Le Nouvel Observateur, 16 février 1989

LE DEPOT DES LOCOMOTIVES

LA DERNIERE NUIT de Michel Diaz

     Un jeune auteur, professeur à Tours, qui, pour ses débuts, a la chance d’être joué par Maria Casarès, cela ne se voit pas tous les jours! C’est ce qui arrive à Michel Diaz pour son “Dépôt des locomotives”, qui affronte les feux de la rampe au théâtre Mouffetard le 21 février. Loin de jouer les divas, la grande Casarès se fait toute petite: “J’ai une peur bleue de le trahir!, dit-elle de sa voix célèbre, c’est pire que Shakespeare! Toutes les pièces posent des questions, mais avec les classiques, on a déjà des césames, de vieilles familiarités, même si les acteurs doivent être toujours neufs, vierges. Ici, il s’agit d’entrer: mais par où, comment? La pièce est un mélange de tragédie et de cocasserie, elle peut se prêter à plusieurs lectures. François Perrot et moi incarnons un couple très âgé qui est dans un hospice. Il va passer sa dernière nuit: comment inventer encore de la vie pour aller jusqu’au bout? C’est une nuit onirique, un voyage à travers des déserts, des océans, mais un périble immobile, un rêve ou cauchemar cocasse. La pièce me fait penser à certaines histoires juives: nous parlons beaucoup de la Bible, nous revivons l’histoire du monde. Peut-être suis-je Eve? Le monde est montré comme un ennemi souvent atroce. Un autre thème est celui des mots, de la culture, de la création. Nina, mon personnage, est la femme terrienne, viscérale, sensuelle. Dans leur affrontement, Nina et Michael se butent et s’entraident, toujours comme si, entre eux, ils poursuivaient un jeu ininterrompu.”

Comme metteur en scène, Maria Casarès retrouve Georges Vitaly, qui ne l’avait pas dirigée depuis… 1946! “C’était pour Les Epiphanies de Pichette avec Gérard Philipe… Georges possède à la fois la douceur et l’humour. Il a aussi une peur, celle de gêner l’imagination des acteurs dans leur cheminement. Il faut un directeur, un chef d’orchestre, mais on propose et on prend des deux côtés. Les comédiens, je les aime tout nus, en train de travailler: quand ils n’ont pas encore sur le visage le masque de leur personnage. Voilà ce qui me porte le plus loin. Comme dans ce texte de Michel Diaz, pour lequel il faut tout inventer car on ne connaît pas son univers dramatique. Mais c’est un texte magnifique que j’aurais regretté de ne pas jouer.”
                                                                                                                                                                                              Bruno Villien