Lumières de la poésie : « Cristaux de nuit », recueil de Michel Diaz
Il est des œuvres qui grandissent longtemps, se nourrissant d’ombres,
de discrétion, de travail, de patience et de sapience, avant d’apparaître en pleine
lumière. C’est le cas de ces « Cristaux de nuit » de Michel DIAZ, poète tourangeau…
Notre région Centre compte des poètes de qualité et peine parfois à leur accorder la reconnaissance qu’ils méritent : Michel Diaz fait partie de ceux pour qui la poésie est un art de vie essentiel. Il écrit depuis son adolescence, avec persévérance et conviction, et il nous a livré au printemps 2013 un beau recueil intitulé :
« Cristaux de nuit ».
L’an passé, je l’avais croisé à l’excellent salon de la poésie de Vendôme, nous étions voisins de table, j’avais fait sa connaissance le temps d’un salon et je m’étais promis de le lire…
L’occasion m’en vient avec ces « Cristaux de nuit », recueil plein de magie, qu’il faut aborder avec modestie et avec l’œil de l’arpenteur des brocantes, tentant de discerner les perles cachées de l’éventaire, ainsi ce vers : « Il y a dans le cœur de terribles labours… » qui éveille des échos, provoquant cette petite musique obsédante qui fait le charme de la poésie :
Il y a dans le cœur de terribles labours
pareils à ceux de la tempête acharnée sur la mer
il y a tant de sang confus au fond des yeux
que les jambes parfois titubent sur la route
où sont les mains tant espérées
si douces à la nuque aux hanches si brûlantes ?
les mots tressés
comme des lianes à la branche des jours ?
les jours peuplés de feuilles
et les feuilles de nids ?
les heures vont pourtant
creusant leurs traces de glacier
le gris du ciel grince aux lucarnes
chaque aube doit lutter contre un nœud de nuages
où aller cependant
malgré les certitudes qui s’effondrent ?
sinon vers moins d’impatience moins de halètement
moins de cris discordants au bord des puits stériles
au fond desquels veillent les monstres ?
où sont les mains tant espérées ?…
Derrière le motif avoué — donner à lire et à entendre le rapport au langage, un peu austère — apparaît un second motif plus apte à ouvrir les yeux du lecteur : images, souvenirs, évocations et douleurs qui sont la source de toute littérature et auxquels l’écriture apporte un élan inattendu. Le recueil se tisse de « textes poétiques », expression que préfère Michel Diaz à celle de poèmes, qui ont été regroupés en trois parties qui reflètent également trois parties de sa vie, et trois styles très différents :
• « Loire, lits profonds »
• « Miroirs de Sable »
• « Transparence de la présence ».
Il faut y ajouter une quatrième partie, « Cristaux de nuit », texte qui donne son titre au recueil; cette partie est un long poème très intériorisé qui s’essaie à épouser le mouvement de la pensée dans les tâtonnements de l’acte poétique, les vertiges de son errance, nous entraîne dans les dédales de son cheminement, au bord de l’indicible même. Poème vertigineux.
« Loire, lits profonds » regroupe trois élégies bâties autour de photographies de Thierry Cardon inspirées par l’univers du fleuve : eau, sable, bois flottés, happening de coquillages et de brindilles arrangé en un improbable puzzle sur sable et auquel fait écho la langue du poète :
La main raconte alors
quand s’absentent les yeux
un chemin perdu dans la nuit
semant sa trace d’une trace de vérité
dans ses gestes comme en dormant
du bout de ses phalanges
en signes balbutiants
en histoires d’Abîme
épousant dans le bruit de l’eau
la mémoire de ce qui est qui fut et qui sera
« Miroirs de sable » constitue la seconde partie du recueil et comporte des poèmes écrits dans une forme plus familière : des textes brefs, saisissants, un langage imagé et dont fait partie le poème cité en ouverture de cette chronique.
Chacun évoque avec force un souvenir, une image. Penchons nous sur l’un d’eux. Il évoque le destin tragique de Roger M., poète du début des années soixante, rebelle à l’armée, envoyé en camp disciplinaire, incorporé en Algérie. Il finira par déserter. Porté disparu, il ré-apparaîtra à Toulouse pour se jeter d’un pont dans la Garonne. Il est écrit dans une prose que l’on dirait chantée :
Renard, vieux frère de ténèbres, nocturne serrurier des poulaillers de l’ombre, saigneur aux ruses de lanterne sourde, avide fouisseur du sommeil des vieux rêves tu as livré le sang de ton insoumission à la colère des racines Finalement Aux limites du Souffle
Amoureux du flanc des montagnes, complice des abîmes, on voulut te couper jadis les sentes de la liberté pour t’offrir comme unique patrie une crevasse de chaux vive ! […]
« Transparence de la présence » écrit de fraîche date, clôt ces « Cristaux de nuit », de manière gracieuse avec un texte en prose dans lequel Michel Diaz évoque les derniers moments passés avec sa mère, avec un style empreint de légèreté pour dire la douleur de la disparition, les morsures de l’âge et la cruauté des souvenirs qui s’effacent…
« Je suis aujourd’hui, retourné déjeuner dans ce restaurant, le Saint-Christophe, où j’emmenais ma mère plusieurs fois par mois, à l’occasion de mes visites régulières… »
Bien que convertie à la prose, l’écriture possède la métrique chantante de la poésie et ce bercement qui fait que le texte se lit d’une traite.
« Cristaux de nuit » semble ainsi se construire pour les yeux du lecteur, et, dès qu’il est lu, appelle d’autres relectures, car la poésie est faite pour être mise en bouche et longuement relue, méditée, pensée, appréciée afin d’en extraire le silence et d’en toucher le mystère :
[…] tant de portes entrouvertes
sur tant de chambres vides
château abandonné
livré aux sans sommeil qui se faufilent […]
Contrairement au roman dont l’unité nous est offerte, et où le lecteur se plonge dans l’analyse avec un plaisir de gourmet, un recueil de poésie est une mosaïque, un puzzle de mots, de paroles, de silences et de sensations, et la mission du lecteur, s’il l’accepte, consiste, à créer une image du tout, créant ainsi une sensation fugace qui s’efface au fur et à mesure qu’il s’imprègne de l’esprit du poète…
Bernard Henninger /A.L