Archives de catégorie : Poésie

Phalène

Lune-paysage-2013-2-40x60
Photographie de Paola Di Prima

à la nuit, juste avant la déroute du jour, sa face d’un instant lavé d’une grande lumière calme, quand l’oiseau devient fruit de pierre, que les arbres, au fond de la belle eau, s’emplissent de leur ombre, que se glissent sous les paupières des vents insomnieux,

se lève, comme un règne sur la page consentie, la voix d’un lourd secret où le cœur se révèle et rejette la terre à son opacité, à quoi répond dans son silence un ciel d’étoiles sombres renversé où l’âme errante cherche, comme un ange aux ailes brisées, en quelle éternité de larmes il pourrait se noyer

25/02/2020

J’écoute le silence

2017-(2)-pdp

Photo de Paola di Prima

j’écoute le silence

j’écoute le silence au chant de branches dénouées ramures de plein ciel où ne se lisent que des signes incertains

j’interroge plus loin que vont les oies sauvages et le plus haut vol d’épervier – jusqu’où se perdent les routes étoilées

l’œil qui écoute et interroge fixé sur l’œil blanc de l’abîme est comme un phare éteint englouti dans les eaux

un œil sombre aveuglé de lumière où son regard se perd dans un sac de vives ténèbres

il n’est pas de ciel aussi beau que celui qui – ouvert à tout questionnement conserve son mystère intact caché aux profondeurs d’une clarté captive

il n’est pas de plus pure nuit que cet épais rideau d’inertie et de vie où se défont des mondes et se recomposent

nuit qui sourit quand on l’appelle mais muette toujours pour qui cherche à la caresser
avec des mots de certitude et des yeux tourmentés

ciel obscur bouche close comme l’est un tombeau assoupi et comme brûle un rosier noir qui a pour fleur l’éternité

(06/02/2020)

Palimpseste

Estampe de Hokusaï, « 36 vues du Mont Fuji »

/

J’interroge l’homme

fort, plein d’assurance

/

qui impose le silence

même aux oiseaux, même au ciel,

même à la lumière qui siffle aux mufles des bêtes

et qui vient trancher les mots dans les limbes des lèvres

/

Mais surtout

j’écoute le vent

j’écoute les murs

J’écoute les âmes

/

J’entends, ici et là, 

des voix qui parlent et montent

de la terre comme des voix d’enfance

brûlant telles des lampes de plein jour

s’armant aux plaintes retenues au fond des gorges

et aux bras des clochers à peigne, et à l’élan irrésigné

des arbres vers plus haut qu’eux-mêmes

/

se fortifiant de l’une à l’autre

dans ce que l’on espère

d’un soleil à venir

/

et crépitent de notes rapides comme des chants d’oiseaux

Clair-obscur

Extrait de Lignes de crête, poème publié sur le site Terres de femmes, mars 2019

peinture 2019 acrylique sur toile 40x100 (1)

Peinture de Paola Di Prima

CLAIR-OBSCUR

aller
du crépuscule à l’inconnu
dans un cortège de présences
et de souffles

ces souffles
d’au-delà des âges
charrieurs des limons du temps
portant leur jarre d’ombre
sur l’épaule

ces passeurs d’une voix
toujours à l’aube d’elle-même
dans les frissons du sable
et l’attente de l’eau

comme une lampe dans la nuit
met en scène son clair-obscur
en bord de monde et de regard
mais toujours à la proue
de la terre

on écoute pour voir
et l’on regarde pour entendre
cette clé d’un songe qui fouille

les serrures de la lumière

Michel Diaz, « I. Chemin sans retour, à Walter Benjamin » in Lignes de crête, Éditions Alcyone, Collection Surya Poésie, 2019, page 18. 

Lettre écrite dans le soleil

Dessin-2018-sur-toile-encre-de-chine-40x40-

Dessin de Paola Di Prima (encre)

Un jour, je partirai, sans vous en avertir. Je le ferai sans joie, mais pourtant sans remords. 

J’irai, sous un ciel pur, nager au large de la mer et ne reviendrai pas. J’irai marcher, par un beau soir d’orage, sur un chemin de pluie, pour appeler la foudre en agitant les bras. Je marcherai longtemps, au long du fleuve, pour choisir le saule complice auquel j’accrocherai la corde qui me permettra de vous tirer insolemment la langue. Je choisirai un lieu désert, à l’écart de tout et de tous, un branlant chalet de montagne, une cabane de berger isolée dans le causse, et y abandonnerai mes forces, patiemment, pour entrer dans le lent sommeil de l’oubli.

Je m’en irai, sans haine ni remords, en saluant les aubes et les crépuscules qui m’ont vu passer, et celles, tout aussi indifférentes, qui continueront leur route sans moi. Je continuerai à aimer les hommes jusqu’à la dernière seconde, et le monde si beau qu’ils s’emploient à nous rendre si peu et si mal habitable.

Je me laisserai transpercer par les javelots du soleil, aveuglé de vertige, au bord d’une falaise qui donne sur l’abîme. Je me dissoudrai dans un vin d’amour et bu jusqu’à l’extase du plus-être, dans la poussière des nuages, dans la couleur des blés, dans la boue d’un fossé, entouré d’animaux obscurs et méprisés, d’un chat blessé venu ici agoniser à l’abri des regards et d’un hérisson mort, qui m’aideront à mieux comprendre ce que sont les chemins de l’ombre. Je m’installerai dans la paix savoureuse d’un arbre creux qui se refermera sur moi, recousant son écorce avec la bienveillante compassion qu’on accorde aux blessés dont on sait qu’ils vont nous quitter.

J’abandonnerais aussi bien volontiers mon corps aux crocs des chiens errants et aux becs des rapaces, aux morsures de la lumière et au doux linceul de la pourriture. Je ferai frère et sœur, dans mon éloignement de vous, le brin d’herbe têtu qui se dresse entre deux pavés, le caillou de la sente que lisse le passage des jours, le galet roulé sur la plage et la feuille qui tombe au premier soupir de l’automne.

Je serai là, dans le velours grisâtre du lichen qui recouvre les pierres, dans la mousse qui s’enracine aux ardoises du toit, dans la rose flétrie qui bascule au bout de sa branche, dans le corps de l’abeille tombée au fond du pot de miel, ou dans cette charogne abandonnée au creux d’une ravine.

Je serai ce qui reste de jour dans les flaques d’eau sombre, ce qui repose dans la vase qui tapisse le lit des étangs. Je serai cette absence à laquelle donner un nom ne sera plus possible, cette trouée soudaine dans un ciel de traîne qui s’écarte comme un rideau pour laisser apparaître, au fond du fond des yeux, une étoile inconnue.

« Je m’en irai dans une caravelle, dans une vieille et belle caravelle » (Henri Michaux), et je le dis à ceux qui m’ont aimé :  « Si vous m’avez aimé, ne me retenez pas et, s’il vous est possible, oubliez-moi passionnément. »