Note liminaire au recueil LE CŒUR ENDURANT, Michel Diaz – éditions de L’Ours Blanc, 2016
« Désireux de placer quelques mots au seuil de ce recueil, je ne puis q–ue me retourner vers l’image qui sert ici de titre, empruntée à un poème de Philippe Jaccottet, afin de souligner ce que les mots, qui se frayent un chemin dans l’ombre et le silence, comme font les racines des arbres, réclament de « cœur endurant ».
Lui rendant par là double hommage, je citerai aussi ces vers du même auteur, extraits de L’ignorant :
La nuit n’est pas ce que l’on croit, revers du feu,
chute du jour et négation de la lumière,
mais subterfuge fait pour nous ouvrir les yeux
sur ce qui reste irrévélé tant qu’on l’éclaire.
« … qui reste irrévélé tant qu’on l’éclaire » ?
Cela pose, en une formule, le paradoxe propre à la parole poétique, tentée de dire l’indicible, ou tout du moins de l’approcher mais qui, en le disant, ou du moins tentant de le dire, en fait ce feu de paille qui retourne à sa vocation d’indéfinissable silence.
Ce qui est dit se meurt déjà, avec le premier mot osé, et ce qui n’est pas dit, inassouvi, est parole qui, comme un puits d’eau noire, brûle de l’incendie de son propre désir.
Mais qu’importe, s’il s’agit avant tout de creuser dans l’humus premier du langage pour tenter d’accorder son cœur aux pulsations du monde et aux murmures d’une voix profonde qui jamais, en nous, ne s’apaise ?
Et encore, toujours, faut-il pouvoir faire coïncider le monde nu, offert à nos déchiffrements et s’y dérobant à la fois, cela même qui constitue l’infini du réel, avec l’obscur tâtonnement des mots de la parole – dont la si lente progression « vers le poème » relève moins d’une volonté de l’esprit que d’une aventure magique et toujours incertaine.
C’est dans cette partie engagée, ce jeu de forces opposées, d’écorces arrachées à la chair du silence, que se joue le sort de « l’irrévélé », car le mot tu est aussi celui qui clôture la nuit à jamais. »
M. Diaz
Dessin de couverture de Jeannine Diaz-Aznar