Archives de catégorie : Revue de Presse

Sous l’étoile du jour – Marie-Christine Guidon

Note de lecture de Marie-Christine Guidon, publiée in Art et poésie de Touraine, N° 254, automne 2023

Sous l’étoile du jour

de Michel DIAZ

Rosa Canina Éditions publie principalement des écrits poétiques ancrés dans le vécu et cet ouvrage préfacé par Alain Freixe en est la vibrante démonstration. En effet, dans le recueil de Michel Diaz, « s’évide le poème aux limites d’un cri »…

Les pensées peuplées de failles et de déchirures, se dessinent et s’enroulent, s’apprivoisent et se dérobent « sous l’étoile du jour ». Le chemin d’exil qu’emprunte l’auteur est souvent éclairé de « la flamme obscure des confins ». Dans une « marche qui défie le vide », il évoque son « jardin perdu » avec une « douloureuse nostalgie ». Il va puiser aux racines ce qu’il subsiste de sève pour résister encore.

Telle une étoile filante, venue d’un horizon lointain, « royaume défunt », Michel Diaz se risque à chercher « dans l’ombre des pierres », « entre allégresse et désarroi », une aube prometteuse « juste pour éprouver comme un sentiment d’avenir ».

Sa plume sublime le prosaïque et pétrit le verbe avec une puissance démiurgique. Il écrit « pour donner vie à tout ce qui n’est pas, et chair à l’invisible » poursuivant inlassablement sa quête éperdue sur des sentes jalonnées de solitude, de poussière et de cendre, nous laissant face à une « phrase inachevée sur le blanc du papier » mais les yeux rivés sur un lointain, un possible à réinventer…

À cette heure où tout n’est qu’impermanence et incertitude, Michel Diaz, à n’en pas douter, écrit « un canif enfoncé dans le cœur » !

Marie-Christine Guidon

     In « Art et Poésie de Touraine »N° 254 (automne 2023)

Sous l’étoile du jour – Gilles Lades

Sous l’étoile du jour

Michel Diaz

Editions Rosa canina (2023)

Lecture de Gilles Lades, note publiée in Verso N° 186

         Un verbe allant, continu, constant, est la marque de cet ouvrage. Malgré « le blanc initial de la page, son vide absolu », le poète finit par se trouver des points d’appui. Il peut ainsi définir un but « à la proue de l’imprévisible / pour vivre plus vivant ». L’on pense à une charrue qui glisse sur un sol trop sec, finit par mordre dans la terre, et rejoint sa mission de fruit. Mais c’est d’abord l’errance, lancinante répétition du rien et du tout, qui s’impose comme seul chemin, apprentissage du présent et surtout de l’avenir.

         Ecrire, ici, se conçoit moins pour célébrer l’existant que pour rassembler l’épars. Dans ce long délai, l’absence nous taraude. Comment mieux la désigner que par « l’occupant d’un royaume défunt » ou par « ce bleu sans fond du silence » ? C’est alors que la figure du vagabond s’inscrit sur l’horizon inachevé. Les mots dont il est porteur acquièrent la légitimité plénière d’un carnet de route pèlerin. De conserve, le rai de lumière et « le commencement d’une parole neuve » se fraient un chemin.

         Dans ces poèmes, l’action est moins ce que l’on fait que ce qui se fait, de par un ange, par exemple, gage d’une réalité nouvelle, ou du fait des mots, qui n’ont mission ni d’inscrire ni de définir, mais d’accompagner l’essentiel de ce qui a lieu.

         La personne du poète semble avoir peine à se former. Elle est parfois inscrite dans l’entrelacs des vignes, parfois égarée dans une « terre sans ciel », finalement acceptée « dans la pénombre hospitalière de ses solitudes ». Du brassage de tous les possibles, émerge « un murmure » qui « s’         arrime à (des) restes de bleu » : preuve que l’essentiel veut advenir, comme « un nouveau vent de vie ». Au moment où l’on attendrait le désespoir, le poète s’abandonne à « un lit d’herbe indulgente ». S’ensuit un vaste et mystérieux apaisement.

         Le sortilège de cette poésie procède d’une pulsation des mots et du sens, d’une mélodie méditée où le fil conducteur se relance comme un surgeon. La figure du passant « marchant dans la fatigue », enchaîné à ses « voix indémêlées », nous accompagne « en bord d’abîme ». La marche du poète qui affronte la minéralité (« quelques signes gravés sur les galets blancs du silence ») laisse monter en elle l’humanité en souffrance (« une plainte obscure inondée de tendresse »). Cette déambulation accède à une véritable espérance, « porte où aucune main n’a encore frappé ». Les chemins qui se dessinent de poème en poème conjuguent périls et sauvegarde, sous la forme d’une « lumière d’accordance ». Aux vagues ravages qui hantent ces poèmes, s’oppose « la rose pure qui fut si pure dans l’esprit ».

         Gilles Lades

Au risque de la lumière – Jean-Louis Bernard

Note de lecture de Jean-Louis Bernard publiée in Concerto pour marées et silence, revue, N° 17 (juin 2024)

Michel DIAZ et Léon BRALDA

AU RISQUE DE LA LUMIERE

Editions Alcyone, 72 pages, 18 Euros

         C’est l’histoire d’un homme qui marche. Pas celui de Giacometti dont la silhouette grêle semble avaler l’espace devant lui et les lieux à venir. Celui-ci se tient « derrière son visage », « derrière ses pas », donc à l’affût permanent des signes. Marcher, c’est « vivre une trame de surprises et d’acquiescements », disait l’anthropologue David Le Breton. Ici prend place une communication hypersensorielle avec les forces élémentaires, une porosité au monde faite à la fois d’abandon et conscience aiguë de notre incomplétude.

         Peut-être (sans doute ?) ce voyageur sans étoile est-il éclaireur de la quête duelle de Michel Diaz et Léon Bralda. Quoi qu’il en soit, les deux poètes suivent sans trêve les chemins d’ombre, « au risque de la lumière » (rêver l’obscur, c’est défaire son opposition avec la lumière), ne voulant rien laisser hors de l’écriture. Et leur dialogue ne forme pas écho (qui s’évanouit à la longue), mais résonance, cet appel qui demeure et ne dépend que de nous. Résonance qui donne à l’éternité des couleurs, non d’immuabilité, mais de pérennité du devenir.

         L’homme marche donc. Il sait que tout songe est un parcours, et que le chemin pris, esquisse piétinée, ignore les frontières. L’être humain se mue alors en véritable errant. Et puisqu’il n’est pas question de se tenir à égale distance des opposés, peut-être est-il plus essentiel d’écarter ces opposés et de cheminer dans l’espace libre ainsi dégagé, dans ce qu’on pourrait appeler le vide central. Ce vide qui n’a rien à voir avec le néant, car le dialogue avec lui nous fait comprendre que toute existence ne repose sur aucune essence. Il sera donc question de jouer avec les vertiges, d’être le scribe des rencontres entre temps et solitude.

         Muni de son seul dénuement en guise de calame, l’homme arpente inlassablement cette tension entre soi et le lointain qu’on appelle territoire. Les deux voix qui lui donnent chair, naturellement cousues l’une l’autre, brodent un canevas où la célébration s’entre croise avec la méditation. Et de ces voix jaillit à la fois une inquiétude et un émerveillement devant cette inquiétude. Le monde s’ouvre ainsi dans les harmoniques d’une langue précise et pure, se nourrissant de leur forme en divergence. Tout ce qui aurait pu opposer les deux poètes les réunit : rythme et présence, souffle et absence. Ce qui pourrait n’être qu’un banal dialogue se transmue ainsi peu à peu en une comète à combustion lente, dont la poétique lumineuse, mélange de fantaisie (au sens musical) onirique et d’attention infinie à l’instant, ne manque pas d’opérer chez qui s’y abandonne une légère altération de la perception. A mesure que les phrases, nettes ou ondoyantes, tombent dans notre espace mental comme des stèles, on se retrouve accroché à la résonance de cette présence-absence sans cesse réactivée, éblouissante liturgie intime. Résonance que devient le poème seulement s’il enseigne que la plénitude des êtres et des choses tient à leur précarité, aux « marques du fragile, du faillible et du fou », à « ce qui va si tôt se ternir ou se taire ».

         Que cherche finalement notre voyageur en sa marche ? Peut-être tenter, sinon d’abolir, du moins de réduire la distance entre l’exil et la présence. Se mettre en état de jachère pour que nomadiser soit, à travers les égarements, une fête réconciliatrice avec soi-même. Creuser en soi tout en se déployant dans l’espace (ce que Nietzsche appelait « l’inventivité créatrice »). Peut-être, tout simplement, faire résonner le silence en sa nécessité intérieure (respirer, en somme). Roberto Juarroz parlait d’ « ouvrir quelque chose entre la parole et le silence ». Les silences, ici, déconnectent les effets de leur cause pour en restituer la saveur nue. Quant aux mots, s’ils inondent tout, tel un langage des origines, par leur pouvoir d’accueil, c’est qu’ils sont offrandes. Et ces mots qui captent une vibration du disparu, nommons-les, au hasard, traces… Hommage leur est rendu à chaque page, à ces mots non terrestres, frères du souffle, de ce qui navigue entre rien et quelques chose :

         « Ces mots qui ont survécu, insurgés, aux embâcles de la mémoire ».

         « Ces mots friables que rongent nos questions ».

         Et l’alliage de ces mots rend chaque page à la fois d’une beauté sans urgence ni lenteur et d’un rythme hypnotique aux frontières des rituels anciens, la totale différence stylistique donnant jour à un livre qui condense l’archive et le surgissement ; la trace et le vif, l’amour des commencements et la poésie des confins. Langage transmué en un chant essentiel que métaphores et symboles rendent proches de l’indicible. Ecriture passage entre deux labyrinthes, pensée comme désir, comme recherche incessante de la stupeur originelle. On est juste sur le seuil, là où notre monde et le monde songé se filtrent réciproquement. Ce seuil n’est bien sûr ni point de fixation ni même étape, mais (à l’instar du livre lui-même) inachèvement qui se consume sous le ciel d’une errance perpétuelle, celle dont on sait qu’on peut revenir vivant (définition, peut-être, de la pensée).

Jean-Louis BERNARD

Au risque de la lumière – Jean-Pierre Boulic

Michel DIAZ et Léon BRALDA – Au risque de la lumière
Éditions Alcyone 2023 (72 p ; 18 €)

Lecture de Jean-Pierre Boulic, publiée in Diérèse N° 90 (été 2024)

Il y a peu, Michel Diaz venait nous partager un cri du cœur avec le beau recueil « Quelque part la lumière pleut » chez ce même éditeur. Nous le retrouvons en compagnie de Léon Bralda afin de nous inviter à assumer « Le risque de la lumière » qui se défait de « l’ordre pesant du langage » dans un dialogue fécond et bienfaisant, incitant le lecteur à un véritable discernement.

Tout s’établit dans l’obscur d’un monde tordu qui se morfond sous « les gravats des jours », dont l’absurde somme chacun de n’avoir pas de temps, de manière à imposer alors à consommer, s’abreuver de jouissance ou…de violence, pour conduire de fait « à la nuit d’infinies solitudes ». Il est certes de bon ton aujourd’hui de deviser sur les blessures de ce monde, mais doit-on s’en satisfaire ? Ne s’agit-il pas a contrario de l’écouter et lui parler ? Lui suggérer une voie de confiance ? « Faut-il donc sans cesse tout réinventer ? »

Si l’on peut rappeler que la poésie se veut service inutile et pourtant indispensable, la lecture « risquée » de cette nouvelle rencontre-en-poésie donne à quiconque la faculté de défricher quelque peu « la lumière exacte de son humaine destinée…».

Oui, l’homme toujours marchant – car la route s’accomplit par sa marche – et marqué par le mystère de la vie, est appelé à sa propre aventure. Quel bleu voir surgir au-dessus « des vergers et des vignes » parmi « l’air rugueux » ? Le sujet de la poésie n’est pas d’inventer. Mais tout conduit à dépasser les apparences et à porter un autre regard sur les contingences. Quelle force de détachement se pourra exulter avec le poème vers « un avenir d’étoiles » ? Pour cela, faut-il « aller toujours plus haut, toujours plus loin » ?

N’y a-t-il pas seulement à chercher « ce qui a raciné aux estives des mots » dans l’urgence de la terre-poésie, « terre d’éveil » à « l’immensité des vies… » ? Nécessairement, se feront jour l’insaisissable, l’imprévu, l’inconnu, l’impensable, l’invisible, mais la « persévérance de l’herbe » penchera du côté de la jubilation où la quête de l’humain reconnaîtra finalement le temps gratuit de la joie, la douceur du passage, la fluidité du jour pour conquérir « un espace infini ». L’espoir qui a été semé dans l’obscur va germer.

                                                        Jean-Pierre Boulic

Marie-Claude San Juan – Notes de lecture, in « Trames nomades » (18/08/2023)

Avec l’éditorial du numéro 85 de DiérèseArcanes du poème, je retrouve une écriture que je connais bien, puisque c’est Michel Diaz qui écrit.

En exergue, Henri Thomas (Le besoin d’écrire est premier). L’expression, ensuite, résultant aussi du hasard, d’après l’auteur cité.

Michel Diaz ne nous invite pas à nous interroger sur la source de ce besoin d’écrire, recherche, dit-il, qui serait illusoire. Car…  Il est, ou il n’est pas

Par contre il relie la démarche d’écriture (et d’existence) au désir archaïque de fissurer ce qu’on nous a appris à concevoir de la réalité du monde. Opposant regarder (qui ne suffit plus) à voir (qui ne se fait qu’avec nos yeux de l’intérieur), il rejoint ce que Michaux nomme, rappelle-t-il, espace du dedans, ou ce lieu où Werner Lambersy voit la possibilité de l’immensité. Je comprends ce qu’il met dans cette opposition entre regarder et voir. Une exigence de profondeur, possible selon la part de soi qui s’offre à la perception visuelle, volonté de nommer pour distinguer et dire une bascule de conscience, en quelque sorte. (Et c’est vrai que voir est étymologiquement de la nature de ce que Rimbaud cherche, se faire « voyant »). Même si, pensant à la photographie (qui capte, ou qui reste un geste mental) je mets, pour ma part, dans le verbe « regarder » une force de présence qui fusionne avec ce qui est de l’ordre de la captation par ces yeux de l’intérieur. Mais ce sens n’est pas toujours dans les emplois du mot, c’est vrai.

Ce qui intéresse Michel Diaz c’est une ouverture, un élargissement permettant à l’esprit d’accueillir le hasard, et (cette fois c’est une autre écoute dont il s’agit) il évoque l’équivalent des yeux de l’intérieur, ce qui serait l’oreille intérieure, capable de laisser surgir ce qui émane du silence d’avant la parole.

Pour faire comprendre exactement la dimension qui est en jeu, là, il reprend l’expression de Reverdy, état poétique. Et cite Jacques Ancet, qui ne séparait pas intensité de langage et intensité de vie.

Forger le poème, écrit-il, c’est aller nécessairement de l’obscur vers le sens. Là je retourne en arrière dans son texte. Forger, je pense au feu. Or il a utilisé l’expression matière-lave pour qualifier la substance insaisissable de cette opération de soi créant. Je traduis : alchimie. Et une transformation alchimique échappe au sujet, refuse les normes, accepte le désordre : Le sens, en fait, vient déranger un ordre qui échappe à toute raison. Ce qui compte, comme le dit Marina Tsvetaïeva, citée, c’est la résonance. Et comme, le rappelle-t-il, c’est inscrit dans les Illuminations de Rimbaud.

Pour Michel Diaz le poème est affaire d’âme.

Mais j’ai lu aussi avec intérêt, dans le N° 86 de Diérèse, les pages de Michel Diaz sur Jean-Paul Bota. Ce qui l’interpelle dans l’écriture de ce poète c’est qu’elle le mette en face de ce surgissement énigmatique, de cet impondérable qu’est la poésie, parce qu’il ne veut pas faire poésie. Au début de sa réflexion Michel Diaz a cité Henri Michaux, qui ne trouve pas particulièrement de la poésie dans les poèmes, mais dans n’importe quel genre, soudain élargissement du monde. Et Michel Diaz est plutôt d’accord avec cette affirmation. Moi aussi, pour une raison. Qui est que trop de textes ne correspondent pas à une nécessité, et je serais tentée d’ajouter, nécessité métaphysique. Ou, autre souffle incontournable, à une évidence d’ordre presque physique. Cri ou chant des viscères. Poursuivant ma lecture je trouve dans ce texte une mention de Thelonius Monk qui rejoint ce que je viens d’écrire : une force qui le guide, qu’il exsude chaque fois qu’il se met au piano. Puis il cite Keith Jarret, pour rapprocher la création de Jean-Paul Bota du même processus d’improvisation. Peut-être que ce qui peut me déplaire (et déplaire à Michel Diaz) dans certaines œuvres, en poésie, c’est qu’elles mentent. Or la musique ne le peut pas, ni la danse, comme c’est possible avec les mots qui peuvent masquer l’absence de source authentique, de nécessité.

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