Archives de catégorie : Revue de Presse

Eloge des eaux murmurantes – Marie-Christine Guidon

Eloge des eaux murmurantes

Michel DIAZ – Lionel BALARD

Editions la Simarre (2024)

Note de lecture de Marie-Christine Guidon, publiée in Arts et poésie de Touraine (mars-avril 2024)

Cet « Éloge des eaux murmurantes », aux images évocatrices, est une véritable invitation à un voyage onirique, dont on ne sait où il nous mènera…Nous confions, alors, notre périple en pays poétique à Michel Diaz, poète habité par un chant de longue haleine. Lionel Balard, artiste plasticien et graveur, prête sa plume différemment, à ce très bel ouvrage avec la création de xylogravures, illustrant de façon magistrale ce livre d’art. Cette complémentarité est à l’égal de celle entretenue, de la première à la dernière page, avec la Nature. Le voyageur se laisse happer « dans l’évasement de son souffle, vers cet inconnu qui l’attend, la trajectoire du poème »…

Dans le friselis de l’onde et le suintement des pierres aux lèvres humides, l’eau serpente, ruisselle aveuglément. Elle s’abandonne, alanguie, caressant le velours moussu, comme des larmes sur les joues d’un enfant « eau restreinte qui suit son tracé reptilien ». L’eau porte en elle un flux de mots invisibles, lien secret au cœur de l’élément liquide, élixir de toute vie « parole imprononçable encore mais constante » de « ce qui nous est plus intime, et que nul ne saurait nommer ». Aux entrailles des rivières, dans le limon fertile, naissent au fil de l’eau, les perles d’un temps suspendu et fragile, battements furtifs…en un ballet aquatique impérieux, des herbes éprises d’une liberté farouche dansent au gré d’un courant capricieux. Mais, dans les méandres, s’accroche la mémoire…c’est là, au creux des « échos sourds de l’eau » que murmurent les « voix disparues ».

La fugacité des reflets changeants, qui s’offre à nos regards vient troubler nos certitudes et aiguiser nos sens endoloris comme une respiration à deux temps entre hier et demain, abandon et conscience, pénombre et lumière, silence et cri « souffle des mots sur la peau palpitante de la lumière ». Dans le long cheminement du poème, la métamorphose s’accomplit « glissement d’une navigation très lente dans les veines ». Les écailles des heures apprivoisent patiemment les eaux troublées de l’enfance « Le temps se réinvente ». Chaque seconde porte en elle l’éternité, là où les lendemains chantent en quête de clarté « à travers l’âpreté des jours et l’improvisation de son tracé, creusé d’orages et de pluies ».

Lorsque tout se tait, que la blessure s’apaise, seul, émergeant du silence, s’élève un chuchotis, ce chant incantatoire qui chavire la pensée nomade « Territoire de solitude » « ce lieu d’incertitude où germe le poème » !

Marie-Christine Guidon

Au risque de la lumière – Antoine de Matharel

Au risque de la lumière

Michel Diaz – Léon Bralda

Editions Alcyone (2023)

Note de lecture d’Antoine de Matharel, publiée in Poésie sur Seine N° 111 (décembre 2023)

         « L’existence est une énigme », écrivit Andrée Chédid, citée par les auteurs en tête de cet ouvrage. Homme de théâtre l’un, artiste l’autre, mais tous deux poètes, Michel Diaz et Léon Bralda se donnent la main pour rechercher ensemble la clef de ce mystère qu’est celui de notre présence en ce monde et du sens qu’il convient de lui donner. A condition bien sûr… que ce sens existe ! Itinéraire difficile en vérité, « chemin de croix », parfois, semé de pierres ; l’un « parle d’une voix libre d’aller dans l’aube de ses mots et d’écrire un secret aux pages du chemin », l’autre « va, sur ce chemin, balayé de cendres nomades, dérouté souvent de lui-même, comme quelqu’un trébuche sur l’énigme de cette ombre qui le précède ».

          Au cours de versets magnifiquement peuplés d’images saisissantes et rythmés d’anaphores, où se succèdent l’éclat de la lumière, la noirceur des gouffres, le silence éloquent des pierres et la fécondité des souvenirs, les poètes nous proposent de « suivre (leur) chemin à la croisée des nuits qui mènent à délivrance, excaver cette obscure clarté scindant l’espace où le miroir accueille un soleil effondré ». Que ce chemin soit sans issue semble pour eux une évidence, pourvu qu’en compensation les mots, le poème, le « flot d’images », « l’écluse des mots qui accordent leur temps aux soies de nos consciences », permettent au « pauvre errant » « d’aller vers l’inconnu » pour entendre, au sortir des ombres, « ce chant d’humaine joie conquise sur l’obscur, pour que se fasse enfin, au risque de la lumière, le fruit fécond de nos silences à venir ».

         Antoine de Matharel

Marie-Claude San Juan

Dans le dernier numéro de la revue Diérèse (de Daniel Martinez), le 88, j’ai la joie de lire la superbe, et ample, recension que Michel Diaz a consacré à mon dernier recueil, « Le réel est un poème métaphysique », Unicité. Dans ce numéro je suis en compagnie des lectures qu’il a faites des livres de Jacques Robinet, Richard Rognet, et Jean-Pierre Boulic. Mais j’ai découvert aussi autre chose, de Michel Diaz dont je lis surtout les recueils de poèmes et fragments poétiques (écriture que j’apprécie particulièrement et place « haut ») : dans cette revue, pages 199 à 215, un récit troublant, « Un petit théâtre de ruines », dont l’exergue (La Rochefoucauld) révèle un sens, un questionnement (frontière indistincte entre vérité et mensonge, ou les fils étranges du destin).

Donc, sa recension. Une capacité intuitive qui lui fait savoir, au-delà des pages à déchiffrer, ce que celle qui écrit tente de décrypter, cet autre savoir dont l’écriture veut dire la souterraine conscience. Il sait, parce que sa démarche d’écrivain se situe dans un espace de profondeur signifiante.

Ce numéro doit être parcouru plusieurs fois. J’y retrouve plusieurs noms connus, et des auteurs à découvrir. Mais, là, mon sujet est cette lecture magnifique de Michel Diaz. Je choisis d’en extraire des fragments. Mais pour en mesurer la valeur sans trahir son art il faut lire son texte intégral.

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EXTRAITS :

« Mes photographies ne veulent rien illustrer. Mes textes ne commentent aucune image » prévient Marie-Claude San Juan dans le texte préliminaire de son recueil, Le réel est un poème métaphysique. Recueil composé de quatre sections, proses réflexivo-méditatives, poèmes, citations, qu’accompagnent 21 belles images photographiques de l’auteure elle-même.

Le sujet du livre est donné dès les premières phrases de l’avant-propos, « Les voiles qui délivrent le caché » : « Éternel ET éphémère, le réel, avec ses traces qui s’effacent, poussière qui glisse entre nos doigts, nous précède et demeurera au-delà de nous, réalité toujours présente quand nous ne serons même plus poussière. Tant que la planète Terre sera planète. »

Mais qu’est-ce que le « réel », cette notion à laquelle la poésie, en première ligne, se trouve confrontée, chargée d’en rendre compte ? Car le « réel » n’est pas le monde, “ la réalité ” telle que notre langue et notre culture avec ses mots, ses préjugés, ses croyances, l’a construite et continue de la modeler en fonction de nos perceptions nouvelles. N’est-ce pas plutôt ce tissu du monde, cette « peau » dont parle Marie-Claude San Juan et qu’elle appelle “ réel ”, qui fonde et déborde notre “réalité ”, la compréhension que nous pouvons avoir de ce qui est ? Ce “ réel ” n’est-ce pas surtout ce après quoi court le poète, mots en avant, comme un qui marche dans la nuit une lanterne à la main ? « Retourner le champ invisible, en écrivant », nous dit-elle. « Parfois tout est immédiat et donné, le palimpseste n’a été effacé et recouvert de signes que souterrainement. » Et elle ajoute : « Mais au-delà de l’instant saisi, cette brutale émergence d’une mémoire des yeux, préférer la permanente lenteur de la gestation de soi. Écrire ? Mettre ses yeux en mots, mais les yeux derrière les mots. »

(…)

C’est donc cette écriture poétique qu’elle nous donne à lire aujourd’hui avec ce livre, proses et poèmes qui posent l’enjeu du livre (trouver ces « instants où l’immense se rencontre dans l’imperceptible, quand la lumière effleure des parcelles d’or que l’eau invente »), et le lieu même de cet enjeu : le poème comme une ouverture sur l’inconnu. Un petit rectangle de mots qui donne sur ce qu’on ne sait pas…

Ce que nous dit ce livre, c’est qu’il n’y a pas de différence “ ontologique ”, comme disent les philosophes. Qu’il n’y a pas la réalité où nous vivons et une “autre réalité” (le réel) mais que c’est le même monde éprouvé différemment.

(…)

« Le hasard peint des couches de marques sur le sol, les portes, les murs, en omniscient caché, créateur de sens. Le temps griffe les surfaces, trace, grave et demeure. Effleurage mystique du toujours non su, caresse du réel calligraphiant notre radicale ignorance. » Presque rien, pas grand-chose, voilà ce qui reste quand on se retourne et que les yeux ont regardé. Moins qu’un chemin, moins que des traces, juste un miroitement évaporé. Comme si rien n’avait jamais été. Mais si ce rien qui n’est quand même pas rien, et si ce n’est pas le rien d’en haut dont parlait Simone Weil, ce serait le rien d’ici-bas comme une transcendance qui logerait dans l’immanence, un rien germinatif, quelque chose de l’ordre de ce “ rien qui fait tout surgir ” dont parlait Sören Kierkegaard ?

(…)

Ce livre est la démonstration que la quête spirituelle, se passant de toute référence à la transcendance divine, appartient aussi à qui a fait du monde l’objet de son amour et y adhère tout entier pour s’y confondre, ainsi que le disent les derniers mots du texte : « Objectif dénuement / rien ne possède / car rien n’est possédé. Le Je se dépouille même du Je. » Et dans cette démarche de regard que nous propose Marie-Claude San Juan, il n’y a aucune différence entre le sens et la lumière…

Michel Diaz, 01/10/2022

Sous l’étoile du jour – Marie-Christine Guidon

Note de lecture de Marie-Christine Guidon, publiée in Art et poésie de Touraine, N° 254, automne 2023

Sous l’étoile du jour

de Michel DIAZ

Rosa Canina Éditions publie principalement des écrits poétiques ancrés dans le vécu et cet ouvrage préfacé par Alain Freixe en est la vibrante démonstration. En effet, dans le recueil de Michel Diaz, « s’évide le poème aux limites d’un cri »…

Les pensées peuplées de failles et de déchirures, se dessinent et s’enroulent, s’apprivoisent et se dérobent « sous l’étoile du jour ». Le chemin d’exil qu’emprunte l’auteur est souvent éclairé de « la flamme obscure des confins ». Dans une « marche qui défie le vide », il évoque son « jardin perdu » avec une « douloureuse nostalgie ». Il va puiser aux racines ce qu’il subsiste de sève pour résister encore.

Telle une étoile filante, venue d’un horizon lointain, « royaume défunt », Michel Diaz se risque à chercher « dans l’ombre des pierres », « entre allégresse et désarroi », une aube prometteuse « juste pour éprouver comme un sentiment d’avenir ».

Sa plume sublime le prosaïque et pétrit le verbe avec une puissance démiurgique. Il écrit « pour donner vie à tout ce qui n’est pas, et chair à l’invisible » poursuivant inlassablement sa quête éperdue sur des sentes jalonnées de solitude, de poussière et de cendre, nous laissant face à une « phrase inachevée sur le blanc du papier » mais les yeux rivés sur un lointain, un possible à réinventer…

À cette heure où tout n’est qu’impermanence et incertitude, Michel Diaz, à n’en pas douter, écrit « un canif enfoncé dans le cœur » !

Marie-Christine Guidon

     In « Art et Poésie de Touraine »N° 254 (automne 2023)

Sous l’étoile du jour – Gilles Lades

Sous l’étoile du jour

Michel Diaz

Editions Rosa canina (2023)

Lecture de Gilles Lades, note publiée in Verso N° 186

         Un verbe allant, continu, constant, est la marque de cet ouvrage. Malgré « le blanc initial de la page, son vide absolu », le poète finit par se trouver des points d’appui. Il peut ainsi définir un but « à la proue de l’imprévisible / pour vivre plus vivant ». L’on pense à une charrue qui glisse sur un sol trop sec, finit par mordre dans la terre, et rejoint sa mission de fruit. Mais c’est d’abord l’errance, lancinante répétition du rien et du tout, qui s’impose comme seul chemin, apprentissage du présent et surtout de l’avenir.

         Ecrire, ici, se conçoit moins pour célébrer l’existant que pour rassembler l’épars. Dans ce long délai, l’absence nous taraude. Comment mieux la désigner que par « l’occupant d’un royaume défunt » ou par « ce bleu sans fond du silence » ? C’est alors que la figure du vagabond s’inscrit sur l’horizon inachevé. Les mots dont il est porteur acquièrent la légitimité plénière d’un carnet de route pèlerin. De conserve, le rai de lumière et « le commencement d’une parole neuve » se fraient un chemin.

         Dans ces poèmes, l’action est moins ce que l’on fait que ce qui se fait, de par un ange, par exemple, gage d’une réalité nouvelle, ou du fait des mots, qui n’ont mission ni d’inscrire ni de définir, mais d’accompagner l’essentiel de ce qui a lieu.

         La personne du poète semble avoir peine à se former. Elle est parfois inscrite dans l’entrelacs des vignes, parfois égarée dans une « terre sans ciel », finalement acceptée « dans la pénombre hospitalière de ses solitudes ». Du brassage de tous les possibles, émerge « un murmure » qui « s’         arrime à (des) restes de bleu » : preuve que l’essentiel veut advenir, comme « un nouveau vent de vie ». Au moment où l’on attendrait le désespoir, le poète s’abandonne à « un lit d’herbe indulgente ». S’ensuit un vaste et mystérieux apaisement.

         Le sortilège de cette poésie procède d’une pulsation des mots et du sens, d’une mélodie méditée où le fil conducteur se relance comme un surgeon. La figure du passant « marchant dans la fatigue », enchaîné à ses « voix indémêlées », nous accompagne « en bord d’abîme ». La marche du poète qui affronte la minéralité (« quelques signes gravés sur les galets blancs du silence ») laisse monter en elle l’humanité en souffrance (« une plainte obscure inondée de tendresse »). Cette déambulation accède à une véritable espérance, « porte où aucune main n’a encore frappé ». Les chemins qui se dessinent de poème en poème conjuguent périls et sauvegarde, sous la forme d’une « lumière d’accordance ». Aux vagues ravages qui hantent ces poèmes, s’oppose « la rose pure qui fut si pure dans l’esprit ».

         Gilles Lades