Archives de catégorie : Revue de Presse

Le Quotidien de Paris, lundi 13 mars 1989

Théâtre : Le Dépôt des Locomotives

    de Michel Diaz. Mise en scène de Georges Vitaly. Décor: Agostine Pace. Avec Maria Casarès, François Perrot, Nadine Servan, Valentine Varela. Au Nouveau Théâtre Mouffetard jusqu’au 26 mars.

Partir disent-ils…

      Dans un décor net et vivement coloré de grillages métalliques, un décor tranchant mais non pas froid, un décor que les luminaires transfigureront au fil de la représentation (il est signé Pace), Georges Vitaly lance les personnages de Michel Diaz comme dés sur un plateau existentiel: c’est le destin de tout homme qui va se jouer là, par delà l’anecdote cruelle et lumineuse. Deux sœurs aux paupières outrageusement peintes, deux nonnes terribles, infirmières de l’enfer, malmènent deux pauvres petits vieillards soumis, affaissés dans des chaises d’invalides. On est dans un hospice. Elles ont bien autre chose à faire que prendre le temps du cœur. On est dans un mouroir. Michel Diaz, jeune auteur, brosse un tableau violent de l’institution, on n’ose croire que ce soit vraiment la réalité. Il accuse les traits, creuse, noircit. Mais, bien sûr, le spectateur sera touché car l’outrance ne fait que dévoiler ce qui existe vraiment: l’exclusion de la vieillesse.

     Abandonnés à leur nuit, les deux complices, Nina et Michael, vont échapper aux brimades, tenter de s’échapper sur les voiles du rêve: souvenirs et regrets mêlés, espoirs battants comme oriflammes. Michel Diaz a de jolies formules, de vrais bonheurs d’écriture que porte un style “foisonnant” aux accents oniriques. Mais le mouvement dramatique est assez confus et rien dans la mise en scène, un peu trop en retrait par rapports aux propositions exigeantes du texte, n’en éclaire la progression. Mais parce que François Perrot et Maria Casarès incarnent ce vieux couple à l’insolente et vaillante jeunesse, on est ému, intéressé. Perrot, avec beaucoup de retenue, de pudeur, Casarès en un jeu qui ne la ménage jamais – car têtue, contradictoire est cette Nina aux fêlures de Mouette -, ces deux grands acteurs se dépensent sans compter pour défendre un jeune auteur qui a peut-être des faiblesses mais un vrai style. Ils le font avec tant de cœur  et de fermeté qu’on ne peut  qu’être touché. Ils prennent des risques. Ils sont passionnés. Même si on les attendait dans un autre texte, il faut les suivre, aller les voir. D’une pièce inconnue au répertoire, ils font vrai et beau théâtre.

A. H.

 

Le Canard Enchainé, 8 mars 1989

Le dépôt des locomotives (Un bon petit train)

Ce dépôt, c’est la ferraille, la casse, le rebut où l’on jette les locomotives humaines à bout de course. Une maison de repos qui porterait mieux le nom de maison de tourment: c’est là qu’ont échoué Maria Casarès et François Perrot, Nina et Michaël, en fin de parcours. Bouts de bidoche fanés, ils y butent sur l’humilation d’être devenus des légumes qu’on lève, qu’on lave et qu’on égoutte sans même les écouter, entre les mains de leurs insupportables infirmières, Nadine Servan et Valentine Varela, qui gloussent et caquètent, roucoulent et clabaudent sans retenue ni pudeur, indifférentes, sadiques, scandaleuses de vie.

Une nuit, ils s’évadent. Ils se libèrent de leurs chaises roulantes. Ils font le mur. En un dernier soubresaut, ils empoignent les crinières du rêve, guidés par le souvenir. Laissés-pour-compte de l’existence, ils interrompent leur fin de partie pour galoper en plein azur, harcelés, pourchassés, fugitifs, fouillant l’un l’autre leurs plaies vives, et les pansant au baume de la tendresse, jusqu’au fin bout du monde, jusqu’au bord de l’abîme.

C’est – à ma connaissance – la première pièce de Michel Diaz, en tout cas la première à être montée par des professionnels d’un aussi haut talent. Il convient d’autant plus de saluer d’un grand coup de chapka l’audace tranquille de l’éternel jeune homme Georges Vitaly: depuis Beckett et Ionesco, combien d’auteurs en culotte courte, au talent d’abord jugé déconcertant, sont passés entre ses mains? Après Victor Haïm, Bourgeade ou Varoujean, il s’acharne à démontrer qu’il y a des auteurs français: que n’a-t-il davantage d’émules!

Maria Casarès et François Perrot jouent le jeu avec superbe. Diaz ne leur a pas livré un texte facile: tourbillonnaire comme une galaxie, avec des pépites d’une intense beauté, charriées dans un flot parfois plus flou. Ils s’y attaquent avec une fougue, un primesaut juvénile dont le souffle culbute, et qui s’infiltre dans nos veines: c’est cela le miracle de l’élan Vitaly…

Bernard Thomas

Le Parisien Libéré, 21 février 1989

A l’affiche : Maria Casares prend encore des risques

     D’Euripide à Michel Diaz, un auteur tout neuf, professeur de lettres à Tours; c’est toujours avec cette dévorante passion du théâtre qu’on découvre Maria Casarès sur la scène du Tourtour dans “Le Dépôt des locomotives”, entourée notamment de François Perrot, dans une mise en scène de Georges Vitaly. Une Maria Casarès toujours très émouvante et qui sert ce texte avec perfection… […] Nous découvrons ici une langue particulière, tout autant dramatique que poétique (ce n’est plus si courant !), ce qu’en parlant littérature on nomme une “langue d’auteur”… remarquablement écrite, mais écrite aussi pour la scène et se prêtant autant aux murmures de la confidence qu’aux alarmes de la détresse, aux cris de la révolte et aux éclats de la profération…

Agnès Dalbard

Le Figaro, 21 février 1989

Maria Casarès, l’ensorceleuse.

Elle a le charme des monstres quand ils sont sacrés.
Dans “Le Dépôt des locomotives”, une pièce du jeune poète Michel Diaz,
elle est une fois de plus… la locomotive.

[…]

“Le théâtre, c’est un creuset de sorcellerie, on y déverse ses démons. Il n’y a pas d’un côté le diseur et de l’autre le voyeur. Pour qu’il y ait théâtre au sens où je l’entends, il faut qu’il y ait risque. Mais si les spectateurs sont avec vous, ils peuvent vous donner du génie.”

     Maria Casarès tient de la fée et de la sorcière. Elle a conservé intact son pouvoir d’envoûtement. Intactes sa foi, sa force, sa générosité, son rire, sa vitalité, sa vertu de ne jamais être là où on l’attend, monstre sacré, étouffé par les honneurs, mais éternelle comédienne en quête de passion.

Elle crée vendredi au Théâtre Mouffetard Le Dépôt des locomotives de Michel Diaz avec François Perrot, sous la direction de Georges Vitaly.

“La pièce annonce un jeune poète de théâtre. C’est un très beau texte sensible et fort à la fois, traversé d’images fulgurantes. J’ai été touchée par son univers onirique et picaresque, sa langue littéraire, recherchée, et dans le même temps, écrite comme en se jouant, à la diable, dérapant vers des expressions populaires.  Une langue qu’on a plaisir à se mettre en bouche et totalement théâtrale dans sa facture.”

     Michel diaz, poète (Le Miroir de sable) est en poste à Tours où il est professeur. Pour la première fois, il est joué à Paris. Le Dépôt des locomotives, c’est l’histoire d’un couple qui achève ses jours dans une maison de retraite. Il décide de quitter cet endroit qui les étouffe. Et c’est le départ vers la mer, la traversée du désert, l’arrivée sur la terre promise. “Mais s’enfuit-il? interroge Maria Casarès. N’est-ce pas dans l’imagination du couple qu’a véritablement lieu cette cavale? Finalement la pièce tente de répondre à une question clé: quelle route peut-on prendre pour aller à la mort sans abandonner l’idée de vivre jusqu’au bout?… C’est, après tout, une question essentielle. En tout cas c’est, selon moi, un texte superbe que je prends plaisir à servir avec un autant de conviction que s’il s’agissait d’un auteur reconnu.”

[…]

Marion Thébaud

 

Le quotidien de Paris, 20 février 1989

Théâtre Mouffetard, « Le dépôt des locomotives« , de Michel Diaz.

Casares défend un jeune auteur

C’est au Rond-Point qu’on la retrouve. C’est là qu’elle répète. Chez les Renaud-Barrault. Sa grande famille de théâtre. […]

“C’est si délicat, une écriture nouvelle”, Maria Casarès se confie à Armelle Héliot pour leQuotidien de Paris… Toute énergie bandée, impétueuse, toujours éclatante d’intelligence, de jeunesse, de joie mystérieuse, Maria Casarès, belle infiniment et simple, majestueusement. Souveraine à la recherche d’un paquet de cigarettes. Il faut bien que l’angoisse parte en fumée! Elle rit et c’est plus de quarante ans de la grande histoire du théâtre et du cinéma qui est là, offerte. Oh! ne comptez pas sur elle pour effacer de son parcours les premières stations. Deirdre des douleurs, c’était 1942-1943, et son premier spectacle avec Georges Vitaly, c’était en 1946: Les Epiphanies de Pichette, poète que certains cuistres faiseurs de dictionnaires oublient, mais qui est bien là, dans les plis d’une langue magnifique.

C’est Vitaly que Maria Casarès retrouve aujourd’hui donc, pour encore une fois créer un auteur, un jeune auteur, un écrivain tout neuf.

“C’est Georges, en effet, explique-t-elle, qui a reçu cette pièce et, l’ayant lue, m’a appelée. Il y a déjà un certain temps. Mais j’avais d’autres engagements… Pourtant, je tenais particulièrement à jouer ce texte que je trouve d’une vitalité extraordinaire, insensée! Il y a une virtuosité d’écriture tout à fait fascinante, quelque chose qui ne peut que mettre en appétit un acteur!”

Michel Diaz, l’auteur, est professeur de lettres à Tours. Une de ses pièces a été diffusée par France-Culture en 1985: L’Insurrection. Sujet: l’Algérie. Il a écrit des recueils de poèmes (Le Miroir de sable) et d’autres pièces que ce Dépôt des locomotives que Vitaly crée aujourd’hui. Le metteur en scène signale d’ailleurs à l’attention d’autres textes: Tangos et Trois impromptus pour clarinette seule.

“Ce qui me plaît, dit Maria Casarès, c’est de plonger dans un univers de notre temps, cela procure  un sentiment de virginité… Mais créer la pièce d’un auteur nouveau, cela fait trembler aussi… On prend un risque, on fait courir un risque à l’écrivain…”

Deux personnages, Michael, que joue François Perrot, et Nina. Fin de vie dans une maison de retraite tenue par des soeurs. “Ils ne peuvent plus supporter d’être là et souhaitent aller au bout d’un chemin: ils réinventent leur vie… Ils traversent cauchemars, rêves, paysages… Une histoire de couple. Un homme, une femme. Avec tout ce que cela peut comporter de malentendus parfois… Ils ne se ressemblent pas; lui, ce sont les mots, la création, les images… Elle, ce sont la terre, les relations plus sensuelles aux choses, plus sentimentales aussi…”

Casarès en parle bien de cette pièce, avec toujours cette gourmandise de ton et cette flamme magnifique dans l’oeil qui brille…

La pièce, qui s’ouvre sur une scène avec deux autres comédiennes (Valentine Varela et Nadine Servan), s’appuie tout entière sur ce rêve à deux: “J’aime beaucoup ces textes à deux personnages, dit Maria Casarès. J’ai joué déjà ainsi dans Cher menteur avec Pierre Brasseur et dans Le borgne est roi avec Sami Frey… C’est très fatigant, mais très passionnant… Ce texte de Michel Diaz, épuisant à jouer, me passionne tout autant. Il est simplement très beau.”