Bernard Fournier : un chant d’innocence et de détresse

Bernard Fournier, poète

Etude publiée dans le n° 105 de la revue Poésie sur Seine, janvier 2022

Bernard Fournier : un chant d’innocence et de détresse

« J’interroge l’homme / j’interroge son silence, sa misère […] // J’interroge l’homme / fort, plein d’assurance / qui impose le silence / même aux oiseaux, même au ciel, / même à la lumière qui siffle aux mufles des bêtes. » (Silences)

            Toute la poésie de Bernard Fournier pourrait être placée sous le regard de cette obsédante interrogation, car le poète questionne l’homme, obstinément, comme il interroge Hémon et Antigone, le paysan des Causses qui secoue sur sa cuisse la poussière de son béret, ou tel autre « cloué sous les ailes de son chapeau / comme un crucifié aux portes des étables. »

Bernard Fournier est un poète qui ne cesse d’interroger : les paysages qu’il traverse et ceux où il revient, leurs pierres levées qui l’intriguent, les vaches fortes et douces qui ruminent dans les pâtures, les collines, les arbres, « les paroles inédites / retenues au fond des gorges ». Comme il écoute et interroge le silence, la langue où il écrit, celle jamais apprise, le vent, les murs, les âmes, « les yeux qui parlent », la « lumière tranchante / qui lacère l’ombre », le grand-père taiseux qui parle « depuis sa mort »… A quoi bon écrire alors puisque, nous confie-t-il, il y a « tant de choses à dire qu’aussitôt je m’arrête / devant le silence / dans le silence. // Condamné, peut-être, par les pères / au silence. »

            En vérité, la poésie, comme le fait celle de Bernard Fournier, nous situe d’emblée dans le paradoxe propre au langage poétique, puisqu’il nous faut associer à la poésie ce silence qu’il interroge. Car si le silence fait obstacle à la communication usuelle, un « meurtre » nous dit le poète, il est en même temps la condition indispensable de la démarche poétique. Mais quel sens donner à ce silence dans son association avec la poésie ? Rilke et Hölderlin nous mettent sur la voie d’une autre caractéristique du langage humain en tant qu’il s’oppose au langage poétique : non seulement il est bruyant, discordant, fait violence à l’harmonie et au silence, mais il est langage de l’entendement, qui nomme, distingue, comprend, délimite, « paroles trop bruyantes / qui giflent et griffent le silence / l’épaississent et le durcissent » nous dit Bernard Fournier. Ainsi, le silence poétique dont il veut surtout nous parler serait silence de la nature, de la vie intérieure et de l’innommé du langage, dans lequel peut résonner l’harmonie respectueuse de ce silence, qui serait silence du sens, silence de l’entendement.

            « Le chemin secret va vers l’intérieur » écrivait Novalis. Et comme le feu est dans le bois, le mot se tapit dans le silence. Ainsi Bernard Fournier travaille-t-il sa langue en transformations successives, laboure le champ/chant de l’intériorité, les yeux résolument fixés pourtant, et toujours attentifs, sur les choses du monde, et nous apparaît alors l’entrée du chemin, la voie avec tous ses dangers, ses ombres, ces riens qui sont merveilles de la Vie, et ses métamorphoses : « Même si tombent les pétales / Au moins aurons-nous vécu / Plus que le temps de cette chute et d’un nouveau printemps : / Un été à rêver les soirs où le jour appelle ». Ne serait-ce point alors le corps et la voix du silence que le poète troue avec des lèvres suturées, pour aller vers ce désir latent où tout s’efface ? La poésie de Bernard Fournier est celle d’un homme en prise étroite avec le monde mais dont la parole travaille incessamment à libérer cela qui en nous cherche à aller plus loin que nos toujours étroites déterminations, pour qu’allégés nous remontions vers un clair de terre en faisant nôtre cette injonction : « Au monde, il faut répondre par la lenteur / Le silence qui préside à l’aube, / Le silence qui attend midi et le calme du soir ».

            Le parcours de vie et de littérature de Bernard Fournier n’est pas de ceux qui, naissant dans une langue dont on leur transmet aussitôt les codes, baignés des mots des contes qu’on leur lit le soir et entourés de livres, entrent déjà armés d’un savoir familial dans le giron d’une institution scolaire qui fera bien vite son tri, héritiers qu’ils sont, sans même s’en douter, d’une culture qui privilégie les siens. Le petit paysan des campagnes de l’Aveyron, comme celui de nos profonds terroirs, de nos quartiers déshérités, devra faire ses preuves bien plus qu’un autre. Le recueil Marches II nous apparaît ainsi, chargé de ces paroles que l’on reconnaît comme autant de confidences autobiographiques. Car Bernard Fournier n’oublie rien et ne renie rien de ses origines. «Il est venu des hautes terres par-delà les terres hautes des Causses / […] par-delà les volcans qui forment un cercle comme une entrée dans un monde fantastique. » Voyageur sous d’autres climats, il est d’abord, et demeure l’enfant d’un pays ingrat où « au-delà, c’est encore le causse sec et long où paissent les moutons ». Un pays de pierres dressées et sculptées, Statues-menhirs, Vigiles des villages, comme s’intitulent deux autres recueils de l’auteur, ces pierres millénaires qui défient les orages, les vents et le temps, et où les hommes, plus que sur d’autres terres, doivent peiner pour assurer leur pain. Car, ainsi qu’il l’écrit : « Terre d’exil, terre aride, terre rude, tu ne nourris pas tes hommes : / Ils partent vers la capitale ou l’Amérique ».

            Exil aussi que celui du futur poète, soudainement plongé dans un autre monde, « … projeté, sonné, dans la banlieue plate de la métropole, des terres grillagées aux chemins goudronnés (…) ». Là, qu’il « a vu des rues et des usines, des champs féconds peuplés de béton, / Des palissades où pendaient des affiches usées de pluie ».

            Autre silence encore, vécu dans la souffrance tue, que celui d’un jeune homme qui se sait ignorant de tout et se sent démuni face à la tâche qui l’attend, et qu’il se promet d’accomplir : obtenir des diplômes, acquérir un savoir universitaire, se confronter à l’écriture et réduire la différence avec ceux qui, de loin et de haut, ne le considèrent pas comme de leur espèce. Légitime combat de qui cherche à trouver sa place dans un monde qui n’est pas le sien, où il sentira toujours illégitime (et où on lui fait comprendre qu’il l’est) et toujours mal assimilé. Apprendre alors, et étudier encore, « tout savoir, tout connaître, du nom de l’épiphylle à la théorie des quanta, / Les règles de la Mourre et celles du cricket, / la vie des abeilles, / les molécules dont il est fait, tous les os de son corps // […] Et les langues, mon dieu, les langues». Puis, plus tard, quelque peu allégé de ce « poids d’ignorance et de naïveté » qui courbait ses épaules, entrer en poésie, et s’autoriser à écrire, à parler, et « si ses vers sont un chant, qu’il soit léger », et « que son poème soit une naissance au monde ».

            Cet immense et long effort de soi, sur soi, pour exister plus amplement, s’extraire de la gangue de sa condition originelle et du sentiment douloureux de son inachèvement, nous le trouvons aussi, traduit dans les poèmes réunis sous le titre L’Homme de marbre. Superbe suite métaphorique qui associe le destin du poète à l’image de ces statues que l’on a commencé à extraire de la carrière et que les ciseaux du sculpteur n’ont jamais qu’ébauchées, « bel éphèbe incomplet, inachevé devant les étoiles », dieu grec ou romain « mal équarri, gardé, tenu, retenu », « raidi, coincé, carré, / […] corps engoncé », pieds lourds, incapable « d’un pas hors du cadre qui l’incarcère autant qu’il le révèle ». Tout est dit, dans ces pages, l’essentiel en tout cas de ce que sur lui-même veut bien nous confier le poète, que nous savons présent derrière la figure de ce qui aspirait à jaillir de l’informe. Une créature incomplète, comme un être (pourtant à venir) que « l’horizon incarcère », n’est pas encore né, mais qui, dans sa prison de pierre, sait recevoir pourtant le « baiser de feu » des étés, ce baiser « d’air et d’or que le soleil offre à sa peau de grain minéral ». Pourtant, écrit encore Bernard Fournier, « sait-on quel cœur peut trembler dans ce marbre ?» Et quelle voix y veille qu’on ne peut pas encore entendre ? « Entendra-t-on jamais ce chant de sous la terre ? »

            Mais cette voix s’est faite chant, et l’homme de marbre poète, et « son destin ouvre la forêt, à la mer, à l’écume d’oliviers aux mille grains ». Pourtant, si le pays demeure, bien présent, dans les poèmes de Bernard Fournier, que l’on peut à peu près retrouver tel qu’il fut dans ses années d’enfance, s’insinue dans les mots du poète une incurable nostalgie : celle d’être, aussi charnellement que sentimentalement, enfant d’un pays dont on l’a privé de la langue. Aussi est-ce dans Loin la langue que se poursuit cette interrogation sur le silence et sur cette langue des origines, non transmise, « étrange, singulière (…) / révélant des tindouls, des avens, des puits secs et cassants / Des mondes telluriques, des monstres chtoniens », Langue du pays d’Olt. Loin cette langue, écrit l’auteur, « Ma langue étrangère, ma langue défendue / à jamais obsolète, prise dans les fougères, / retenue par les chênes, tenue par la rivière ». Alors surgissent ces questions : « Quelle est ma langue ? Quel est cet idiome qui m’est étranger / qu’on ne m’a pas transmis ? » Alors, pour ceux qui l’en ont dépossédé mais lui ont cependant transmis cet amour de la terre natale, comment « trouver les mots, trouver le rythme, trouver la manière de chanter, trouver ce langage qui dirait leur histoire ? » Bernard Fournier a su trouver sa langue de poète, forgée mot après mot, à la seule force du chant.

            « Il n’a jamais rien appris que l’esprit de la marche, celui qui fait croire en des aurores ignorées, en des songes d’enfant et à des routes infinies. » Voilà qui ressemblerait presque à un programme d’existence. Il n’est donc pas inutile de souligner que trois des recueils de Bernard Fournier portent le titre de Marches, Marches II, Marches III. Car si Bernard Fournier interroge toutes choses du monde, il est aussi un « homme qui marche ». Et que pouvons-nous entendre par là ? Au-delà de la marche, celle qui, à chaque enjambée, nous projette plus loin vers l’avant, dans l’espace et le temps, il y a d’abord une démarche de (sur)vie. Et si « les pas de l’homme peuvent être lourds / Il s’agit d’avancer toujours », car « il faut bien vivre » et « garder un cap », comme dans Germinal, le personnage de zola, avançant dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, sur la grande route de Marchiennes, ou l’homme de Giacometti, « réduit à l’empan de ses jambes ».

            Cependant, s’il faut au poète, en dépit de tout, avancer comme avance cet « homme qui marche », celui-là qui arrache ses pieds de la terre comme à l’impossible des pas, regarde droit vers l’horizon, scrutant son devenir, s’il lui faut s’efforcer de vivre, tel un homme debout, marchant et vivant, lui faut-il donc sans cesse tout réinventer ? Même l’espoir ? Et toujours au bord de l’effondrement qui, chaque matin nous menace ? Mais la verticalité humaine, à « nous qui peinons tant à lutter avec le jour » est position difficile à tenir.

            Mais le désir pourtant de perdurer dans l’espace incertain (si souvent hostile) du monde ! Et de s’y établir un peu de temps au moins, comme un arbre déplie ses feuilles, s’efforce de « hausser la vie au-dessus de la terre, / Au-dessus des corps ». Ecrire alors, et malgré tout, au sang de ses poignets, nœud coulant autour de la gorge, et travailler, puisque « le monde est long à construire », à accorder « longue vie aux rêves / Qui demeurent comme les brouillards d’après-midi sur les pentes boisées ».

            Oui, cet homme sait bien qu’avancer, d’un pas si hasardeux, c’est aussi s’arrêter, au matin, près d’un arbre, regarder tomber de ses branches ce qui reste d’étoiles, regarder se lever, par cette embrasure du temps, un grand bonheur furtif, et penser, avec raison, qu’en cet instant au moins nous avons fait partie du tout : « Pour cela il faut croire au printemps : / Répondre à chaque feuille tombée ».

            Le lyrisme toujours contenu, presque discret dans sa sobriété, mais présent toujours dans son écriture, n’autorise jamais Bernard Fournier à se risquer, plus qu’il pourrait se le permettre, à quelque épanchement trop personnel. Il est celui d’un être qui, bien qu’habité par une opiniâtre énergie de conquête sur lui-même et brûlant du feu de la vie, a d’abord éprouvé bien des difficultés à s’inscrire sur la ligne de l’existence, à s’accepter et à s’aimer. Mais s’il est toujours, dans ces textes et dans un certain nombre d’autres poèmes, le même sujet sous la forme du « je », du « tu » ou du « il », ce n’est jamais que dans la volonté de se tenir à mi-chemin entre le « moi » et le monde objectif dont il n’est que l’un des actants. Pas moins important que ceux de la réalité concrète des choses de ce monde, mais pas plus important non plus que le torrent roulant sur ses cailloux, tel arbre se dressant au détour du chemin ou tel oiseau traçant sa route dans l’espace du ciel. Dans la démarche poétique de Bernard Fournier, il y a quelque chose de l’animisme (et je risquerai la formule, d’une vigoureuse pensée archaïque) qui nous rappelle à chaque instant, et presque à chaque vers, que nous appartenons au tout, comme se tiennent entre eux les maillons de la chaîne. Aussi aspire-t-il, dans ce regard qu’il nous propose, à être au plus près de la présence énigmatique et de la force élémentaire, primordiale, des pierres, des arbres, de l’eau, dans cette profonde empathie qui le conduirait à faire corps et matière avec elles : « Naître de l’eau […] / Etre cette écume battue. / Epaules qui se roulent et se moulent dans l’eau […] // Naître chamois sautant de rocher en rocher, dauphin volant l’air pour de sourdes plongées». A faire corps encore avec la vache, ce presque totémique animal dont il parle si bien : « Ah ! vivre un moment la rumination du corps auprès de la demeure ! / Endosser le vêtement de lin dont est issu le château / Pour vivre sur son cuir l’air immobile, / Faire partie du paysage».

            « Un chant d’innocence et de détresse, une plainte commune et singulière » écrit justement Pierre Oster à propos des poèmes qui composent le recueil Marches II. En effet, ces poèmes, comme la plupart de ceux qu’a écrit Bernard Fournier, sont autant de textes qui naissent de ses heurts avec le monde, celui de tous les jours avec son cortège d’injustices et de violences, de malheurs, de douleurs, mais aussi de surprises et de joies, celles des paysages aimés, des pierres millénaires caressées dans la toujours neuve émotion, des vaches si magnifiquement chantées, et de ces menues merveilles du monde, bois, collines, torrents ou ciels d’orage, dont il sait s’emparer. Ses livres sont une tentative pour coller ces morceaux épars que sont nos existences, nouer tous ces fils épars. Et moins échafauder un sens et donner des réponses que trouver une issue, s’en sortir, sans jamais sortir de ce monde qui, ainsi que l’écrivait Lorca « est notre probable paradis perdu ». Les poèmes de Bernard Fournier sont alors autant de chemins qui cartographient une véritable traversée de soi où il s’agit d’apprendre, comprendre et aimer tout ce qui se tient entre nous, sous nos yeux et nos pas, que l’on porte moins qu’on ne s’y épaule. Et rendre aussi « à l’homme sa part d’éternité ».

Michel Diaz

Le Verger abandonné, lecture de Marie-Claude San Juan

« Le verger abandonné », de Michel Diaz. Ulysse errant choisissant le non-retour, ou l’ascèse d’écriture et d’être, en récit métaphysique…
14/12/2021

Recension publiée in Trames nomades, 2021

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Car…

(En couverture, une photographie de Pierre Fuentes, une des contrées d’Ulysse… Comme une peinture du « bord du monde »)

Car Pauvreté est lumière éclatante de l’âme.
(…)
Venu de la clarté, il pénétrait
dans une clarté toujours plus grande,
et la gaieté habitait sa cellule.

Rainer Maria Rilke, Le Livre de la pauvreté et de la mort
(trad. de Jacques Legrand, Seuil, œuvres 2, poésie)

En nous le lieu
En nous l’instant
Nous consentons à être
le jour dans la nuit

François Cheng, Le livre du Vide médian (préface et poèmes)

Pauvreté… Comprendre dépouillement, détachement, arrachement à l’inessentiel. Même si dans le grand poème de Rilke la pauvreté des humbles est aussi présente.
J’ai choisi ces exergues car ils me semblent être une entrée possible dans ce livre particulièrement profond, qu’on doit relire et relire pour arriver à s’en extraire assez pour en parler. Et c’est Rilke que Michel Diaz a mis en exergue, citant un autre fragment du même grand texte (pour la notion de dénuement et la mention de l’exil, dont on peut entendre plusieurs sens, jusqu’à l’éloignement de soi par soi).
La lecture de François Cheng (je le développe dans une des dernières parties de ma recension), permet de comprendre une dimension essentielle du livre de Michel Diaz. Et notons déjà la présence du « lieu » et la notation sur « le jour dans la nuit » (thématique de la lumière et de l’obscurtité, centrale chez Michel Diaz).
L’écriture de ce « verger » est magnifique, la pensée est troublante, une méditation où nous devenons Ulysse errant, retrouvant nos propres exils et cherchant à apprendre cet itinéraire qui nous rendrait assez allégés et libres pour rejoindre la plus authentique part de notre être.
Je note que ce livre a été récemment primé (prix du Cercle Aliénor de poésie et esthétique). Et j’ai trouvé que c’était très mérité.

Publication des Éditions Musimot.
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Qu’est donc ce verger abandonné par Ulysse ? Et de quel verger Michel Diaz tisse l’arrachement ?
C’est à la fois un lieu et son absence, la marque d’un exil (lisant un poème de Michel Diaz, autre, j’ai pensé aussi exil de corps et âme : celui qu’on constate, celui qu’on élabore).
Le choix qu’il a fait de Rilke comme exergue est absolument adéquat. Car ce poème, ample, un des trois du Livre d’heures est un des très grands textes de Rilke, en affinité de démarche avec ce qu’écrit Michel Diaz. Et il donne la dimension de l’interrogation que les pages qui suivent vont tenter de fouiller plutôt que de cerner (poésie en prose que ces lettres d’Ulysse…).
Exil, le mot y est. « Tu es en exil », écrit Rilke, invoquant ce « dénué de tout » qu’est François d’Assise (qui fascine aussi François Cheng) et parlant aussi à l’être en chemin de lucidité, en capacité d’appauvrissement, pour un dénuement qui arrachera identité illusoire et ancrage éphémère. Deux espaces en cela, d’abord. Celui de l’errance réelle traversant les frontières et les mers, généalogie qui nous habite, et histoire personnelle dont on ne sait pas toujours quelle hantise est prégnante. Et celui de la tragédie humaine qu’est l’absence à soi, l’encombrement qui coupe de sa réalité. À l’inverse, le dépouillement est l’horizon désiré qui nous fera « dénué de tout », perdant ce qui nous empêche d’être notre essence.
Dans la traduction de Rilke par Jacques Legrand, Pauvre a une majuscule, Pauvreté aussi, dans deux vers. Quand cela signifie ce dénuement du sage accompli, hissé à sa dimension haute. Même si le texte de Rilke magnifie aussi les simples pauvres, ceux du manque, et constitue une sorte de prière à Dieu (à la transcendance) pour qu’il aide l’humain dans ce chemin de renoncement qui est la capacité de porter la conscience de sa propre mort. Mort finitude et mort symbolique des apparences.

Et c’est tout cela qu’aborde Michel Diaz.

Autres clés liées à Rilke. Le Livre de la pauvreté et de la mort suit celui de la vie monastique, et celui du pèlerinage. Un ensemble mystique. Or le voyage d’Ulysse n’est-il pas en quelque sorte un pèlerinage ? Et sa solitude volontaire, ici, qui le fait renoncer, dans le livre de Michel Diaz, au confort affectif, n’est-ce pas démarche d’enfermement monastique ?
Rilke est donc une porte pour entrer dans l’univers de ce livre.
J’étais intriguée, après voir tant lu Audisio et son Ulysse, de retrouver ce personnage méditerranéen mythique, mais faisant d’autres choix.

David Le Breton a écrit une préface intuitive (titrée Aspiration à l’absence), insistant sur le détachement qui remplace la nostalgie. Et son évocation de Simone Weil lui fait rejoindre aussi la dimension mystique de l’exergue. Le lien avec Edmond Jabès, qu’il cite aussi, est très bien pensé (« Le lieu véritable est-il dans l’absence de tout lieu ? Le lieu, justement, de cette inacceptable absence. »). Car Jabès est à la fois l’écrivain de l’exil réel, su et non su (parfois perdu dans les strates de notre inconscient) et de l’exil métaphysique, qu’il transforme en épreuve de sens et alchimie d’âme, en grand commentateur de la langue qui s’inscrit en lui, en tissant plusieurs, à l’égal d’un talmudiste éclairé.

L’Ulysse de Michel Diaz écrit des lettres en se cherchant. Il trace ses doutes et hésitations en lissant son chemin dans les mots autant que dans les lieux. Vraies lettres, adressées à l’épouse, au fils, au vieux père. Mais ce ne sont que superbes songes de lettres, mots rêvés, confiés à la mer, au vent, au temps.

À Pénélope il dit le désir d’abolir « temps et distance », sans savoir comment. L’espace de séparation est fait aussi de tout ce qu’il a vécu, univers si différent de son lointain verger. Il est déchiré, rêvant de ses arbres et nostalgique de la douceur de la proximité des corps, douloureux de ce qu’il sait vivre où il est, dans ce temps d’hésitation, comme « à côté d’une source sans eau ». Il désirerait revenir, pour trouver peut-être une partielle amnésie, l’oubli des horreurs violentes vécues. Mais s’il croit écouter « ce silence » d’autrefois, il doute déjà, ayant besoin de se rassurer, en imaginant que son rêve de la nuit est un « présage ». Et son dernier paragraphe, s’il y présente négativement son présent loin d’elle, pose les questions qui sont celles des crises de rupture.
« Qu’aurait-il donc fallu pour que je ne vous abandonne pas ? »
C’est dire les manques (car il les cite), donc les savoir.

Dans une autre lettre à Pénélope, qui suit celle au père, il parle du besoin qu’il aura de solitude avec ses arbres, au retour, avant de la rejoindre, elle. Il exprime sa peur de ce que l’absence aura créé de distance charnelle. Encore le doute, qu’il essaie d’écarter en faisant le récit de leur désir passé. A-t-il vraiment encore en lui mémoire du goût d’elle ou veut-il s’en persuader, alors qu’elle est « la dernière question et l’ultime réponse » ?

Au père, Laërte, il promet son retour, l’espère en vie en se fiant encore aux rêves et aux devins. Il lui faut interroger les « bouches d’ombre », comme pour se défaire d’une sourde culpabilité à l’idée de la mort possible du vieux père, sans retour. Il dépeint négativement son errance, « ces illusoires nécessités que fait miroiter le désir de toujours aller plus avant », et « ce long chemin hasardeux ».
Autre lettre. Où le père est celui qui sait son identité mieux que lui-même. Mais justement c’est cela qui s’échappe. Ulysse, aux noms multiples de voyageur, homme de mille rencontres, est aussi Personne, celui qui répondit ainsi par ruse au Cyclope comme à un sphinx du destin. Quelle est la vérité du nom et quoi dire au père pour se dire vrai ? Seulement tracer les pas d’autrefois, reconnaissables. Ulysse-Personne doute de pouvoir dire ce qu’il sait de commun à tous deux. Mais ce non-savoir est plus fort qu’un simple retour à la connaissance de ce qu’il fut. « Je te dirai que je ne sais rien d’autre que ce que je sais depuis toujours ». Comme s’il voulait se dépouiller des mémoires de son errance. Et, là, Michel Diaz dessine un autre portrait. Ulysse errant qui doute et craint. C’est Michel Diaz poète qui pense l’identité, ses masques et ses failles et le rapport au langage, à l’écriture. Car « c’est le mot qui manque qui résonne le plus longtemps entre les parois de son crâne ». Dans la difficulté de répondre au « bruit de la question ». Ulysse rêve d’un contact sans mots. Que sait-on de la vérité de notre parole ? Ulysse « imposteur » devant son père ? L’écrivain imposteur, « volé » (comme Ulysse) par lui-même ? Sauf si l’imposture est alors un chemin d’authenticité. Car se dépouiller d’un masque antérieur passe par une apparente imposture. Le mentir-vrai d’Aragon (j’y pense, alors) fonctionne peut-être de soi à soi pour un chemin de dénuement. Perdre un visage qui fut vrai, pour, mentant, et se mentant, révéler le visage sous le visage, qui sera plus vrai encore. N’est-ce pas le sens de l’itinéraire d’Ulysse ? Oublier sa voix, en créer une autre.
Mais Ulysse doute encore.

De Pénélope il sait l’attente, la longue patience, ou croit pouvoir deviner ce que ce fut. Il espère ne pas avoir à lui parler du « remords de ses trahisons », s’en libérant auprès des arbres du verger, gardant pour elle la possible « tendresse ».

Le verger, quand il en parle à Laërte, c’est pour un magnifique éloge de la nature, celle des arbres, avec ce rêve dont il se souvient, que lui confia son père, de transmigrer en arbre, en figuier peut-être. On pénètre, avec Michel Diaz, dans l’esprit de l’arbre. Racine, tronc, sève et feuilles. On respire arbre. Si Laërte se rêve arbre, Ulysse semble s’identifier à ce rêve de repos non humain, en se glissant dans les sensations d’un olivier, dans le balancement doux du vent et des éléments. Libre de langage, enfin… Fantasme dans lequel nous entrons avec Michel Diaz, ou connexion vraie, et métaphore d’une autre sorte de dépouillement. Car la force du rapport aux mots doit savoir passer par le renoncement aux mots, le silence que le lien avec la nature sait trouver mieux que tout. Et ainsi Ulysse permet une réflexion qui concerne le rapport au langage, et intéresse la création littéraire, au sommet de l’exigence.

Que dire à un fils, qui n’est plus un enfant ?
Que dire à Télémaque ?
La promesse d’un retour et de l’effacement de la blessure du départ. La parole du guerrier conscient de l’indicible qui ne sera pas partagé, affirmant à la fois un devoir accompli et la faillite de tout récit. La mémoire d’Ulysse lui dit presque l’incapacité d’assumer, et, tout en essayant d’exprimer l’espoir d’autre chose, l’impossibilité de redevenir père ou fils. Vient-il lentement à la conscience de l’inéluctable ou le sait-il sans se le dire ?
Et, traduction possible, quand on est déjà loin dans le chemin vers soi-même, que ce soit par le voyage errant ou par l’ascèse de l’écriture (ou, Rilke, par la voie spirituelle qu’est aussi l’écriture), comment rejoindre autrui par le langage des jours loin de l’écrit et des sommets de solitude ?
Le temps passe et le retour s’éloigne. Bateau échoué, île où survivre. Dans cette hâte forcée le verger devient comme un temple que préparerait son fils, et où il renaîtrait. Mais espace qu’il faudrait détruire ensemble. Abattre les arbres abandonnés pour en replanter d’autres. Étrange projection d’un retour où tout effacer, et effacement du retour. Ou élaboration d’un effacement créé en soi par des gestes intérieurs de conscience ?

L’étrange contrée que découvre et décrit Ulysse à Pénélope est troublante, un monde d’eau et ciel dont Michel Diaz fait un tableau (c’est pictural, presque cinématographique) mystérieux. Un monde qui serait un ailleurs où la nature crée un mélange de murs végétaux et d’infini spectral. Ce qui « secrètement » travaille « à la séparation de tout royaume ». Est-ce la nature qu’on voit, ou la représentation d’un cheminement intérieur qui se fait souterrainement dans la conscience d’Ulysse ? Qu’est ce royaume sans « commencement » ni « fin » ?
Celui de la joie possible au retour ?
Ou de la solitude gagnée sur le renoncement ?
Ou de la tristesse malgré tout, mais choisie ?
L’hésitation entre deux états ? Séparation que cet éloignement de soi dans une marche difficile vers on ne sait quoi. Mais volonté « seulement d’aller vers plus haut et plus loin ». Démarche presque mystique d’accès à ce qui dépasse.

Et dans la quatrième lettre au père la tristesse est palpable. Magnifique texte, aussi fort que celui sur la contrée étrange décrite à Pénélope dans la cinquième lettre, ou que celui sur le verger temple à détruire et recréer plus tard, ou celui sur le père et ses rêves d’arbre. Quand il parle de la nature Michel Diaz atteint des sommets de densité visuelle et conceptuelle. On regarde en cinéaste et on médite en philosophe antique, entre Grèce et Chine. Ce texte qu’Ulysse trace sur sa paume, comme il tracerait son nom sur celle de son père, s’il revenait (« dans le creux aveugle de ta paume »…), ce texte décrit un lieu de solitude, « triste, inaccessible aux larmes », mais « où il y a quelque chose de sacré ». Lieu des morts qu’Ulysse croit sentir présents, comme une mémoire figée là. Mais lieu qui le repousse et l’attire. Il erre, ne sachant plus qui être et où aller, « indécision » inscrite dans le lieu et en lui.
Allant peut-être vers « le chemin d’où l’on ne revient pas ». Qui semble être d’abord celui de l’affrontement à la langue, pour l’écoute de ce qui vient d’un monde souterrain, marge fantomatique de l’univers et de soi. Page intense, sur cet appel des mots, ce souffle de « l’imprononçable », « indicible », « ineffable ».
Mais ce lieu, qui a en lui du « sacré », entraîne aussi vers une autre sorte de transmutation. Dépasser ce qui, « inquestionnable présence », est enfoui « sous la cendre d’une inépuisable détresse ». Car il y a le signe qu’est « la lumière », réelle et symbolique.
Et la question centrale :
« Vers quelle région de l’être me conduisent mes pas ? »
J’entends Michel Diaz à travers Ulysse.
Vers quelle métamorphose essentielle conduit l’entreprise d’écriture ?

Ulysse, continuant à s’adresser à son fils, peint un univers effrayant, de silence et de mort. Mais achève sa lettre dans un paradoxal retour à la présence de la parole « qui jamais ne cesse », et à ce qui retrouve une possible « ferveur ».

Hésitation, encore, mots vers Laërte, avec cette conscience de ce qui « toujours nous échappe ».
Et s’adressant de nouveau à Pénélope, il décrit encore un lieu « de désolation », qui est plutôt son espace intérieur, celui de ses « doutes ».

Puis le doute est dépassé.
« Quelle raison », écrit-il à Télémaque, « ai-je de revenir ? ».
Étranger devant des étrangers que le temps a séparés. Peur de la mort en miroir. Conscience de ne plus vouloir que « tourner la page de son passé ».

Basculement. Il est sûr maintenant de ce qu’il se doit à lui-même. Le message envoyé (mentalement) à Laërte est un adieu sans dire adieu. Plutôt une méditation, que les maîtres du zen ne renieraient pas, sur ce « Rien » qui est le renoncement aux masques qui entravent. Plutôt choisir le chemin « vers soi-même », « ce chemin qui ne serait rien d’autre que la voie des dieux ». Le but c’est d’aboutir à soi, dans une plongée intérieure vers son « accomplissement ».

L’identité d’Ulysse c’est l’errance, comme fidélité à soi-même, refusant tout « leurre » qui serait un retour voué au mensonge et à la tristesse. C’est son testament pour son fils, en message de vérité.

Tentant d’apaiser Pénélope il insiste sur le « dépouillement ». Valeur du « nulle part », du « Rien », donnant force, pour ce qu’est « vivre », au « chemin qui va de nulle part à nulle part », « de rien au Rien ». Conscience de notre mesure d’errants éphémères.
Le « rien » qui mène au « Rien » est un chemin de sagesse où être fidèle à soi est l’éthique centrale. On ne peut que rapprocher ce qu’énonce Michel Diaz des sagesses pensant le vide, non comme un trou béant de néant mais comme une dimension de sens, saisie de l’être incernable. Profonde intuition philosophique et esthétique que l’itinéraire qu’il choisit pour son Ulysse.
François Cheng nous guide pour comprendre ce mystère physique et métaphysique. Il nous explique cela dans sa préface au recueil de ses poèmes titré Le livre du Vide médian (Espaces libres, Albin Michel). Renvoyant à la distinction que fait Lao-Tseu (qu’il écrit Lao-zi) dans son Livre de la Voie et de la Vertu (Tao Tö King) sur les trois souffles de la philosophie chinoise (le Yin, le Yang et le souffle du Vide médian, le concept de ce qui est « entre »). Pour François Cheng c’est le refus du dualisme. Et il ajoute ceci : « La pensée ternaire, de fait, est seule capable de nous ouvrir la voie du dépassement ». En quelques pages il rend ces concepts abordables… Et dans un des poèmes du recueil il écrit ceci :
« L’infini que traverse le souffle
du Vide médian
Là est le lieu de vie
Là est le lieu
Là est »

N’est-ce pas exactement ce que le livre de Michel Diaz propose ? C’est la lecture que j’en fais.

« Disparaître, voilà. Disparaître de tout et de soi. »
Mais qu’est-ce que « disparaître », cet horizon présenté comme le sommet du choix de soi ? Rien de triste, est-il dit.
Ne plus revenir, choix d’Ulysse. Donc pour ceux qui le perdent, disparition. Mais c’est bien plus. Un destin assumé, un « accomplissement ». Comme un renoncement au personnage qui joua son rôle de terrien parmi les êtres de sa vie. Mais un accès à l’essence qui touche le Vide des mystiques (pas tout à fait le même que celui du Tao, mais le rejoignant). Au sens de l’essence de l’être, du centre atteint d’un silence dont le vide est densité d’être, pour un homme « délesté de son ombre ».
Celui qui n’a plus d’ombre est toute transparence à la lumière. Que ce soit l’ombre du corps ou celle que Jung veut que l’on cerne en soi…

Cet accomplissement en disparition devient aussi, par cette lecture, un itinéraire d’écriture. Celle capable d’émerger du silence et de la part essentielle de qui écrit. Vers une lumière autre.
Relisant en ce moment Taisen Deshimaru j’ai associé à l’écriture de Michel Diaz un fragment destiné à traduire le sens du zen, sous le titre L’œil de la sagesse.
Peu importe que ce soit par l’assise, ou la marche, ou la contemplation de la nature. Peu importe l’adhésion, ou pas, à telle philosophie, ce que je retiens c’est la longue patience. Comme pour Ulysse le voyage de l’écrivain dans ses mots est un parcours de solitude, sans fin et sans retour. Ce ne peut être autrement quand c’est à hauteur d’exigence.
Voici ce fragment, qui parle de lumière et d’obscurité (autre lien avec l’univers de Michel Diaz) :
« Le chemin qui mène à l’aller est long.
Vraie lumière non illuminée.
Savoir voir la lumière dans l’obscurité »
Voir l’une dans l’autre, et un commencement dans ce qui finit, un commencement dans ce qui n’est que l’approche du départ. Ou l’ombre des apparences qui cachent le vrai visage intérieur.

Ulysse veut « s’incliner au bord du monde ». La mer, ou le ciel, l’autre de la vie. C’est penser la mort et le deuil, la séparation ultime dont on ne revient pas, couronnement de toutes les séparations vécues. Mais « s’incliner » pour peut-être pencher et tomber dans le non-être ce peut être aussi, au contraire, accepter que notre monde ait un bord, celui du « Temps » (avec majuscule, pour le dernier mot du livre) où Ulysse voit se déposer la « cendre » de leurs « yeux ». Cendre de mort et de vie, car mémoire, trace qui demeure de ce qui fut.

Mesure du chemin parcouru, retour en arrière. Il y avait cette « désolation d’une âme » dans « ses doutes », et l’errance entre « ici » et « ailleurs », et des « mots cendreux » luttant contre le temps (sans majuscule) et cherchant « appui sur le silence ». Temps, dernier mot, prend une majuscule car le relatif rejoint l’absolu.

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LIENS…

PAGE sur Michel Diaz sur le site des éds. Musimot…
http://musimot.e-monsite.com/pages/auteurs/de-a-a-g/michel-diaz.html

SITE personnel de Michel Diaz…
https://michel-diaz.com/

Dans l’anthologie « Rencontrer » de Terre à ciel, un très beau poème de Michel Diaz qui traite très personnellement le thème, en lien avec l’essence de la présence d’un arbre, donc sa présence devant l’arbre, et sa rencontre, en même temps, avec lui-même.
https://www.terreaciel.net/Rencontrer-anthologie-proposee-par-Florence-Saint-Roch#.YaAg1ynftPx
Recension précédente, autre livre de Michel Diaz, Lignes de crête… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/04/17/re…

Et je relie l’univers de ces lectures à ma recension (2020) de l’ouvrage de Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2020/07/15/ra…

Pierre Fuentes photographe (présentation de son art)…
https://artothequetouraine.com/pierre-fuentes/
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La source, le poème : une réflexion de Bernard Fournier

1 réflexion sur « La source, le poème – Michel Diaz/Lionel Balard »

  1. […] Maintenant passons à « La Source, le poème ». Quelle belle métaphore ! Je ne suis pas certain d’avoir déjà rencontré cette alliance de l’inspiration et de la source, du moins de cette façon à la fois très réelle, concrète et très poétique. On a là un souffle évident à longues laisses comme celle-ci où sont évoqués les « consulats de différents soleils « liés aux « milliers d’années » comme aux « chants nouveaux ». On retrouve les pierres et leurs « vertèbres ». Vous parvenez à dire les moments ineffables de l’inspiration, cette « parole imprononçable encore mais constante, simple et soyeuse, où se dit l’éphémère de l’être-au-monde ». « Se dérobe le souffle des mots sur la peau palpitante de la lumière, « Mots à peine » « cherchant une prière » « ces éclats d’indicible murmure, offerts aux lèvres su secret ». Vous avez su dire là ce qui est difficile à cerner. « Ainsi vont ces images […] qui s’écrit sans nous » Et vous demeurez dans l’humilité (ici on devrait dire la fluidité).Texte bref, lui aussi fluide et qui tente de mimer cette fluidité, pour mieux rendre compte de la fluidité, de l’éphémère de la parole. Après la première surprise, le premier éblouissement, c’est vraiment un ravissement que de vous suivre à vau l’eau dans cette quête impossible de la parole, dont on devine cependant qu’elle est là, sous nos yeux, dans l’écriture qui se fait.
  2. Et puis vient Concerto où nous apparaissons presque ensemble dans la « victoire inglorieuse du doute et de l’incertitude ». Quelle précision que « cette heure » dont on ne sait rien d’abord mais dont on devine tout. Où l’on retrouve La source le poème dans la « source tremblée » des « voix jetées sur des jardins fantômes » ; « mais on écrit avec l’absence, comme l’on écrit avec l’eau ». Et j’entends ces belles métaphores, « les hanches du vent », « la friche des jours ». C’est une belle manière de refaire vivre « l’enfant d’une nuit d’Idumée » avec dans le « lever du jour » le « sel tombé des paupières ».Au contraire de mes statues, il me semble qu’il faille, non, vraiment, je m’arrête volontiers à chaque paragraphe/ strophe, pour en éclaircir le sens, en apprécier la teneur. J’aime ces moments où la clarté devient possible, où le brouillard s’efface. Car cette prose aime à retenir le lecteur pour lui susurrer à mots couverts ses secrets. Voilà en peu de mots mon ressenti à la lecture de ces deux textes. Je reçois presque en même temps, un autre opus de cette collection, le texte de Jean-Louis Bernard Marche à contre espace » ; il m’invite même à y participer. Pourquoi pas ? Mais sont-ce des livres à part entière ? en cas je peux aussi en faire un compte-rendu pour Poésie/ première, n’est-ce pas ?
  3. Bien amicalement. Bernard Fournier

Liber figurarum C.VIII – Patrice Delory

Patrice Delory Artiste Peintre Plasticien - Home | Facebook
Patrice Delory

Ah !  La fenêtre !

On regarde cette image, et l’émotion aussitôt nous étreint.

On ne sait d’abord pas pourquoi…Mais pourquoi justement ?

Peut-être que la césure que la fenêtre marque dans l’espace peut aussi s’effectuer dans le cas d’une réclusion : frontière inviolable ou espoir d’évasion, elle est alors l’unique point de contact avec l’extérieur.

Oui, pourquoi cette image nous laisse l’impression d’une solitude tragique ?  Semblable à celle que nous laissent certaines toiles de Hopper ?

Parce que cet homme est seul derrière sa fenêtre. Et séparé. Parce que la séparation se double d’une antithèse vie/mort : au temps arrêté de l’espace clos et plongé dans l’obscurité, ou dans la lumière incertaine qui est celle de cette image, s’oppose celui de la vie qui continue son cours dans l’espace ouvert du dehors. Mais ce dehors, (gris de son crépuscule ou peut être investi de brouillard), est-il plus lumineux que ce dedans ?

Quoi qu’il en soit, sont installées dans le dessin les conditions de l’expiation, méritée ou non, dont l’aboutissement peut être, dans les cas extrêmes, la mort elle-même.

La frontière participe alors pleinement de la dramatisation de l’image, elle porte en elle le désir de son franchissement, soit de la transgression. Soit l’abandon, c’est ce que l’on croirait plutôt ici, à la résignation de ne plus rien attendre de quelque lumière… La mort, alors serait déjà à l’œuvre.

Et d’ailleurs, le reflet du visage n’est pas « sur » mais « derrière la vitre, comme celui de qui en est déjà dépossédé… Reflet qui est déjà visage de l’absence – et n’appartient plus à personne.

                                                                                              MICHEL DIAZ

Peut être une image de texte

1. Je serai présent à Lavaré, où je ferai des lectures, les 10, 11, 12 septembre, à l’occasion de la session 2021 du festival « Le Boucan des arts ».

2. Invité à participer à la création de l’artothèque de Lavaré, on pourra voir, à Saint-Calais (lieu du 1er événement de l’artothèque), du 5 juillet au 25 septembre 2021, une exposition de mes livres d’art et d’un certain nombre de mes livres d’artistes.