Le dépôt des locomotives (Un bon petit train)
Ce dépôt, c’est la ferraille, la casse, le rebut où l’on jette les locomotives humaines à bout de course. Une maison de repos qui porterait mieux le nom de maison de tourment: c’est là qu’ont échoué Maria Casarès et François Perrot, Nina et Michaël, en fin de parcours. Bouts de bidoche fanés, ils y butent sur l’humilation d’être devenus des légumes qu’on lève, qu’on lave et qu’on égoutte sans même les écouter, entre les mains de leurs insupportables infirmières, Nadine Servan et Valentine Varela, qui gloussent et caquètent, roucoulent et clabaudent sans retenue ni pudeur, indifférentes, sadiques, scandaleuses de vie.
Une nuit, ils s’évadent. Ils se libèrent de leurs chaises roulantes. Ils font le mur. En un dernier soubresaut, ils empoignent les crinières du rêve, guidés par le souvenir. Laissés-pour-compte de l’existence, ils interrompent leur fin de partie pour galoper en plein azur, harcelés, pourchassés, fugitifs, fouillant l’un l’autre leurs plaies vives, et les pansant au baume de la tendresse, jusqu’au fin bout du monde, jusqu’au bord de l’abîme.
C’est – à ma connaissance – la première pièce de Michel Diaz, en tout cas la première à être montée par des professionnels d’un aussi haut talent. Il convient d’autant plus de saluer d’un grand coup de chapka l’audace tranquille de l’éternel jeune homme Georges Vitaly: depuis Beckett et Ionesco, combien d’auteurs en culotte courte, au talent d’abord jugé déconcertant, sont passés entre ses mains? Après Victor Haïm, Bourgeade ou Varoujean, il s’acharne à démontrer qu’il y a des auteurs français: que n’a-t-il davantage d’émules!
Maria Casarès et François Perrot jouent le jeu avec superbe. Diaz ne leur a pas livré un texte facile: tourbillonnaire comme une galaxie, avec des pépites d’une intense beauté, charriées dans un flot parfois plus flou. Ils s’y attaquent avec une fougue, un primesaut juvénile dont le souffle culbute, et qui s’infiltre dans nos veines: c’est cela le miracle de l’élan Vitaly…
Bernard Thomas