A propos du « Verger abandonné » – Philippe Boutibonnes

Cher Michel Diaz,

merci pour ce bel envoi du Verger abandonné !

Votre préfacier David Le Breton cite E. Jabès et l’absence de lieu – qui serait le lieu… Je vais essayer de réfléchir à cette formule de Jabès, mais comme je l’ai appris d’Aristote (et après avoir médité sur la cinquantaine de pages qu’il consacre au lieu dans sa Phusis) il n’est de lieu que synonyme d’existence… Tous les morts ont leur lieu; l’humanité est née sans doute de ce soin (ou de ce don) accordé aux défunts de leur offrir ce lieu ultime qu’ils méritent.

Je crois que Odysseus – dans sa longue épopée et parce qu’il est sans lieu d’une île à l’autre cherche à retrouver le SEUL lieu qui est vraiment le sien (mais sans doute votre texte si habilement « monté » par les 7 lettres à Pénélope m’éclairera et me fera réfléchir à cette notion capitale de lieu. J’avais il y a une dizaine d’années consacré un (tout) petit livre à cette notion « le lieu et l’ici. Il est épuisé, mais je vous en enverrai une photocopie.

Je vais lire votre livre avec plaisir (je n’en doute pas après l’avoir seulement parcouru). Les lettres à l’épouse, au fils et au père sont une idée magnifique : les relations épistolaires renforcent – sur un autre ton – les relations affectives qui se tissent avec les membres de la famille… Mais que répondent-ils, ces trois correspondants ? [Y aura-t-il un autre volume en réponse à ces 18 lettres ?] Merci encore pour tout votre envoi. Je vous récrirai assez vite après lecture de ce verger qui semble être le foyer de ces échanges.

Je vous souhaite bon courage (pour la suite) et bonne chance pour la réception de ce livre passionnant par avance.    

…   

Je reprends mon courrier en suspens.

Je n’ai pas pu résister à la lecture de votre livre : je l’ai lu d’un trait, une après-midi chaude presque caniculaire (méditerranéenne). Je n’ai pu me détacher de ces lettres aux 3 protagonistes espérant de découvrir en chacune le secret qui animait Ulysse ou au moins l’explication (hors le champ d’oliviers) de son désir de retrouver Ithaque… C’est une avancée presque immobile (ultime étape initiatique ou portes des enfers ?) et la 7ème lettre à Pénélope résume à elle seule tout le discours de ces pages « sublimes » [en ceci qu’elles n’engagent le lecteur dans aucune anecdote mais dans un ressassement tragique de ce cheminement de « nulle part à nulle part »]. Ce qui m’a beaucoup touché c’est l’exacte monotonie (économie du ton); les pages sont un lamento très doux qui ne blesse ni l’oreille ni l’esprit… Les noms des personnages sont eux-mêmes assez mystérieux : j’apprends par Les mythes grecs de R. Graves que Pénélope signifie celle dont le visage est couvert d’un filet (pour se protéger ou capturer – mais qui ?), que Télémaque veut dire Bataille décisive et que Ulysse renvoie à sa blessure à la cuisse…   

Le mot qui clot (presque) le texte est Amour, et cet amour pour l’une ou les autres – père et fils – imprègne tout le texte.

En lisant votre ouvrage, entendant le battement très régulier des phrases, j’imaginais un opéra (un oratorio ?) où les 3 destinataires liraient et chanteraient, dans une sorte de sprech gesang, la lettre qui lui était destinée, et sur un écran de fond de scène des images de la mer furieuse ou de l’île noire, couverte de fumée d’où Ulysse écrit ses ultimes lettres. Votre texte impose une lecture poétique qui l’excède entièrement.

Je suis vraiment très heureux que vous m’ayez permis la lecture de ce magnigique texte (qui a quelque chose d’un ton « évangélique » en ceci qu’il impose une lecture qui ne peut être vraie : l’avez-vous fait lire à un acteur, un comédien ou à un homme de théâtre ?

Soyez rassuré : si vous ne saviez qu’en penser, vous ne devez maintenant n’en penser que du bien, et si je devais décider de l’attribution d’un prix de poésie, soyez sûr aussi que je n’hésiterai pas une seconde ! Vous êtes dans la pure et authentique poésie.

Grand merci encore pour la belle lecture que vous m’avez procurée !  

Je prêterai votre livre à quelques amis en leur disant combien je l’ai aimé.

Bonne fin d’été. Portez-vous le mieux possible dans ce monde aussi hostile que celui qu’Ulysse a eu à affonter avant de (ne pas) rejoindre Ithaque.

A vous, cher Michel, avec ma très vive reconnaissance et mon amitié.

Philippe Boutibonnes

A propos du « Verger abandonné » – Michel Passelergue

Cher Michel Diaz,

dès les premières lignes, j’ai été saisi par la profondeur trouble qui se devine dans la voix de votre Ulysse, peut-être pas « moderne » ou « revisité » mais simplement porteur d’une parole poétique rongée par l’inquiétude face au temps, à la distance. Ceux-ci sont nommés d’entrée de jeu, visés plutôt par la flèche vengeresse d’un poète errant sur le point de décocher l’arme du mot juste.

La forme épistolaire de ce livre ne peut que me combler (il y a longtemps, de mon côté, avec plus ou moins de bonheur, j’ai vu dans le poème-lettre un moyen efficace de revigorer la poésie – notre Ithaque inaccessible).

Il y a, entre ce nouvel ouvrage et ceux que je connais de vous, d’évidentes correspondances. La thématique du verger, des arbres, rejoint celle qui porte le recueil Né de la déchirure. Et la quête incertaine d’Ulysse n’est pas sans ressemblance avec ce qui traverse le journal intime de Fêlure. N’est-ce pas déjà la voix d’Ulysse qu’on entendait dans : « De quelle bataille suis-je celui que l’on abandonne à lui-même ? »

Ce qui me frappe aussi, c’est que votre interprétation pessimiste (à première vue) de la légende d’Ulysse ne consiste pas à simplement souligner « l’immense vanité de tout, qui vient de Rien et y retourne »« avant de s’en aller, solitaire, pour ne plus revenir » – mais encore à conserver malgré tout une « intarissable ferveur » jusque dans « l’ultime mot sur nos lèvres, un mot dont dont chaque lettre épèlera ton nom »

La conscience de la finitude n’est-elle pas le plus sûr garant de notre amour de la vie ?

Sans doute ma lecture aura été marquée, plus ou moins, par ma propre expérience de remémoration – celle qui sous-tend mon Roman pour Ophélie (je le tiens aujourd’hui pour achevé, ce qui ne veut pas dire parfait…).

Le verger abandonné : un livre magnifique, tant par son contenu poétique que par la qualité éditoriale.

Un grand merci pour cette lecture qui m’a beaucoup touché.

Bien amicalement à vous.

Michel Passelergue

A propos du « Verger abandonné » – Jean-Pierre Boulic

Cher Michel Diaz,

« Le verger abandonné » « qui vous est tombé des mains » pour reprendre votre expression, j’en achève la lecture. D’abord, la présentation du recueil est impeccable. Votre livre est original, bien construit, bien écrit : j’ai apprécié.

En réalité, vous touchez le sujet majeur et universel (qui me préoccupe fondamentalement) – que le préfacier souligne avec adresse – dans ce qui fait le sens d’une vie humaine; j’ajouterai volontiers dans une interpellation et une recherche des liens qui peuvent contribuer au vivre ensemble, ici souligné dans le déchirement de l’exil : « Je le sais maintenant, si j’étais revenu je serais reparti, en ajoutant d’autres douleurs à celles de mes proches dont j’ai déjà si longuement meurtri le cœur, et aurais perdu pour toujours ce qu’ils m’ont, jusque là, conservé de confiante affection et, sûrement, d’amour. » Peut-être. Mystère de l’errance ou mystère de la vocation ?… En fait, une interrogation majeure et un sujet de réflexion à laquelle participe résolument votre écriture. Finalement, devons-nous être détachés des soins du verger ?

La question se pose à nous, et c’est le grand mérite de votre livre que de nous la poser car elle est de celles qui engagent tout l’être.

Très amicalement.

Jean-Pierre Boulic

A propos du « Verger abandonné » – Lionel Balard

Bonjour Michel,

Je viens de recevoir par la poste votre recueil « Le verger abandonné« , cet élégant petit ouvrage à l’édition remarquablement soignée.

Je vous remercie de ce beau cadeau. Je vais m’empresser de le lire le WE prochain, moment privilégié où je serai serein et libre de prendre le temps de lire autre chose que les contenus de cours, de formation et de réunions extrêmement prégnants en ce début d’année universitaire placée sous le signe de la crise sanitaire nationale.

Je reviendrai vers vous très vite pour vous donner mes impressions après lecture..

Mais déjà, lisant la lettre qui l’accompagne, je cite « […] ce petit livre que je ne sais encore comment prendre, de quelles mains sorti? » Je me permets de vous répondre sans détour aucun: de la main du poète, mon cher ami ! De la main d’un vrai poète dont la quête est éminemment humaniste et s’enracine dans le terreau originel de la poésie d’occident. Le thème d’Ulysse écrivant en clair-obscur aux siens… au sujet de la mémoire, de la vie-la mort, du retour espéré en terre-mère, et de l’accomplissement d’un long voyage qui mène irrémédiablement à soi-même… N’est-ce pas l’un des mythes les plus éclairants sur l’errance de l’homme lucide et du retour à soi, dans la lumière de l’amour et de la mort? Mythe qui me semble fonder (avec celui d’Orphée) une part essentielle de la pensée poétique moderne… Et je ne suis pas surpris de lire en exergue à vos lettres un fragment de poème de RM Rilke ! Et ce titre encore: Le verger abandonné, qui résonne en moi d’une façon trouble et tout autant lumineuse, me rappelant « Le verger « , celui du poète allemand épousant la langue de France, au sortir du cataclysme que fut la première guerre mondiale… sans doute l’un des plus intimes textes de ce grand arpenteur de la saison humaine. N’y a-t-il pas ce lien aussi, volontaire de votre part, de référer à ces vers du Livre de la pauvreté et de la mort, dont vous empruntez, pour éclairer le lecteur, les voix si fécondes? Et si nous lisons dès lors: « Tu es en exil, tu n’as pas de patrie / aucune place ici n’est la tienne »…, il n’est plus possible d’ignorer les questions existentielles qui hantent votre poésie. Et de comprendre alors, si la conscience et l’émotion habitent l’être tout entier qu’il s’agit de mettre à jour ce  » fruit qui est au centre de tout », « la grande mort que chacun porte en soi.« 

Voilà, avant toute lecture, et à l’écueil de mes premières impressions, ce qui me semble important de vous dire.

Ce « petit livre », comme vous dites, est votre fruit précieux. D’ores et déjà, le feuilletant, je ne puis qu’en être séduit. Il porte en lui ce qui est pure poésie, ce besoin d’être-au-monde, dans la complète et lucide compréhension de ce que nous sommes tous, au fond…  mortels et homme de passion… uniquement cela.

Bien à vous en ces jours d’automne naissant.

Cher Michel,

Je reviens vers vous aujourd’hui pour vous écrire quelques mots au sujet de votre « Verger abandonné » que vous avez eu la gentillesse de m’offrir. Et tout d’abord, de vous dire que dans ma précipitation à vouloir vous répondre dans l’instant qui suivait la surprise et l’émotion de la réception de votre ouvrage, j’ai commis la petite erreur de vous parler du « verger » de Rilke… alors même que, comme vous l’aurez sans doute corrigé spontanément, il s’agit de « Vergers » (titre d’ailleurs dont la paternité semble revenir, je crois, à Jean Paulhan). Je me permets donc de commencer ma lettre par cette rectification, non que cela soit préjudiciable à la teneur des remarques qui furent miennes dernièrement à l’égard de votre recueil, mais parce qu’il me semble important d’accorder du sens à ce pluriel voulu par le poète lui-même et qui ouvrent tant d’évidence et de vérité dans ce beau chant des années 20.
J’ai lu votre livre et aimé tout autant la structure « en lettres » qui construit la parole d’Ulysse et la restitue dans un temps sans prégnance (lettres pourtant marquées d’une expérience de vie qu’il semble narrer par moment), que l’émotion qui infuse des mots simples et justes, donnant corps à la mémoire, aux rêves et à l’incertitude des états de l’errance. Parole écrite, et jetée à la mer sans doute comme des songes au vent ; parole lourde d’espoir, de doute et de remords peut-être… C’est cela que je ressens à vous lire ici, dans l’écriture que vous portez sous cette forme épistolaire. Mais comment les prendre, ces songes jetés en pleine page, ces mots abandonnés à la seule scrutation du regard qui les découvre? Ulysse s’adresse « aux êtres aimés » et il me semble que se joue ici comme un monologue dont on devine que la voix est celle de l’auteur, du poète qui erre au gré du vivre… Poésie alors ? Et de relire vos quelques mots écrits de votre main et qui accompagnaient votre cadeau : « comme annoncé ce petit livre que je ne sais encore comment prendre, de quelles mains, sorti ? »
Questions auxquelles je répondais spontanément l’autre jour : « des mains du poète ! ».  Et que je réitère à présent, bien que cet écrit n’œuvre pas ouvertement en terre de poésie de la façon dont vous la donnez à vivre dans Offrandes ou Lignes de crête. Votre verger abandonné ne me semble pas relever d’autre chose pourtant !… Je ne saurais, comme vous, proposer ici un commentaire savant et fort de sa justesse pour mettre en exergue les qualités poétiques que je décèle dans cet opus, mais , si vous me le permettez, je voudrais vous faire part de ma singulière initiative à l’égard de votre texte : je me suis amusé à reconstruire un « chant », comme je le fais très souvent pour nombre de mes longs poèmes en prose (De silence et de plomb, chez Alcyone (que vous connaissez déjà) ou  La part d’ombres nouvelles ,  Du côté des vivants  ou  Le jour saillant,  qui devraient être publiés prochainement, je l’espère, dans ces mêmes éditions ou dans d’autres…). Je me suis amusé, dis-je, à mettre en lumière, le poème enchâssé qui pourrait initier, dans ce recueil, la parole poétique au plus haut degré de la conscience humaine. En somme, je me suis permis, sans le vouloir comme une irréfutable preuve de son ancrage en terre d’Orphée, d’y lire un troublant poème traversant votre écriture, courant au fil des pages et mettant toute la lumière sur la quête qu’il me semble être, ici, la vôtre.
Je mets en pièce jointe ce « chant latent » qui  émane de votre recueil… et j’espère ne vous avoir en rien heurté en osant vous soumettre ce poème enchâssé qui, d’évidence, est habité de votre voix de poète lucide et vivant.

Avec toute mon amitié 

Lionel Balard

A propos de « Fêlure » – Michel Passelergue

A propos de Fêlure, par Michel Passelergue

Un grand merci pour l’envoi de ce livre si intimement personnel.

Vous évoquez des « confidences » dans votre dédicace et assurément ces textes écrits à la première personne ont tout l’apparence d’un questionnement sur un mal-être personnel. L’expression « mal-être » m’est venue spontanément sous la plume, sans doute en relation avec un titre de Pierre Dalle Nogare, poète auquel j’ai consacré jadis une longue étude, parue dans « Le réel, j’imagine », recueil d’essais qui m’avait coûté des années de travail avant d’être refusé par environ 50 éditeurs (oui !), puis publié , presque malgré moi, à L’Harmattan, « usine à livres » peu recommandable.

« Confidences » donc qui se développent à la manière d’un journal intime – journal significativement hivernal. Confidences égrenées au fil du temps mais ne dévoilant qu’in extremis la nature de cette fêlure existentielle, qui se devine en filigrane en chacune des pages. De celles-ci la « blancheur somnolente » ne cesse d’ajouter doutes et découragement à l’interrogation douloureuse sur le sens qu’il y a à vivre parmi les mots, autant qu’à espérer un repos dans le silence. Votre écriture, superbement maîtrisée, d’où émane une si grande et fine sensibilité, fait de ce livre un objet précieux éclairé tout de même en profondeur de cette lumière innommable et insaisissable dont brûlent les fragments de glace qui fondent au soleil. Oui, ce texte de mal-être, dans le froid de l’hiver installé brille d’une lente brûlure dont nous ressentons, nous aussi, intimement les effets.  

La qualité de l’édition de Fêlure par Musimot (une appellation qui ne peut que me séduire) confirme le caractère là encore « confidentiel » (mais dans un autre sens) de votre poésie, bien à part dans le paysage encombré et confus de la poésie d’aujourd’hui. (Je serais volontiers favorable à l’élitisme pour tous, mais qui pourrait nous faire approcher cette chimère ?)

Avec mon amitié.

Michel Passelergue