Offrandes Olivia Rolde
Poèmes de Michel Diaz, peintures d’Olivia Rolde
Thi Lùu éditions, 2021
Offrandes Olivia Rolde
Poèmes de Michel Diaz, peintures d’Olivia Rolde
Thi Lùu éditions, 2021
« OFFRANDES – OLIVIA ROLDE »
Peintures : Olivia Rolde – Textes : Michel Diaz
Préface : Daniel Leuwers
Editions : Thi Lùu
de tourbe
de cailloux de sable
de racines d’écorce de sève
de ronces d’arc-en-ciel de nuages
de rameaux convulsifs
de feuilles pourrissantes sous des lunes amères
et de miroitement d’étangs éblouis de clarté
de flexion d’âme d’agonie glaciaire
de lichen de vase d’eaux sales
de noces indécises et d’oiseaux de glaise
de soleil blanc d’étoiles mortes
de plaintes telluriques
et de pierres vives
de chemins traversés
de vent et de vols de ramiers
d’éclairs calligraphiques et de songes furtifs
de moellons muets et de remparts aveugles
d’échos de mer
d’algues visqueuses
de stridences de sauterelles
de chants barbares et de cris d’exil
d’appels de fond d’entrailles
d’yeux coulés dans la chaux
de nerfs de sang et d’os
— être devant
et être tout ce qui est
comme un pauvre parmi les pauvres
dans l’offrande du jour immense
comme une branche est dans le feu
[…] L’Ulysse de Michel Diaz ne reviendra pas, il n’accomplira pas son destin premier de tuer les prétendants et de reprendre sa place au foyer avec son épouse et son fils, proche de son père et de ses arbres. Il n’a pas fait un long voyage avant de retourner « plein d’usage et raison / Vivre entre ses parents le reste de son âge » comme l’a écrit Joaquim du Bellay. Mais peu à peu, au fil du cheminement, les contours de son monde intérieur s’effacent, et bientôt il ne reste rien de son identité première ni même de ses raisons d’être, sinon un renoncement progressif, une volonté de faire de son exil une errance perpétuelle au bord du monde dans la tentation de n’être plus personne.« Le lieu véritable est-il dans l’absence de tout lieu ? Le lieu, justement, de cette inacceptable absence », nous dit Edmond Jabès. Telle est l’incise du texte de Michel Diaz de laisser dans l’esprit du lecteur un étonnement, un déséquilibre qui en fait tout le prix.
Et c’est ce trouble, provoqué par son traitement inédit de l’image du principal héros de L’Odyssée, que Michel Diaz exploite poétiquement pour soulever l’éternelle question, primordiale et inépuisable, de notre relation au monde et du sens de nos existences.
Extrait de la préface de David Le Breton
EXTRAIT
[…] Car nous venons au monde les mains vides et nues, nous n’y sommes que les passants, les hôtes provisoires, rien ne nous appartient jamais, nous ne possédons jamais rien, et nous devons en repartir, quand il en est encore temps, aussi pauvres qu’au premier jour, mais riches du bonheur d’avoir été de ce miracle qu’est toute existence sur Terre et de ce qu’y cultive l’amour, rendre alors, de ces mêmes mains, pour prix de l’hospitalité, le salut apaisé de la gratitude. […]
Septième lettre à Pénélope (Extrait)
Textes inédits publiés sur le site Bribes en lignes de Raphaël Monticelli (mai 2020)
pénétrer dans ce jour, par les anfractuosités de ses cassures vives, dans la syncope d’une violence profilée aux lointains, par la lucidité d’une lame toujours ressaisie par son fil, et toujours prête au sacrifice des chimères de l’aube
achoppement, béance, parturiente émergence, en suspens dans des choses encore innommées, s’en tenir à la terre, comme on se lève avec un feu qu’il faut ranimer de ses cendres, ou comme on se réveille à l’aplomb d’un roc vertigineux, meurtri d’une palpitation qui passe dans le souffle et le refus de sa douleur
s’en tenir d’abord à un pas, cette enjambée, la première et dernière, toujours, que pousse la suivante, glissant de l’une à l’autre, et s’écorchant les paumes comme on tient un cordage trempé, ne pas tomber, à vif, et mourir seul ici, dans l’incertitude de toute espérance
pas qui gravit, marque sa crête pour ne pas descendre au ravin rejoindre le vent aigre et l’air scabreux qu’il brasse
avancer, les vertèbres nues, hausser, jusqu’à hauteur de jour, ce qu’on en saisit de lumière, offerte à l’aile du faucon découpée dans le ciel et, gestant sur la terre des morts, fouler ce qui se lève d’herbe fraîche depuis le fond de leur fermentation
* * *
traversé le lieu-dit de Basses-Fougères, retrouvé ton chemin d’herbes hautes, en lisière d’un bois d’acacias, tu t’avises soudain que tu as perdu ton carnet, mais c’est sans importance, te dis-tu
tu n’écris ordinairement pour personne, ou pour quelqu’un, tu ne sais pas, peut-être un inconnu, aveugle, mais muet aussi, pour cette ombre d’un autre, un inconnu aveugle qui est là et attend, depuis toujours peut-être, et qui fouillera de ses mains tisonnières dans les résidus d’un brasier depuis longtemps éteint
tu lui passeras autour de la gorge le nœud coulant de tes questions, au-delà de ta voix, un nœud qui glissera sur la peau d’un vivant, que tu adosseras au mur, au-dessus de l’espace ouvert, un silence de funambule, là où les mots se jettent, laconiques, dans le risque absolu de leur destination
peut-être lui laisseras-tu, autour du cou, cette cicatrice inversée de ce qui fut l’instant incandescent d’un spasme d’agonie, cette étincelle d’une joie, aussitôt répudiée, l’instant d’une brûlure qui ne se savoure ni ne se partage, une morsure éteinte dans la chair du temps, et sans témoin de l’impossible traversée du souffle
peut-être aussi sera-ce invitation pour lui à s’avancer d’un pas léger, à travers les roseaux, vers la bruissante obscurité de la rivière, et à marcher, sans y sombrer, sur le miroitement de l’eau, dans la plénitude du soir, les mouvements d’une lumière qui se joue entre les branches
la lumière des mots perdus mais qui continuent de briller dans le noir quand le jour a posé sa cendre sur nos yeux – et que cet aveugle verra, marchant sur l’eau et les suivant, sans rien pouvoir en dire
Michel Diaz
Préface de Daniel Leuwers à « Offrandes », ouvrage accompagné de reproductions des peintures d’Olivia Rolde (en projet de publication chez Thi Lùu éditions, septembre 2020)
OFFRANDES ET CONTRE-OFFRANDES
Olivia Rolde est peintre. Elle tend au poète Michel Diaz un large éventail de tableaux, comme des « offrandes » dont l’écriture va se faire le réflexif écho. C’est donc offrandes et contre-offrandes sous le signe du « Ecrire, peindre » qui sert de titre au long poème accompagnateur.
Michel Diaz écrit certes sur les peintures d’Olivia Rolde, mais il écrit surtout à partir d’elles et pour elles.
C’est sa façon à lui d’
« entrer dans ce territoire
de l’incertain où règne
le silence ».
C’est sa façon de se familiariser avec les « rameaux convulsifs », les « miroitements d’étangs éblouis de clarté », les « éclairs calligraphiques de moellons muets et de remparts aveugles » dont cette peinture est criblée.
Michel Diaz voit beaucoup de choses dans des toiles qui ne se veulent pas figuratives. C’est qu’il aime « aller fureter derrière ce que cache la vue » – et c’est là qu’il surprend
« ces cicatrices éphémères
qui inventent nos rêves
embaument les couleurs du temps ».
Le poète sent que l’artiste « va dans sa nuit / chercher un destin inconscient » – et il la suit sur ce chemin où elle a l’art de
« regarder
le plus proche
pour surprendre le lointain ».
Michel Diaz participe du même élan, avide de questionner une présence qui l’entraîne toujours vers un « arrière-pays », pour reprendre un terme familier d’Yves Bonnefoy. Michel Diaz aime partir du réel prégnant pour mieux traquer ce qu’il appelle « l’arrière-pays des brumes », dans un mouvement qui s’apparente à une « plongée » qui nous arrache à « l’ensommeillement ».
Le partage esthétique se fait toujours « dans l’éclat de la stupeur ».
Une toile d’Olivia Rolde s’intitule « Equilibre », et le poème de Michel Diaz obéit au souci d’atteindre aussi à une forme d’équilibre
« comme une bougie
chancelante au bout d’un long combat
se repeint un visage de fugace sagesse
et pactise avec la pénombre ».
L’art culmine souvent au terme d’ « un long combat » qu’il a le don de dissimuler dans une secrète pénombre où il se trouve soudain à même de gratter le ciel, d’y déceler les graines de l’orage.
Les toiles d’Olivia Rolde participent d’une approche tellurique qui embrasse et embrase le monde, mais elles recourent , dans le même temps, à une saisie très ténue du réel réduit à quelques fines attaches où la peintre puise le secret de ses incessants assemblages et de ses émouvants tressages.
Pour souligner ces chevauchements où la rétine s’efface au profit de l’élaboration d’un paysage mental, le poète écrit :
« tout s’érode
se dérobe
et de nouveau se brode ».
Qu’une toile d’Olivia Rolde porte le titre d’ « Energie de la mélancolie » montre bien que le combat pictural, à l’instar de celui du poète, peut aller jusqu’aux confins de la perte pour se réapproprier la vraie vie, son lieu, sa formule, tout en offrandes et contre-offrandes.
Daniel Leuwers
Daniel Leuwers a été professeur de littérature à l’université François-Rabelais de Tours. Auteur de récits, essayiste et poète, il est l’initiateur du concept de livre pauvre. Il a publié de nombreuses critiques pour la revue Europe et est membre de l’académie Mallarmé.