“LE VERBE ET L’HAMEÇON”… par le Théâtre du Pratos
On aurait aimé y mordre
La route suivie par une jeune troupe théâtrale qui ne veut vivre que de son travail et ne reçoit absolument aucune aide extérieure (ou si peu) est à l’évidence une longue marche caillouteuse, semée d’embûches et de ravins, de difficultés et de douleurs. Elle peut être exaltante, déboucher sur des réussites et… des encouragements. Elle peut tout autant, et cette fois-ci presque inévitablement, tomber dans les filets de ses propres défis. Non, il ne faudrait pas! Et il n’en est sûrement pas question dès l’instant où ceux qui sont décidés à porter loin leur aventure doivent aussi savoir supporter leurs mésaventures.
C’est bien une mésaventure qui vient d’arriver au si dynamique Théâtre du Pratos, à cette compagnie issue en partie de la défunte Comédie de la Loire et qui depuis sept ans lutte contre toutes les adversités (financières et autres), s’en va jouer un peu à travers tout le pays, tente véritablement de donner le goût du théâtre aux enfants, offre une chance à de nouveaux auteurs (depuis repris à Paris, tel Victor Haïm) et finit aujourd’hui par proposer sa vingtième création.
Il ne faut pas se leurrer. Il s’agit bien pour nous d’une mésaventure, tout à fait explicable d’ailleurs. Le type même d’existence menée par les comédiens du Pratos et leurs activités les confinent dans une sorte de ghetto qui leur interdit pratiquement une plus vaste (et nécessaire) connaissance de leur métier. Passer d’un lieu d’école, d’un cabaret-théâtre, d’une petite salle à un grand espace scénique est une première chose.
S’attaquer ensuite à une pièce qui se veut d’envergure et appelle avant tout le mouvement et une solide gestion de l’espace scénique est une seconde chose. Les huit compagnons de Gilles Magréau (qui ne joue pas mais signe la mise en scène) se heurtent manifestement à ces deux éléments, sans pouvoir les maîtriser.
Que l’oeuvre représentée ces jours-ci au théâtre de l’Université “Le verbe et l’hameçon”, écrite par un jeune professeur de français à Blois, ne manque ni de souffle ni d’ambitions(s) -et c’est plutôt à mettre à son crédit-, voilà qui paraît certain et n’arrange pas les affaires du Pratos, car la troupe semble quelque peu dépassée par le défi que propose le texte. Mais que Michel Diaz ait repris en partie (et s’amusant visiblement beaucoup à s’en inspirer) l’histoire et le canevas de “La résistible ascension d’Arturo Ui” de Brecht, voilà aussi qui n’est pas sans importance.
Cette pièce s’affiche encore comme une parodie bouffonne des opéras brechtiens et des drames historiques de Shakesperare, et ce “pot pourri” d’influences (revendiquées ouvertement et sans aucune ambiguïté) use d’une éciture jubilatoire qui ne manque ni de trouvailles ni de réelle drôlerie. Pourtant, de ce qui se présente comme une vaste fresque burlesque et démontage corrosif des ménaniques du Discours et des Pouvoirs, la représentation ne nous donne, hélas!, que d’épisodiques éclats et reflets, d’autant plus que les acteurs, pour la plupart mangent l’essentiel (peut-être le meilleur) de leurs textes et chansons. Ivan Ringot (qui évoque parfois le Harpo des frères Marx) , Jean-Marie Sirgue, Ramon Delgado semblent plus heureux que leurs partenaires dans leur interprétation. Mais il est vrai que celle-ci exige la performance. A l’image de la pièce. Si quelques mouvements et changements de tableaux sont à peu près réussis, l’ensemble n’en reste pas moins étonnamment brouillon, au niveau du faux canular ou du pastiche dont on ne parvient pas alors à goûter la saveur. Sur un rythme désaccordé, aux accords souvent grinçants, la pièce passe sans accrocher vraiment. Et pourtant on aimé y mordre! Ne serait-ce que pour la sympathie que nous inspirent toute tentative de théâtre libre, indépendant et sans le sou, et un jeune auteur qui ne manque pas d’intérêt!
Pierre Favre