Quatuor d’Arnal
LES ENTREFAITS
Editions A l’index, collection Empreintes
Publié en octobre 2024
En un jeu qui d’ailleurs n’en est pas un, quatre écrivains – Michel Diaz, Jean-Claude Tardif, Yves Arauxo et Jean-Pierre Otte – se réunissent en quatuor pour composer des poèmes. L’aventure est collective, composite, alternative. Le premier – ils sont premiers à tour de rôle – propose une ligne de départ. Les autres prennent le relais, ajoutent leur ligne chacun à leur tour, en toute connaissance de cause et en tenant compte des lignes précédentes (au contraire du cadavre exquis surréaliste), sans que l’action d’écrire se fasse pour, contre ou avec les autres, mais uniquement en faveur du poème composé au fur et à mesure.
Par leurs apports successifs, ils créent un esprit ou un esprit se crée de lui-même, esprit impersonnel dont chacun participe, et qui semble acquérir une sorte d’autonomie ou d’autarcie, ayant sa propre vie, ses facultés inventives, sa libre spontanéité.
Ce sont des entrefaits, du verbe entre-faire, se faire l’un l’autre, fertilité dans l’intervalle.
Jean-Pierre Otte
Ces six poèmes sont extraits de « Les entrefaits » du Quatuor dArnal à paraître cet automne À l’Index :
J’emprunte le silence comme une voie profonde,
Un chemin creux sous une cascade de mots.
Soudain le temps nous impose ses rives
Et l’esprit, lentement, sollicite ses rêves.
Le mieux qu’on puisse faire est de suspendre son souffle
Et parier qu’on progresse dans l’étoilement taciturne
Des nuits qui se vendent à l’encan,
Des jours qui sont dans une paresse de lumière,
Et auxquels il faudrait rendre leur cœur convulsif.
Il est une extase de la pure présence
Qui serpente entre l’ailleurs et l’indicible
Et n’a de commune mesure avec rien.
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Depuis que la vacuité est en vase clos,
Nul ne peut plus voir Dieu ni même le prier.
Au travail du néant s’adosse le loisir du sens.
La parole trébuche dans un dernier murmure.
Tout à coup, on se retrouve excentré,
Réduit au plus succinct du cœur.
Ici est partout quand on ferme les yeux.
La mémoire n’est plus à l’arrière des paupières
Mais au-dedans de soi, un marécage magnifique,
Bien plus beau que tout ce qui ne peut s’atteindre.
La conscience s’élargit à sa propre mesure.
Les migrateurs y passent indifférents.
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Apparut un homme qui n’était fait que de vitres
Et disait qu’il était en tous points transparent.
Au bras de sa femme en miroirs déformants,
Il avançait comme on se précipite
Dans les clartés et reflets d’une fête foraine,
Qui ne donnaient aucune preuve de son existence.
Aussi souffrait-il d’un manque de reconnaissance,
De la légèreté de ceux qui le croisaient,
Et du mépris de ceux qu’il ne croisait point.
«Ah! ÊTRE, ÊTRE enfin sous un simple regard !»
Mais la lumière est changeante et fait naître
Tant de variations dans l’invariable instant.
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Quel bel avenir derrière nous,
Et devant, quelles ruines à rebâtir !
Faut-il marcher à reculons pour retrouver un horizon ?
Ou simplement s’asseoir et le regarder passer?
C’est une question de savoir-faire, de savoir-vivre.
Mais faire et vivre exigent le bon mode d’emploi
Que chaque enfant s’empresse d’oublier en grandissant.
À moins qu’il ne le cache au fond de ses poches
Ou dans le petit pays qu’il porte sous ses paupières
Et gardera pour lui derrière ses blessures.
Celui qui érige le jeu en principe de sa méthode
Ne peut pas ignorer que les dés sont pipés.
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Dans l’absence, il y a des lieux inconnaissables
Qui donnent le vertige comme les prisons de Piranèse.
Pline l’Ancien les évoquait déjà
Dans les plis et les replis de son histoire naturelle.
Ce sont des lieux perpétuels sur lesquels on suppute
La valeur de nos rêveries passagères,
Où le centre n’est qu’une périphérie
À partir de laquelle prendre enfin la tangente.
On n’y échappe que par les bas-fonds du sommeil
Où communiquent les espaces de toute nature,
Où le dernier des regards
S’accroche aux canevas de l’inconnaissable.
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Dans l’obscurité, une odeur de femme
Révèle une présence insaisissable,
Un rêve que l’on ne peut que caresser
Ou une légende pour les temps futurs.
Pourtant, cette odeur dans l’obscur a un corps
Qui habite la nuit pour dire la clarté
Et le silence pour prononcer un souffle
Léger et parfumé de lys martagon.
Que vienne charnellement un jour où,
Nourris de ce souffle et de cette clarté,
Nous puissions accoster à l’horizon des sens,
Nos mains nues modelant enfin ce corps révélé.