Bassin-versant – L’Iresuthe N° 43 (mai 2018)

Bassin-versant

BASSIN-VERSANT, Michel Diaz
Préface de Jean-Marie Alfroy
Editions Musimot, 2018

Chronique de J.-Claude Vallejo, parue dans L’Iresuthe N° 43 (mai 2018) 

Après Fêlure en 20171, Michel Diaz publie à nouveau de la poésie chez Musimot. Ces proses poétiques se placent sous la double invocation de Nietzsche, avec l’art et la poésie « juste pour ne pas trop mourir d’une vérité qui persiste à souffler à l’encontre du vent », et de Garcia Lorca, pour le « probable paradis perdu » de la terre que le poète s’efforce de retrouver. La disposition de ces quatorze textes fraie une sorte de chemin à travers de vagues ténèbres…

Dès les premiers mots, la « méthode » est posée :

Être là.
Et suspendre son pas, sa pensée. S’arrêter.

Quelque chose donc de l’épochè phénoménologique de Husserl ? Entre conscience de soi et présence au monde, l’être-au-monde, « l’être-là » (le Da-sein, pour parler comme Heidegger) se construit autour du creux de l’absence de la mère, autour du vide originel et freudien qui reste à remplir de la vie à venir. Si « l’être est antérieur au néant et le fonde », comme l’écrivait Sartre, « le néant hante l’être ». Mais quittons ces approximations existentielles, sinon existentialistes, pour revenir à la poésie de guetteur admirable qui est celle de Michel Diaz, capable de saisir fugitivement, derrière la pluie, la beauté, une poussière de lumière, qui avait la blafarde et inconsistante clarté d’un rêve, un monde, je le devinais, une bulle de temps primitif, suspendue et flottante, que je ne voudrais plus quitter, sinon en renonçant à ce qui, de moi-même, avait cru, un instant comprendre de l’éternité. Mais tout est mouvement, passage vers l’abîme, coulisses d’un temps d’où l’on ne revient pas. Face à cela, le désir, la tentative de suspendre ses pas, ses pensées et ses mots, pour ne faire plus qu’un avec ce que l’on croit comprendre de la raison d’être d’un monde, cet infini possible… Le lecteur se laisse emporter par la langue, les mots et les images que ces proses superbes nous offrent et dont on ne peut que reprendre à l’envi la lecture, troublé et happé par ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi qui nous surprend, nous émerveille en son jaillissement et à la fois nous blesse. Mais qui pourtant est là, constamment se dérobe et s’éloigne.

De ligne de crête en ligne de flottaison ou autre ligne de partage des eaux, l’existence, erratique, fragile et incertaine, tâtonne, tente de retenir les plus fugaces perceptions élémentaires et cosmiques. Elle s’efforce de s’en faire le réceptacle, ou bien le creuset. La pure et haute poésie de Michel Diaz ne trace-t-elle pas finalement ce bassin-versant, ce territoire mouvant où s’écoulent les flux des sensations, de la vie et de la conscience ? Ces pages magnifiques touchent à ce qui est de plus profond en nous.

Jean-Claude Vallejo

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