Avec l’éditorial du numéro 85 de Diérèse, Arcanes du poème, je retrouve une écriture que je connais bien, puisque c’est Michel Diaz qui écrit.
En exergue, Henri Thomas (Le besoin d’écrire est premier). L’expression, ensuite, résultant aussi du hasard, d’après l’auteur cité.
Michel Diaz ne nous invite pas à nous interroger sur la source de ce besoin d’écrire, recherche, dit-il, qui serait illusoire. Car… Il est, ou il n’est pas.
Par contre il relie la démarche d’écriture (et d’existence) au désir archaïque de fissurer ce qu’on nous a appris à concevoir de la réalité du monde. Opposant regarder (qui ne suffit plus) à voir (qui ne se fait qu’avec nos yeux de l’intérieur), il rejoint ce que Michaux nomme, rappelle-t-il, espace du dedans, ou ce lieu où Werner Lambersy voit la possibilité de l’immensité. Je comprends ce qu’il met dans cette opposition entre regarder et voir. Une exigence de profondeur, possible selon la part de soi qui s’offre à la perception visuelle, volonté de nommer pour distinguer et dire une bascule de conscience, en quelque sorte. (Et c’est vrai que voir est étymologiquement de la nature de ce que Rimbaud cherche, se faire « voyant »). Même si, pensant à la photographie (qui capte, ou qui reste un geste mental) je mets, pour ma part, dans le verbe « regarder » une force de présence qui fusionne avec ce qui est de l’ordre de la captation par ces yeux de l’intérieur. Mais ce sens n’est pas toujours dans les emplois du mot, c’est vrai.
Ce qui intéresse Michel Diaz c’est une ouverture, un élargissement permettant à l’esprit d’accueillir le hasard, et (cette fois c’est une autre écoute dont il s’agit) il évoque l’équivalent des yeux de l’intérieur, ce qui serait l’oreille intérieure, capable de laisser surgir ce qui émane du silence d’avant la parole.
Pour faire comprendre exactement la dimension qui est en jeu, là, il reprend l’expression de Reverdy, état poétique. Et cite Jacques Ancet, qui ne séparait pas intensité de langage et intensité de vie.
Forger le poème, écrit-il, c’est aller nécessairement de l’obscur vers le sens. Là je retourne en arrière dans son texte. Forger, je pense au feu. Or il a utilisé l’expression matière-lave pour qualifier la substance insaisissable de cette opération de soi créant. Je traduis : alchimie. Et une transformation alchimique échappe au sujet, refuse les normes, accepte le désordre : Le sens, en fait, vient déranger un ordre qui échappe à toute raison. Ce qui compte, comme le dit Marina Tsvetaïeva, citée, c’est la résonance. Et comme, le rappelle-t-il, c’est inscrit dans les Illuminations de Rimbaud.
Pour Michel Diaz le poème est affaire d’âme.
Mais j’ai lu aussi avec intérêt, dans le N° 86 de Diérèse, les pages de Michel Diaz sur Jean-Paul Bota. Ce qui l’interpelle dans l’écriture de ce poète c’est qu’elle le mette en face de ce surgissement énigmatique, de cet impondérable qu’est la poésie, parce qu’il ne veut pas faire poésie. Au début de sa réflexion Michel Diaz a cité Henri Michaux, qui ne trouve pas particulièrement de la poésie dans les poèmes, mais dans n’importe quel genre, soudain élargissement du monde. Et Michel Diaz est plutôt d’accord avec cette affirmation. Moi aussi, pour une raison. Qui est que trop de textes ne correspondent pas à une nécessité, et je serais tentée d’ajouter, nécessité métaphysique. Ou, autre souffle incontournable, à une évidence d’ordre presque physique. Cri ou chant des viscères. Poursuivant ma lecture je trouve dans ce texte une mention de Thelonius Monk qui rejoint ce que je viens d’écrire : une force qui le guide, qu’il exsude chaque fois qu’il se met au piano. Puis il cite Keith Jarret, pour rapprocher la création de Jean-Paul Bota du même processus d’improvisation. Peut-être que ce qui peut me déplaire (et déplaire à Michel Diaz) dans certaines œuvres, en poésie, c’est qu’elles mentent. Or la musique ne le peut pas, ni la danse, comme c’est possible avec les mots qui peuvent masquer l’absence de source authentique, de nécessité.
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