Article de Patrick Corneau, publié sur le site Le Lorgnon mélancolique (oct. 2024)
J’ai reçu le Jean-Pierre Otte un curieux recueil poétique : Les entrefaits, signé Quatuor d’Arnal. Arnal s’avère être le nom du mas sis dans le Lot où Jean-Pierre réside. Késako ? Je retourne le livre, et en guise de 4ème de couverture : je vois deux quatuor, l’un féminin (Carmen Pennarun+Valère-Marie Marchand+Valérie Defrène+Myette Ronday), l’autre masculin (Michel Diaz+Yves Arauxo+Jean-Claude Tardif+Jean-Pierre Otte). Un collectif donc, une œuvre à huit mains (si stylo), seize (si clavier). Quatre-vingt-douze pages de poèmes équitablement réparties entre les dames et les messieurs. Mais lisons les explications de Jean-Pierre Otte en ouverture du volume : “En un jeu qui d’ailleurs n’en est pas un, quatre écrivains ayant chacun leur écriture et leur univers se réunissent en quatuor pour composer des poèmes. L’aventure est collective, composite, alternative. Le premier – ils sont premiers à tour de rôle – propose une ligne de départ. Les autres prennent le relais, ajoutent leur ligne chacun à leur tour, sans que l’action d’écrire se fasse pour, contre ou avec les autres, mais uniquement en faveur du poème composé au fur et à mesure.”
Ce sont donc (titre) “des entrefaits, du verbe entre-faire, se faire l’un l’autre, fertilité dans l’intervalle.”
C’est de l’intelligence collective (mâtinée de beaucoup de technique langagière et modelée par huit sensibilités uniques) appliquée à la création poétique. Le résultat est très convaincant. Grâce à ces apports successifs, on assiste à l’émergence d’un quidam, la création d’un esprit qui vaut plus que la somme des huit : “un esprit se crée de lui-même, esprit impersonnel dont chacun participe, et qui semble acquérir une sorte d’autonomie ou d’autarcie, ayant sa propre vie, ses facultés inventives, sa libre spontanéité.”
Comme le dit fort bien Yves Arauxo : “ en favorisant le dialogue et l’échange, en imposant à ses participants un déplacement, des réévaluations et des réajustements constants, l’écriture en quatuor permet d’approcher cette entité partagée, ce noyau situé en marge (le centre est à côté) des particularités de chacun. Elle fait alors un pas vers une sorte d’idéal poétique : non pas celui de l’écriture d’un poème anonyme, mais celui de l’invention d’un poète qui ne porterait pas de nom.”
On l’aura compris cette expérience littéraire est aussi originale et inattendue que passionnante à découvrir. Comme un souffle de fraîcheur au milieu du brouhaha des mille égos poétisants poétifiants : c’est moi ! c’est moi !
Critique de PATRICK CORNEAU sur son site « Le lorgnon mélancolique », qui accueille près de 4000 visiteurs par mois.