Revenir à la « Fêlure« , livre de Michel Diaz paru en 2016 chez Musimot, telle est la proposition du jour, faite par Florence Saint-Roch, dans sa chronique mensuelle des Pages de Garde, sur le Magnum : www.dechargelarevue.com . Un livre sombre qui prend la forme d’un journal. En impasse dans sa nuit, le poète formule un vœu : « Qu’enfin s’ouvre une porte »…!
Ci-dessous, le texte de Forence Saint-Roch dans sa chronique mensuelle des Pages de Garde, consacré à mon recueil « Fêlure », publié aux éditions Musimot en 2016. Article publié le 17 novembre 2024 dans Accueil> Repérage.
Sans doute est-ce une disposition naturelle : bien que d’un tempérament inquiet (comment ne pas l’être ?), dans l’effroi aussi parfois, je me veux fille de l’air, filant nez au vent, en quête, dans la vie comme dans mes poèmes, d’un peu plus de clarté et de lumière. Sans cet élan, comment tenir, comment écrire ?
Tout mon respect (un respect mêlé de curiosité) aux auteurs qui parviennent à s’en passer. Michel Diaz, par exemple, dans certains de ses recueils, fait littéralement l’économie du soleil. Ainsi Fêlure, aux éditions Musimot, forme une chronique sombre, décrit un engouffrement désespéré dans les zones les plus obscures et les plus reculées de l’être. Ce journal s’amorce le 21 décembre, soit pile au commencement de l’hiver et s’achève le 26 mars, soit quelques jours après le début du printemps. C’est dire que rien – pas même l’hiver – ne se résout vraiment chez M. Diaz. Les questions comme les plaies de vivre restent ouvertes. Le « je » qui s’exprime dans ces pages consigne scrupuleusement ses « douleurs d’être », trace, « serré contre les bouées noires de l’angoisse », les linéaments d’un perpétuel trait de fracture entre le monde et lui, entre les mots et lui :
Faute de pouvoir « n’être d’aucun lieu, de n’appartenir à aucune époque », le scripteur de ces pages rêve d’ « une chute vertigineuse », d’une « prodigieuse descente aux mystères des origines./Dans la soute d’avant exister./Au plus noir ». Il creuse et explore, inguérissable, le fond du fond ; il tranche dans le vif, coupe à la lame : défilé, effilé des jours où il n’est d’autre ressource que de « Prendre appui sur le bord de ses déchirures ».
Ce faisant, il éprouve une insondable solitude, « Ces longs flocons qui tombent, je suis seul à pouvoir les entendre. » Les autres cruellement font défaut ; « Qui appeler ? » pour lui dire l’indicible, lui donner à palper l’impalpable ?
J’étais là, parmi vous.
… Quelqu’un est là, j’aurais voulu vous dire. On ne sait qui. Qu’on devine pourtant, mais qu’on feint d’ignorer ou refuse de connaître. Et cela vient du fond, de là où les regards butent contre la nuit.
Quelqu’un, là, au milieu de vous. Jamais loin. À côté. Tête sur l’enclume polie de sa persévérance.
Humaine condition, condition du poète… Renonçant à trouver ne serait-ce qu’un possible écho, ou le plus mince assentiment à ce qui « demandait à être », la voix du poème invente des stratégies, développe des mécanismes ; mais malgré « les emplâtres plaqués sur le mur, rebouchant l’âge », les fissures réapparaissent « qui font craquer l’enduit trop mince ». Alors que faire ? Racler « les peaux mortes de l’hiver », chahuter « son théâtre d’ombres », ou consentir à hiberner toujours, à se taire à jamais ? Au lecteur de faire son choix, tandis que le narrateur fait le sien. En impasse dans sa nuit, ce dernier formule un vœu : « Qu’enfin s’ouvre une porte », une porte de sortie, comme on dit, qui définitivement le délivrerait.
Et nous, de quelle porte rêvons-nous, quels seuils encore franchir, vers quoi nous obstiner ?
Florence Saint-Roch
Repères : Michel Diaz : Fêlure. Éditions Musimot, 2016