Le verger abandonné
Michel Diaz
Editions Musimot (2020)
Lecture par Silvaine Arabo, publiée dans Saraswati N° 16 (janvier 2021)
Où Michel Diaz reprend la légende d’Ulysse qu’il détourne pour en faire une sorte de héros moderne : « L’Ulysse de Michel Diaz, écrit dans sa préface David Le Breton, ne reviendra pas, il n’accomplira pas son destin premier de tuer les prétendants et de reprendre sa place au foyer avec son épouse et son fils (…) bientôt il ne reste rien de son identité première ni même de ses raisons d’être, sinon un renoncement progressif, une volonté de faire de son exil une errance perpétuelle au bord du monde dans la tentation de n’être plus personne ». La question du sens de la vie est ici posée :
« Quelle raison, dis-moi, ai-je de revenir ? Et d’ailleurs le pourrais-je encore quand bien même je le voudrais ? […] Des pensées me tourmentent. Tu as assez grandi pour que je te les dise : une fois gagné l’antipode de soi-même, on s’y accroche comme à une autre rive, même s’il porte le masque de l’exil ou de l’errance misérable, car on sait que revenir c’est déjà poser un pied dans la mort. » (Quatrième lettre à Télémaque)
Le recueil, écrit en prose, se présente sous forme de lettres envoyées à Pénélope, Laërte, Télémaque, dans lesquelles Ulysse dit son mal d’être mais aussi son amour de la nature et particulièrement des arbres :
« J’ai besoin de mes arbres, entends-tu ?… Un besoin absolu qui bat au fond de mon être comme les ailes d’un oiseau nocturne. » (Deuxième lettre à Télémaque)
Cet amour des arbres, de ses arbres, ceux qui lui permettent de s’identifier au lieu de ses origines, court dans tout le recueil comme les reprises d’une fugue mais…
« Disparaître, voilà. Disparaître de tout et de soi. Disparaître à jamais. Et s’incliner au bord du monde. Pour ne plus jamais revenir. » (Septième lettre à Pénélope)
Il y a là tout le désespoir existentiel de l’homme moderne et son interrogation désespérée face au monde, un monde dans lequel il ne se reconnaît plus et où il remet sa place en question :
« Je t’écris d’un lieu triste, inaccessible aux larmes. » (Quatrième lettre à Laërte)
« Pourtant si tout est perte ici, obstinée reconquête du Rien où se fonde l’immense gratuité de vivre, c’est que l’on marche vers soi-même, sur ce chemin qui ne serait rien d’autre que la voie des dieux. […] Espace du dedans, chambre obscure où l’on cherche à toucher sa racine pour s’abîmer dans les ténèbres de son accomplissement (…) » (Sixième lettre à Laërte)
Il y a du « jansénisme » là-dedans.
La probabilité, l’espoir d’être, au fond, sur un chemin qui mène quelque part… Il s’agit bien d’une quête spirituelle dont Ulysse prend peu à peu conscience du fond de ses abîmes… même s’il n’aime pas trop à se l’avouer et s’il lui plaît de voiler son hypothétique « accomplissement » à venir de « ténèbres ».
Une magnifique écriture, comme toujours chez Michel Diaz.
Silvaine Arabo