Archives de catégorie : Revue de Presse

La Croix, 8 mars 1989

Le Dépôt des Locomotives au Nouveau Théâtre Mouffetard

    Bien sûr, le sujet n’est pas très neuf: deux pensionnaires pour maison de repos entre mouroir et prison – de ceux qui “se cramponnent”, qui “s’agrippent” – décident de s’évader et prouvent, tout au long de cette folle cavale, que l’aspiration à la vie n’est qu’une question de désir et de respiration. Bien sûr, l’écriture de Michel Diaz, un rien apprêtée, fait, dans un premier temps, un peu avant-garde désuète – ô héritage de Beckett, Ionesco… voire Arrabal. Pourtant, malgré ces réticences que l’on finit par abandonner car la langue est forte et belle, on se laisse prendre à cette fuite d’amour et de mort moins réelle que rêvée. Cela tient aussi à la mise en scène de Georges Vitaly, discrète mais efficace dans son élégante manière de canaliser les coulées éruptives du texte. Cela tient encore aux têtes d’affiche sur le plateau: François Perrot et Maria Casarès. Lui, héros fatigué, jouant les mots, les idées qui lui viennent comme s’ils venaient de naître dans sa tête. Elle, magnifique comme il se doit et toujours aux aguets, vaticinant en silence ou savourant à l’avance, oeil mi-clos, sourire aux lèvres, le verbe qu’elle appelle de si loin et qu’elle profère. Rien que pour la voir et pour l’entendre, ce spectacle vaut la peine d’être vévu…

D. M.

Libération, lundi 4 novembre 1986

L’Insurrection, de Michel Diaz.

Une pièce (un récitant, un choeur de femmes) qui semble vouloir renouer avec la forme de la tragédie primitive. Et le sujet se prête au genre de la tragédie: l’insurrection algérienne, la guerre et le déchaînement de ses violences: « … 1er novembre 1954. La Nuit de la Toussaint. Le passage à la lutte arméeLe commencement de la guerre… C’est là que tout a commencé… »

Ce texte, conçu pour la scène, se prête au traitement sonore qu’exige une dramatique radiophonique puisqu’il en contient déjà tous les éléments. Il n’y perd aucunement en intensité. On est alors, devant son poste, comme à l’écoute du chaos qui secoue le monde, car cette guerre-là c’est aussi l’écho de toutes les autres qui ne finissent pas de le faire trembler.

La forme dramatique utilisée ici, « décapée jusqu’à l’os », et en rupture avec les formes plus traditionnelles du théâtre, s’apparenterait à celle du récitatif ou du poème dramatique, mais nous n’en sommes pas moins attentifs à une action dont le jeu sur les rythmes nous maintient jusqu’au bout sur les crêtes de la tension.

Dans le rôle principal du récitant, S. Amidou qui doit certainement renouer avec d’autres souvenirs de théâtre puisqu’il a créé le rôle de Saïd dans Les Paravents de Jean Genet, au début des années soixante.  C’est lui qui porte le texte de M. Diaz sur les épaules, à bout de voix, avec des accents de révolte et une émotion retenue qui ne nous laissent pas indifférents, nous touchent même au plus profond.

Réalisation Jacques Taroni, France-Culture, lundi 4 novembre 1986, 20h 30.

Télérama, 30 octobre 1986

L’Insurrection, de Michel Diaz.

Bruits de fusils automatiques, de mitrailleuses, d’explosions de grenades, cris, hurlements, appels, you-you des femmes… En arrière-fond sonore, le fracas pétrifiant de la guerre, de n’importe laquelle, la rumeur de la violence qui monte vers son paroxysme, et aussi, tout au long du texte, le silence nocturne, palpable dans les souffles retenus, où monte lentement l’insurrection.

Un homme se souvient. De la guerre d’Algérie, de l’insurrection, des ratonades, des exécutions réciproques, de la peur, de la haine.

“… Se souvenir. Comme on essaie de déchiffrer une blessure. Se souvenir, malgré l’oubli et ses brisures répétées, sur lesquelles s’acharne la mort… Se souvenir. Et continuer d’avancer.”

Le passé qui revit est en lui-même profondément émouvant. Ce qui est encore plus attachant dans cette “dramatique” élaborée avec la participation de la Direction du théâtre et des spectacles, c’est la tentative faite par Michel Diaz, et au demeurant réussie, d’ouvrir un dialogue entre la mémoire collective et la mémoire personnelle. Ainsi le souvenir n’est plus un vain retour sur le passé, mais recherche d’une continuité dans la fuite même du temps.

Réalisation de Jacques Taroni. En stéréo pour Paris. Avec S. Amidou, C. Hamsy, Amzel, M. de Charette. France-Culture 20h 30.

André Alter

La Nouvelle République du Centre-Ouest, 2 décembre 1981

Les 4 et 5 décembre à Jean Vilar : “CONVERGENCES”

      Ils étaient déjà présents à Tours, en juin de cette année, sur les planches de Jean Vilar (voir article de La Nouvelle République du 1er juin 1981).

      Ils seront encore six sur la scène: Marie-Dominique Pacqueteau, chant (qui a pris le relais de la soprano Patricia Garnier); Claude Derrez, récitant; Pascale Gruer, flûte traversière; Jean-Louis Berger, saxophone-ténor; Jean-Marie Gibellini, guitare; et Bernard Bruère, percussions.

Leur spectacle: “Convergences”. Convergences d’une musique (signée Gibellini) et de textes (ceux de Michel Diaz et de Pierre Fuentès). Convergences aussi d’un petit groupe de jeunes artistes de la région rêvant de trouver un nouveau langage passant par les sons et les mots, et les transcendant si possible… “Convergences” (monté en collaboration avec le comédien-metteur en scène, Claude Derrez) sera donné vendredi et samedi à 21 heures au Studio-Théâtre Jean Vilar de Tours (Grand Théâtre).

Sons, mélodies, paysages musicaux et couleurs sonores viendront s’immiscer tantôt à travers les textes et tantôt se développeront autour d’eux… Les thèmes des poèmes choisis ainsi que la personnalité de leurs auteurs ont necessité par leur diversité une approche différente sur le plan musical.

Au programme: “Cinq poèmes de la lune” (textes doux en clair-obscur de Pierre Fuentès, flûte et voix); “Quatre fenêtres” (textes de Michel Diaz, récitant, flûte, saxo, guitare et cymbales); “Cristaux de nuit” (texte de Michel Diaz, soprano, récitant, flûte, saxo, guitare et percussions) qui se présente comme long récitatif, sombre et lyrique, une sorte de déambulation instropective dans la matière même du langage.

Après Tours, “Convergences” sera présenté à Paris et Rouen. Quant aux intervenants: Marie-Dominique Pacqueteau est une chanteuse soprano qui enseigne à Tours; Jean-Louis Berger est professeur de saxo dans différents ensembles jazz et classiques; Claude Derrez a participé à Paris à de nombreuses créations collectives (à partir de Molière, Shaw, Sartre…); Pascale Gruer a travaillé avec Pierre-Yves Artaud; Jean-Marie Gibellini enseigne la guitare et compose de la musque électro-acoustique.

 

La Nouvelle République du Centre Ouest, 15 décembre 1977

“LE VERBE ET L’HAMEÇON”… par le Théâtre du Pratos

On aurait aimé y mordre

     La route suivie par une jeune troupe théâtrale qui ne veut vivre que de son travail et ne reçoit absolument aucune aide extérieure (ou si peu) est à l’évidence une longue marche caillouteuse, semée d’embûches et de ravins, de difficultés et de douleurs. Elle peut être exaltante, déboucher sur des réussites et… des encouragements. Elle peut tout autant, et cette fois-ci presque inévitablement, tomber dans les filets de ses propres défis. Non, il ne faudrait pas! Et il n’en est sûrement pas question dès l’instant où ceux qui sont décidés à porter loin leur aventure doivent aussi savoir supporter leurs mésaventures.

C’est bien une mésaventure qui vient d’arriver au si dynamique Théâtre du Pratos, à cette compagnie issue en partie de la défunte Comédie de la Loire et qui depuis sept ans lutte contre toutes les adversités (financières et autres), s’en va jouer un peu à travers tout le pays, tente véritablement de donner le goût du théâtre aux enfants, offre une chance à de nouveaux auteurs (depuis repris à Paris, tel Victor Haïm) et finit aujourd’hui  par proposer sa vingtième création.

Il ne faut pas se leurrer. Il s’agit bien pour nous d’une mésaventure, tout à fait explicable d’ailleurs. Le type même d’existence menée par les comédiens du Pratos et leurs activités les confinent dans une sorte de ghetto qui leur interdit pratiquement une plus vaste (et nécessaire) connaissance de leur métier. Passer d’un lieu d’école, d’un cabaret-théâtre, d’une petite salle à un grand espace scénique est une première chose.

S’attaquer ensuite à une pièce qui se veut d’envergure et appelle avant tout le mouvement et une solide gestion de l’espace scénique est une seconde chose. Les huit compagnons de Gilles Magréau (qui ne joue pas mais signe la mise en scène) se heurtent manifestement à ces deux éléments, sans pouvoir les maîtriser.

Que l’oeuvre représentée ces jours-ci au théâtre de l’Université “Le verbe et l’hameçon”, écrite par un jeune professeur de français à Blois, ne manque ni de souffle ni d’ambitions(s) -et c’est plutôt à mettre à son crédit-, voilà qui paraît certain et n’arrange pas les affaires du Pratos, car la troupe semble quelque peu dépassée par le défi que propose le texte. Mais que Michel Diaz ait repris en partie (et s’amusant visiblement beaucoup à s’en inspirer) l’histoire et le canevas de “La résistible ascension d’Arturo Ui” de Brecht, voilà aussi qui n’est pas sans importance.

Cette pièce s’affiche encore comme une parodie bouffonne des opéras brechtiens et des drames historiques de Shakesperare, et ce “pot pourri” d’influences (revendiquées ouvertement et sans aucune ambiguïté) use d’une éciture jubilatoire qui ne manque ni de trouvailles ni de réelle drôlerie. Pourtant, de ce qui se présente comme une vaste fresque burlesque et démontage corrosif des ménaniques du Discours et des Pouvoirs, la représentation ne nous donne, hélas!, que d’épisodiques éclats et reflets, d’autant plus que les acteurs, pour la plupart mangent l’essentiel (peut-être le meilleur) de leurs textes et chansons. Ivan Ringot (qui évoque parfois le Harpo des frères Marx) , Jean-Marie Sirgue, Ramon Delgado semblent plus heureux que leurs partenaires dans leur interprétation. Mais il est vrai que celle-ci exige la performance. A l’image de la pièce.  Si quelques mouvements et changements de tableaux sont à peu près réussis, l’ensemble n’en reste pas moins étonnamment brouillon, au niveau du faux canular ou du pastiche dont on ne parvient pas alors à goûter la saveur. Sur un rythme désaccordé, aux accords souvent grinçants, la pièce passe sans accrocher vraiment. Et pourtant on aimé y mordre! Ne serait-ce que pour la sympathie que nous inspirent toute tentative de théâtre libre, indépendant et sans le sou, et un jeune auteur qui ne manque pas d’intérêt!

Pierre Favre