Michel Diaz – Amandiers sous la neige – Décembre 2012

Van Gogh amandier en fleurs

Chère Marie-Odile, merci pour tes poèmes,

chaque fois qu’il est question d’amandiers dans un poème, je pense inévitablement au recueil de Tahar Ben Jelloun, Les amandiers sont morts de leurs blessures. On y trouve ces vers :

La main

trace du soleil

arrête le mur qui avance

c’est une main

grande comme le rêve

tendre comme la forêt

elle a fait

du pain qui a le goût de la terre

et le sel du ciel

Cette main

se lève avec l’aube

fait trois pains

enfante toutes les semaines

une mémoire tissée de laine

c’est une pierre étoilée

pierre argentée

c’est la main ouverte d’une saison

à portée de nuage

fissure dans le ciel

Je ne sais pas très bien pourquoi, mais les amandiers dont tu parles me font penser à la floraison de cette main, humble besogneuse mais ouverte comme un bouquet de fleurs blanches et fragiles aux aléas des jours et des saisons. Main qui enfante, garante des fruits du présent, promesse de ceux du futur, témoin, comme tes amandiers, de naissance, de mort et de résurrection.

Belle image, en effet, de renaissance de la nature, que l’amandier dont la floraison est très printanière, que cet arbre dont la vigilance attentive aux premiers signes du printemps est toujours terriblement émouvante. Tes mots en rendent compte avec pudeur et légèreté. Se découpent eux-mêmes sur la page comme autant de rameaux fleuris. Eux aussi nous ouvrent la dimension du rêve.

L’amandier, tu l’évoques encore, est symbole de fragilité, car ses fleurs, ouvertes les premières, sur la terre lourde de gel, sont plus sensibles aux derniers frimas. La mort, alors, comme celle que tu évoques, vient côtoyer la vie, se confondre avec elle, s’y superposer, l’ensevelir en la transfigurant. Tu situes aussi, en cette période, l’événement d’une naissance. Et l’image des amandiers en fleurs se charge alors d’autant plus de sens que le personnage mythologique d’Attis (né d’une vierge qui le conçut à partir d’une amande) est peut-être à l’origine de la mise en rapport de l’amandier avec la Vierge Marie, et ici avec ces yeux de la ravie de la crècheEn filigrane encore, dans ton texte, cette métaphore de la fécondité.

L’amandier serait alors, métaphoriquement, l’image de l’immortalité, fleurs dont la mort engendrerait la vie. La blancheur immaculée dont tu parles, soudaine, surgissante, qui recouvre les arbres sous un manteau de neige, ce cocon, pourrait aussi bien évoquer une éjaculation phallique, ou/et la puissance créatrice dont sont chargées les forces naturelles. On sait que, dans nombre de mythes, la semence des dieux, tombée à terre, engendre des êtres fabuleux (hermaphrodites) ou des arbres miraculeux. L’amandier en est un, dont on tire du lait de l’amande, un lait dont certains mythes disent encore qu’il nourrit les astres du ciel, les roule dans le fleuve de sa « voie lactée », participe au mystère de la lumière céleste, au secret de l’illumination de l’univers.

Et puis dans la tradition juive, l’amandier c’est aussi luz (coïncidence! comme en espagnol, la lumière !), par la base duquel on pénètre dans la ville mystérieuse de Luz, qui est un séjour d’immortalité.

C’est à ces diverses pistes de réflexion et de rêverie que m’ont conduit testextes. La vertu de la poésie, c’est de ne dire les choses qu’à demi-mot, de poser des images comme des ferments où l’esprit vient puiser ce qui donnera sens aux choses et les éclairera.

Tahar Ben Jelloun encore:

asseyez-vous autour de l’arbre en fleurs

croisez les jambes

écoutez l’enchanteur

il vous contera l’histoire du peuple

amant de la terre

il vous dira la sagesse dans ses rides

le futur dans le nœud de ses mille pétales

l’eau qui sourd entre la pierre et l’argile

la naissance et la mort

entre le mystère de son cœur dur

et la tendre épaisseur  de sa vieille écorce

il vous dira

le voyage de l’enfant qui trouva un lit dans l’horizon

une autre voix

sans miel ni beurre rance

épèlera la violence

elle vous dira

l’exode et l’exil

le corps tassé dans le sommeil

plié dans l’ombre

qui s’enroule

                      les yeux ouverts

                              dans le burnous de la mort

elle vous montrera

la fenêtre qui donne sur l’autre douleur

qui est aussi la porte

ouverte sur le ciel

Je souhaite bonne route à ton livre.

Michel