. Construire, si cela peut être à la fois inventer son espace propre et donner soins aux éboulis du monde, surprendre son agitation et la suspendre au bout de ses pinceaux, faire pause dans le cours imperturbable des choses et se mettre en suspens.

Puisqu’il faut accepter le gouffre pour pouvoir habiter l’Abîme de l’existence humaine, il faut entrebâiller les ouvertures, pratiquer l’écart, s’infiltrer dans les interstices laissés apparents derrière « les lunettes d’approche », et j’emprunte ces mots au titre d’une toile de Magritte. Il nous faut faire reculer sans cesse les étendues toujours plus grandes du désert. Et s’insurger, peut-être, s’il est encore possible de le faire, avec ce peu qui reste « contre ». Contre l’avancée toujours plus prospère de ce qui muselle, et aller voir, avec un œil qui écoute, ce qui murmure encore sous les pierres et fore sa persévérance sous l’écorce des arbres. Rester en éveil « contre les toutes les réquisitions du monde », ainsi que l’écrit le poète Alain Freixe. Solliciter l’œil au-delà de l’œil. Aller fureter derrière ce que cache la vue. Et tenter, par les subterfuges de l’art, d’approcher cet insaisissable que l’artiste se doit de travailler au corps, d’en cerner la substance. Il y a, sous la terre, le cycle des transmutations profondes et, au-dessus, le ciel, ses mouvances liquides, l’eau des ruisseaux et des étangs avec, inaccessibles mais toujours présentes, les montagnes, leurs promesses de solitude et de silence.

C’est ainsi, sans contradiction entre « construire » et  « fureter » au-delà de la vue, qu’Olivia Rolde fouille, le creuse, et interroge cet espace de vestiges, ses couleurs et ses formes: dans l’utilisation d’une palette au large spectre, balayée des inattendus de frémissements chromatiques et de mouvements d’air vibrant, dans une perspective présentant, en même temps, ou d’une toile l’autre, des élévations improbables d’architecture aux transparences de vitraux et, comme dans des strates archéologiques vues en coupe, limitées par un trait d’horizon, des gisements d’oracles en sommeil et des filons de nuit, des remuements d’entrailles souterraines où s’épaissit le temps, cheminement de forces en grumeaux de matière, sèves obscures, filons de sang, couvées de braises, flux combiné de sperme et de lumière ou, projetés à ras de ciel, envols d’énigmatiques signes dont on ne saurait dire s’ils sont pures traces plastiques ou poétique représentation du règne des vivants, un salut à l’ivresse des ailes, au triomphe de l’ascension et de la verticalité. Variations de formes et figures empruntées aux images du monde en leurs déclinaisons et combinaisons infinies, avancées vers ce qui est là, qu’on ne sait pas encore, qu’on ne soupçonnait pas, ce qui s’ouvre et file devant, à travers des trouées d’inconnu, gestes confiés, plus loin que la pensée, à ce qui précède les yeux, qui explorent les rêves et les rêveries du faire, ce qui fait oeuvre, comme une méditation en acte.

C’est ainsi qu’Olivia Rolde peint. En construisant précairement ses espaces précaires d’apaisement. Où nous sommes conviés à entrer librement, avec nos propres rêves et nos propres ressources de méditation. Autant le dire encore ainsi: dans le travail d’Olivia Rolde, les objets de la peinture disent qu’ils ont à voir avec ce que nous habitons et ce qui nous habite, parce que les moyens qu’elle met en oeuvre sont ceux que l’on devine du travail foisonnant d’une vie utérine qui échappe à notre regard, qu’ils sont passés entre les mains d’un « je » qui nous rend l’image du monde en construisant le sien, et qu’ils sont les vecteurs de la transmission, celle-là qui nous doit nourrir, en son devoir de filiation, et faire protection contre la nuit qui nous menace. Etre résolument du côté de la vie.

Son oeuvre donne ainsi réponse à une question toute simple: comment (re)construire une unité à partir d’éléments dont l’arbitraire juxtaposition semble tenir d’abord de l’improvisation et des ressources inventives de l’imaginaire ? Comment produire un espace plastique acceptable et faire de sa cohérence le symbole crédible de notre présence au monde ? C’est-à-dire la production d’une forme d’art qui dise que nous sommes toujours là, debout, présents et vivants malgré tout.

Michel Diaz, 15/03/2018

Au Printemps des poètes – La Nouvelle République (04/03/18)

Poésie, peinture et lecture au château de Mosny

Publié le  | Mis à jour le 

Une belle complicité lie les deux artistes, Jean Luneau et Michel Diaz.
Une belle complicité lie les deux artistes, Jean Luneau et Michel Diaz.
© Photo NR
Pour fêter le 20e Printemps des poètes sur le thème de l’ardeur, le château de Mosny accueille le peintre Jean Luneau, le poète Michel Diaz et la lectrice Chantal Aubin, pour des moments de partage avec le public.
Jean Luneau et Michel Diaz étaient déjà là hier, avec des dizaines de toiles et de poèmes exposés, ils seront au château cet après-midi de 15 h à 18 h, puis aux mêmes horaires les samedis, dimanches et lundis jusqu’au 19 mars. Chantal Aubin sera quant à elle présente dimanche 18 mars à 16 h pour une lecture.
Château de Mosny Lieu-dit « Mosny ».