Chère Marie-Odile, merci pour tes poèmes,
chaque fois qu’il est question d’amandiers dans un poème, je pense inévitablement au recueil de Tahar Ben Jelloun, Les amandiers sont morts de leurs blessures. On y trouve ces vers :
La main
trace du soleil
arrête le mur qui avance
c’est une main
grande comme le rêve
tendre comme la forêt
elle a fait
du pain qui a le goût de la terre
et le sel du ciel
Cette main
se lève avec l’aube
fait trois pains
enfante toutes les semaines
une mémoire tissée de laine
c’est une pierre étoilée
pierre argentée
c’est la main ouverte d’une saison
à portée de nuage
fissure dans le ciel
Je ne sais pas très bien pourquoi, mais les amandiers dont tu parles me font penser à la floraison de cette main, humble besogneuse mais ouverte comme un bouquet de fleurs blanches et fragiles aux aléas des jours et des saisons. Main qui enfante, garante des fruits du présent, promesse de ceux du futur, témoin, comme tes amandiers, de naissance, de mort et de résurrection.
Belle image, en effet, de renaissance de la nature, que l’amandier dont la floraison est très printanière, que cet arbre dont la vigilance attentive aux premiers signes du printemps est toujours terriblement émouvante. Tes mots en rendent compte avec pudeur et légèreté. Se découpent eux-mêmes sur la page comme autant de rameaux fleuris. Eux aussi nous ouvrent la dimension du rêve.
L’amandier, tu l’évoques encore, est symbole de fragilité, car ses fleurs, ouvertes les premières, sur la terre lourde de gel, sont plus sensibles aux derniers frimas. La mort, alors, comme celle que tu évoques, vient côtoyer la vie, se confondre avec elle, s’y superposer, l’ensevelir en la transfigurant. Tu situes aussi, en cette période, l’événement d’une naissance. Et l’image des amandiers en fleurs se charge alors d’autant plus de sens que le personnage mythologique d’Attis (né d’une vierge qui le conçut à partir d’une amande) est peut-être à l’origine de la mise en rapport de l’amandier avec la Vierge Marie, et ici avec ces yeux de la ravie de la crèche. En filigrane encore, dans ton texte, cette métaphore de la fécondité.
L’amandier serait alors, métaphoriquement, l’image de l’immortalité, fleurs dont la mort engendrerait la vie. La blancheur immaculée dont tu parles, soudaine, surgissante, qui recouvre les arbres sous un manteau de neige, ce cocon, pourrait aussi bien évoquer une éjaculation phallique, ou/et la puissance créatrice dont sont chargées les forces naturelles. On sait que, dans nombre de mythes, la semence des dieux, tombée à terre, engendre des êtres fabuleux (hermaphrodites) ou des arbres miraculeux. L’amandier en est un, dont on tire du lait de l’amande, un lait dont certains mythes disent encore qu’il nourrit les astres du ciel, les roule dans le fleuve de sa « voie lactée », participe au mystère de la lumière céleste, au secret de l’illumination de l’univers.
Et puis dans la tradition juive, l’amandier c’est aussi luz (coïncidence! comme en espagnol, la lumière !), par la base duquel on pénètre dans la ville mystérieuse de Luz, qui est un séjour d’immortalité.
C’est à ces diverses pistes de réflexion et de rêverie que m’ont conduit testextes. La vertu de la poésie, c’est de ne dire les choses qu’à demi-mot, de poser des images comme des ferments où l’esprit vient puiser ce qui donnera sens aux choses et les éclairera.
Tahar Ben Jelloun encore:
asseyez-vous autour de l’arbre en fleurs
croisez les jambes
écoutez l’enchanteur
il vous contera l’histoire du peuple
amant de la terre
il vous dira la sagesse dans ses rides
le futur dans le nœud de ses mille pétales
l’eau qui sourd entre la pierre et l’argile
la naissance et la mort
entre le mystère de son cœur dur
et la tendre épaisseur de sa vieille écorce
il vous dira
le voyage de l’enfant qui trouva un lit dans l’horizon
une autre voix
sans miel ni beurre rance
épèlera la violence
elle vous dira
l’exode et l’exil
le corps tassé dans le sommeil
plié dans l’ombre
qui s’enroule
les yeux ouverts
dans le burnous de la mort
elle vous montrera
la fenêtre qui donne sur l’autre douleur
qui est aussi la porte
ouverte sur le ciel
Je souhaite bonne route à ton livre.
Michel