L’eau fine – En une seule injure – Alain Borne

L'eau fineL’EAU FINE suivi de EN UNE SEULE INJURE
Alain Borne – Editions Editinter – (2002)
Préface de Philippe Biget

[L’édition originale de L’eau fine date de 1947, chez Gallimard; celle de En une seule injure de 1953, chez Rougerie.]

« Contraste. Voilà un mot souvent lu ou entendu depuis la réédition , en 2001, de Terre de l’été suivi de Poèmes à Lislei. Gageons qu’il en sera de même après la présentation conjointe de L’eau fine et de En une seule injure. Que l’on n’attribue pas ces choix éditoriaux à une vaine recherche d’effet ! Alain Borne est ainsi, pétri d’ambivalences et de déchirements qu’il assume avec une extrême lucidité. […]

* * *

Après Terre de l’été (1945) et Poèmes à Lislei (1946), L’eau fine (1947) complète la trilogie qui valut au poète sa notoriété dans les années d’après-guerre. […]

[…] il n’est pas inutile de s’attarder quelques instants sur deux indices concordants : la dédicace « A ma mère » et la citation liminaire de Rimbaud à laquelle Borne emprunte son titre:

Eternelles Ondines ;
Divisez l’eau fine.

[…] Qu’y a-t-il à la fois de plus profond et de plus banal, pour un fils, que de vouloir offrir à sa mère une célébration de son enfance, jusqu’à y retrouver la symbiose fondatrice du sentiment amoureux ? Non, aucune originalité dans le thème, mais ce qui donne son épaisseur à L’eau fine, c’est le ton : la totale candeur, l’authentique naïveté qui seules permettent d’entreprendre le voyage au-delà des verts paradis. Car le recours à l’enfance semble être un moyen de recycler l’inspiration. Il s’apparente à une discipline, à une méthode de méditation qui permettrait au poète schizophrène d’arriver au but :

il pose son visage blessé contre la grille
et regarde le parc fardé de trop de fleurs

jusqu’au moment où :

                                                           il se voit
tel qu’il n’a cessé d’être en son cœur travesti.

* * *

Avec En une seule injure (1953), c’est vers l’autre extrémité de la vie que se tourne le poète. L’aveu est explicite : L’enfance est morte en moi. Certes, la pensée de la mort, la prémonition de son imminence, son association fréquente à la pulsion sexuelle et au sentiment amoureux sont déjà présentes dans la plupart des recueils précédents d’Alain Borne, y compris les premiers. Mais, En une seule injure est l’occasion de franchir un pas décisif : consacrer un livre entier à la mort fougueux fleuve en dérive qui l’entraînera dans son limon. A trente-huit ans, Borne nous offre sa première leçon de ténèbres. En effet, au-delà de la peur physique (mais je suis pour moi le premier/à essayer le sort amer de mourir) c’est à une longue méditation sur la disparition et l’oubli à laquelle nous convie le poète.[…] Les poèmes sont souvent inhabituellement développés si l’on se réfère aux œuvres précédentes, comme pour ménager à l’esprit le temps et l’espace nécessaires pour appréhender sa propre finitude, contredite en quelque sorte par des formules qui ne se referment jamais :

L’homme ne monte pas très haut sa taille
et le voici déjà couché
avec sa blessure natale
pivoine épanouie sur le terreau d’un corps.

En une seule injure est dédié à la mémoire du père du poète décédé en 1951, ce père avec lequel il avait une relation si distante malgré l’affection inexprimée qu’il lui portait. La présente réédition est donc aussi celle d’un double hommage filial. La mort du père contribua-t-elle à libérer une longue fureur qui ne s’éteindra plus ? Sans doute, car il semble bien que la voix du poète atteigne une gravité nouvelle.
[…] »

Philippe Biget – (Avril 2002)

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