Eloge des eaux murmurantes – Jean-Pierre Boulic

Michel DIAZ

Éloge des eaux murmurantes – (Dessins de Lionel Balard)

Editions La Simarre – 2024

Note de lecture de Jean-Pierre Boulic, à paraître in Diérèse N° 90

Dans son bel opus « Quelque part la lumière pleut » (Éditions Alcyone, 2022), Michel Diaz insistait sur l’urgence, dans l’instant mis à nu, de reconquérir à tout prix le chemin du vivant par l’inépuisable éloge des eaux vives notamment.

Et voici qu’en ces temps inquiétants – justement pour ce motif – il nous invite maintenant, de sa prosodie toujours aussi maîtrisée, à tenir le réel imprévisible des eaux murmurantes – l’eau bien nécessaire à la vie. Ici, à partir des terres fécondes et dorées de Touraine et du Berry ou verdoyantes de la Creuse, du suintement de source avare au silence inaugural qui gît au fond des mers, le poète conduit son errance songeuse et éblouie qu’il décèle et partage en faisant écouter ombres et lumières.

Née du roc et, dit de son côté Franck Venaille qui est cité, blessure première, passant la voûte des arbres en compagnie de passereaux, déjà fidèle au jour, comme une parole naissante, l’eau de la source fouille son chemin, froisse l’herbe, révèle au vif des signes, l’inaudible rumeur du temps.

C’est une sorte de parcours initiatique allant de ses balbutiements au ruisseau, puis à la rivière et au fleuve, en pente heureuse et douce vers ce qu’elle sait de sa mort en compagnie des choses du monde, jusqu’à ce lieu perdu, non le buisson perdu dans un désert, mais là où germe l’essentiel, entre solitude et désir, là où se love la même et inépuisable question, là où pourra être puisée la beauté capable de nourrir ce désir d’exister.

Itinéraire riche de ce que la nature met à disposition, l’éloge de l’eau offre une véritable méditation à quiconque souhaite s’avancer dans un silence primordial par quoi la mort se réapprend. Car il est bien évident qu’il est inutile de taire la finitude de toute condition. Ainsi le présent est à vivre sans mensonge avec les rêves dans la fourrure du courant.

Cette première lecture se double d’une autre, plus métaphorique, de ce qu’est la mystérieuse émergence du verbe poétique. En effet, les premiers textes de cette suite ont explicitement trait à l’art poétique puisque l’eau de la source, échappant à sa nuit et au silence de la pierre, ruisselle vers le jour et la lumière, comme dans son énigmatique surgissement le poème s’écrit vers cet inconnu qui l’attend. L’eau qui sourd de ses profondeurs, comme la parole naissante, est d’abord, elle aussi, une voix si faible, muette presque dans ce lieu d’incertitude où germe le poème dont il faut chercher longtemps, comme on écarte un peu le drap du lit, ce qui fonde l’appel de la source. Michel Diaz évoque ainsi parfaitement la genèse du poème dans ce qu’il a, au seuil de sa naissance, d’hésitant et de balbutiant, de tremblé, d’incertain, de tenace patience. Car pour le poète il n’est de poème qui ne doive ignorer les saisons de ses doutes et affronter, de mot en mot, comme on passe le gué, son chemin de pénombre radieuse. Par ce bel oxymore final, nous voyons comment le poème s’élabore, explorant les chemins de son souffle ainsi que l’eau coulante cherche ceux de sa voix (le « gué » signale une traverse), comme il peut prendre aussi naissance dans la rêverie où nous plonge le flux incessant du ruisseau ou de la rivière et en adopter le cours hasardeux.

Les encres de Lionel Balard relient pierres, fougère, cresson, menthe sauvage, feuillage, souffle des berges, arbres, lueurs hésitantes et accompagnent le parcours des eaux, introduisent le lecteur à la contemplation des choses et donnent aux mots une ample résonance où bruisse le murmure des cœurs.

Jean-Pierre Boulic, 28/02/2024

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