A propos des images de Pierre Fuentes

De la matière des rêves

    Pierre Fuentes est un artisan de l’image, non comme reproducteur d’une réalité sensible (éventuellement revue et travaillée à des fins de pur esthétisme), mais comme créateur d’un espace d’imaginaire qui privilégie la mémoire en tant que lieu d’une édification poétique de l’être. Il y pose une trame mnésique, où disparitions, apparitions et renaissances sont témoins de la construction d’un espace mental, constitué de bribes de réminiscences, construites et déconstruites comme l’est la matière des rêves.  

    Les yeux viennent-ils de rencontrer une caresse, ou l’illusion d’une tendresse dont on ne sait l’objet, un mouvement sitôt défait dans sa volonté d’apparaître ? Dans ces photos, Dans le repli des songes, quelque chose cherche à se dire, que nous ne savons pas, qu’il ne sait pas non plus, pas plus que nous, qui résiste à toute analyse, mais quelque chose, comme en poésie, qui ne s’annonce que dans cet en-deçà de la parole ou ne s’avance que dans cet au-delà des mots, dans cet espace infranchissable de silence où nous ne pénétrons que par l’effraction qu’autorise l’imaginaire créatif. 

     Nous sommes là devant des formes effaçables dont la trace, offerte au regard, se dissout dans le léger tourment soulevé par quelque remous d’air, comme une dissolution de l’unicité d’une conscience dans un tout, le paysage et ses objets, présences initentifiables, la mémoire et le songe. Nous sommes là aussi, comme devant la re-constitution de notre conscience, de facto kaléidoscopique et mouvante. Dans l’espace de notre mémoire, qui est encore lieu d’expression d’une dialectique où se mélangent et se rejoignent le passé mythique et le drame d’une conscience en deuil du mythe, celui de nos origines perdues, de l’avant-monde de notre être, nostalgie des eaux-mères, théâtre de nos non-pensées et, comme nous le disions plus haut, expression d’un langage d’avant tout mot, d’avant toute parole. Intériorisé, le mythe se met alors à porter une interrogation réflexive qui s’épuise en pure perte puisque rien d’autre, en fin de compte, ne nous sera donné. Que la perplexité des formes et de leur signification. Une apparition suscitée par l’artiste, empreinte d’inconnu. 

    Rien d’autre que ces draperies, arrangements inconsistants, meubles et fluides, en architectures instables, perceptions lacunaires, partielles, fragmentées de la conscience, jusqu’à ce que l’image se prenne dans les rets de notre regard et vienne au monde dans la reconnaissance de toutes ses dimensions, celles d’un effet de mémoire, d’un état oublié qui scintille, incomplet, dans le chatoiement de l’absence et du reflet tendu dans ces morceaux de miroir déposés sous nos yeux. Quelque chose qui, finalement, emprunte davantage aux qualités sensorielles qu’à celles purement visuelles. Et ce qui vient à nous, remonte du fond de l’oubli en de balbutiantes paroles. Avènement qui fait entendre les murmures et la voix des ombres à qui sait se faire attentif à leur fragile captation. En marge de la beauté plastique, hédoniste souvent, complaisante et gratuite (comme effet de l’art qui se satisfait de lui-même), « Il y a une beauté innommable » écrit Bernard Noël dans son livre Quelques regards, et l’on peut penser avec lui que, confronté par exemple aux images dont nous parlons, il apparaît que l’œil, quand il éprouve que sa jouissance est physique et qu’elle s’intensifie en se passant de toute explication, se trouve naturellement ouvert/offert à la révélation.

    Michel Diaz  

Une réflexion sur « A propos des images de Pierre Fuentes »

  1. Michel Diaz Auteur de l’article

    Ce texte m’est profondément précieux, il entre au cœur de mon travail dans cette série que je souhaite d’ailleurs approfondir et développer. Ce texte donne forme verbale à une inspiration mouvante, fragile, je dirais même souvent volatile. Je capte plus clairement la vibration du sens de ces images.

    Pierre Fuentes

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