Cher Michel Diaz,
merci pour ce bel envoi du Verger abandonné !
Votre préfacier David Le Breton cite E. Jabès et l’absence de lieu – qui serait le lieu… Je vais essayer de réfléchir à cette formule de Jabès, mais comme je l’ai appris d’Aristote (et après avoir médité sur la cinquantaine de pages qu’il consacre au lieu dans sa Phusis) il n’est de lieu que synonyme d’existence… Tous les morts ont leur lieu; l’humanité est née sans doute de ce soin (ou de ce don) accordé aux défunts de leur offrir ce lieu ultime qu’ils méritent.
Je crois que Odysseus – dans sa longue épopée et parce qu’il est sans lieu d’une île à l’autre cherche à retrouver le SEUL lieu qui est vraiment le sien (mais sans doute votre texte si habilement « monté » par les 7 lettres à Pénélope m’éclairera et me fera réfléchir à cette notion capitale de lieu. J’avais il y a une dizaine d’années consacré un (tout) petit livre à cette notion « le lieu et l’ici. Il est épuisé, mais je vous en enverrai une photocopie.
Je vais lire votre livre avec plaisir (je n’en doute pas après l’avoir seulement parcouru). Les lettres à l’épouse, au fils et au père sont une idée magnifique : les relations épistolaires renforcent – sur un autre ton – les relations affectives qui se tissent avec les membres de la famille… Mais que répondent-ils, ces trois correspondants ? [Y aura-t-il un autre volume en réponse à ces 18 lettres ?] Merci encore pour tout votre envoi. Je vous récrirai assez vite après lecture de ce verger qui semble être le foyer de ces échanges.
Je vous souhaite bon courage (pour la suite) et bonne chance pour la réception de ce livre passionnant par avance.
…
Je reprends mon courrier en suspens.
Je n’ai pas pu résister à la lecture de votre livre : je l’ai lu d’un trait, une après-midi chaude presque caniculaire (méditerranéenne). Je n’ai pu me détacher de ces lettres aux 3 protagonistes espérant de découvrir en chacune le secret qui animait Ulysse ou au moins l’explication (hors le champ d’oliviers) de son désir de retrouver Ithaque… C’est une avancée presque immobile (ultime étape initiatique ou portes des enfers ?) et la 7ème lettre à Pénélope résume à elle seule tout le discours de ces pages « sublimes » [en ceci qu’elles n’engagent le lecteur dans aucune anecdote mais dans un ressassement tragique de ce cheminement de « nulle part à nulle part »]. Ce qui m’a beaucoup touché c’est l’exacte monotonie (économie du ton); les pages sont un lamento très doux qui ne blesse ni l’oreille ni l’esprit… Les noms des personnages sont eux-mêmes assez mystérieux : j’apprends par Les mythes grecs de R. Graves que Pénélope signifie celle dont le visage est couvert d’un filet (pour se protéger ou capturer – mais qui ?), que Télémaque veut dire Bataille décisive et que Ulysse renvoie à sa blessure à la cuisse…
Le mot qui clot (presque) le texte est Amour, et cet amour pour l’une ou les autres – père et fils – imprègne tout le texte.
En lisant votre ouvrage, entendant le battement très régulier des phrases, j’imaginais un opéra (un oratorio ?) où les 3 destinataires liraient et chanteraient, dans une sorte de sprech gesang, la lettre qui lui était destinée, et sur un écran de fond de scène des images de la mer furieuse ou de l’île noire, couverte de fumée d’où Ulysse écrit ses ultimes lettres. Votre texte impose une lecture poétique qui l’excède entièrement.
Je suis vraiment très heureux que vous m’ayez permis la lecture de ce magnigique texte (qui a quelque chose d’un ton « évangélique » en ceci qu’il impose une lecture qui ne peut être vraie : l’avez-vous fait lire à un acteur, un comédien ou à un homme de théâtre ?
Soyez rassuré : si vous ne saviez qu’en penser, vous ne devez maintenant n’en penser que du bien, et si je devais décider de l’attribution d’un prix de poésie, soyez sûr aussi que je n’hésiterai pas une seconde ! Vous êtes dans la pure et authentique poésie.
Grand merci encore pour la belle lecture que vous m’avez procurée !
Je prêterai votre livre à quelques amis en leur disant combien je l’ai aimé.
Bonne fin d’été. Portez-vous le mieux possible dans ce monde aussi hostile que celui qu’Ulysse a eu à affonter avant de (ne pas) rejoindre Ithaque.
A vous, cher Michel, avec ma très vive reconnaissance et mon amitié.
Philippe Boutibonnes