Vapeurs d’enfance – Michel Lamart

Vapeurs d’enfance

Michel Lamart

Editions Unicité (2023)

Note de lecture publiée in Diérèse N° 91 (automne 2024)

         Critique, essayiste, nouvelliste, poète, parolier, auteur dramatique, auteur de textes de Science Fiction, Michel Lamart, tout comme Jean Cocteau ou Boris Vian, appartient lui aussi, avec un beau talent, à la catégorie des « touche à tout ». Il nous faut ajouter à sa déjà vaste palette littéraire ce dernier ouvrage que l’on hésite à ranger dans un genre bien défini, mais qui nous apparaît d’abord comme un recueil de textes (proses et vers) relevant de l’autobiographie. Encore faut-il user de ce terme avec quelque précaution puisque Vapeurs d’enfance, sous-titré Roman-poème, échappe en grande partie à ce genre pour notre plus grand plaisir, car les libertés formelles qu’il s’octroie nous en rendent la lecture infiniment plaisante. En effet, loin de s’inscrire dans cette catégorie littéraire qui exige de leurs auteurs un certain nombre de contraintes qu’il se doivent de respecter (à leurs risques et périls) pour présenter à leurs lecteurs « un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité» (Philippe Lejeune), l’ouvrage de Michel Lamart s’émancipe allègrement de cette stricte définition pour nous offrir, comme à la bonne fortune de ses souvenirs, une série de courts textes, teintés de beaucoup d’humour et de pas mal d’auto-dérision, sortes de « flaches » mémoriels qui semblent (faussement) apparaître au hasard de sa plume.

         Nous reste alors le mot « témoignage », tel que nous le propose, plus justement, le texte de quatrième de couverture, celui « d’une enfance ouvrière. La vie ordinaire d’un enfant qui doit à ses parents et à l’école d’avoir pu passer du bleu de chauffe au col blanc pour échapper à la misère ». Hommage aussi « à l’école laïque et républicaine » et « à ses maîtres, qui ont été parfois résistants ou ont connu l’horreur des camps nazis ».

         Les cinq premières parties (« chapitres ») de ce livre se distribuent, non par ordre chronologique, mais selon une thématique chaque fois renouvelée qui offre d’autres angles de perspective : I. Pour un roman familial, II. Génie des lieux, III. Ouvrir les yeux, IV. La Communale, V. Scènes de la vie familiale. L’ouvrage se termine par une très intime suite de poèmes, hommage essentiellement consacré à la mère de l’auteur, Guirlande pour Marguerite et Jean.

         Si le premier de ces chapitres sacrifie à l’évocation des origines familiales, ce n’est que pour nous dire le « terreau » sur lequel ont poussé ces existences difficiles et laborieuses, et pour mieux planter le décor de ce monde ingrat où l’auteur a grandi, nous en faire sentir l’atmosphère et ce qui donne sens à tout ce qui va suivre. C’est ainsi que l’auteur s’inscrit par sa naissance (comme il le résume dans un autre texte, publié dans la revue Terre à ciel), dans ce monde ouvrier des chemins de fer et dans une famille, pas véritablement pauvre mais éternellement contrainte, jour après jour, tout au long des années, à économiser le moindre sou sur tout. Il s’y présente comme le « Premier enfant de Jean Lamart, travailleur au marteau dans la gare qu’il ne quitta guère qu’à la retraite (nos moyens ne nous permettaient pas de voyager, malgré les coupons SNCF gratuits, collectionnés comme des papillons roses, peu utilisés). Et de Marguerite Amé, petite Cosette arrachée aux griffes d’une Thénardier qui la maltraitait au fond de son café d’Amifontaine où mon grand-père Eugène, qui l’avait épousée en secondes noces, lui servait d’homme à tout faire. Maman n’avait qu’une profession : s’occuper de nous (Moi, Nicole, de quatre ans ma cadette, et Isabelle qui a 16 ans de moins que moi) ». C’est de ce milieu sans livres (« sauf ceux que papa trouvait dans les wagons »), où les études scolaires étaient l’unique perspective de salut, que Michel Lamart devra s’arracher en entrant en sixième, puis au lycée moderne et technique de Reims, puis en fac de Lettres où il obtiendra licence, maîtrise, CAPES, agrégation, et en devenant enseignant.

         Dans les autres chapitres, et selon la thématique adoptée, comme nous l’avons indiqué plus haut, Michel Lamart évoque, dans des textes brefs, comme autant d’éclats prélevés au temps, des souvenirs d’enfance, relatifs d’abord à ces lieux où il passa ses premières années (Rue de Grigny, La cité du dépôt). Si certains de ces textes cultivent plutôt l’anecdote (Le Cirque municipal, le journal Pilote, l’Encre violette, Les biscuits REM, Le train électrique, Hatari, La communion, Raymond Poulidor), d’autres ont parfum de nostalgie (Les billes, Richard Anthony, Yoyo hula-hoop et scoubidou, La soupe, Le landau, Noël), ou sont délibérément drolatiques (Lunettes, Le chien en plâtre, La petite souris, Les culottes qui piquent, la Fraise du dentiste, Le pet). Mais souvenirs quelquefois fondateurs aussi (Museux, La libraire, Electricité, Pommes, Le résultat des courses, Le Docteur Arnold, Monsieur Ritter), qui font écrire à l’auteur ces mots, à propos, par exemple, de la tante Aurélie, « Sans le savoir, elle découpait des fenêtre d’azur dans mon esprit d’enfant », ou de mademoiselle de Saint-Martin, la libraire, « Chère demoiselle de Saint-Martin, je vous dois tant de choses que j’ose, aujourd’hui encore, vous croire vivante. […] Je continue d’espérer pouvoir vous rendre, un jour, le bonheur cueilli dans les livres que vous me permettiez d’aimer alors et qui ont encensé mon enfance d’un doux parfum d’aventure », ou encore à propos de monsieur Cauchois, l’instituteur, « C’était, chaque jour, le même miracle recommencé, la même tentation de décrocher du tableau noir le fruit de la connaissance et de l’aller manger, au fond d’une cour tapissée de cris et de jeux d’enfants, jusqu’à plus soif… ».

         Guirlande pour Marguerite et Jean, qui clôt l’ouvrage, est une émouvante suite de poèmes d’amour de l’auteur à sa mère, depuis cette figure d’une mère en gloire rayonnant sur les vitraux de la mémoire, « Fleur toujours épanouie / Fleur jamais fanée / Fleur dans la fleur de l’âge/ […] Maman / Marguerite / Reine /De cœur », jusqu’à cette quasi dernière image d’une vie qui n’en finit pas de glisser entre nos doigts, celle de cette femme que la raison a déserté, qui suit les couloirs blancs de cette maison de retraite où elle n’aspire plus qu’à disparaître : « Tu t’égares alors / Dans ces couloirs anonymes / En quête d’une sortie / Impossible à trouver / Ce labyrinthe est ta mémoire / Elle te trahit de plus en plus ».

         Vapeurs d’enfance est donc un livre qui, comme nous l’avons écrit plus haut, flirte avec le genre autobiographique sans vraiment s’y inscrire puisque, délaissant la chronologie, il privilégie la bribe, le fragment, l’épars, mais aussi le trait, l’éclat. Choix d’écriture qui relève d’un mode de penser particulier, et parfaitement assumé, puisqu’il suppose que l’on accepte d’oublier beaucoup pour mieux se souvenir de ce que la mémoire conserve de plus pertinent, que l’on accepte le discontinu de la vie comme elle va et l’imprévisible tracé graphique des sentiments. Ecrire de la sorte, c’est finalement moins parler de soi que parler à partir de soi, de ce qui nous est arrivé, de nos rencontres, de ce qui nous a faits tels que nous sommes aujourd’hui, de cela qui nous a jetés dans le muet du corps, intérieurs éclairés mais muets, et que nos pauvres mots seuls essaieront de restituer. C’est ce travail du choix des matériaux, de rabotage, de ponçage, d’ajustements divers, tout ce travail de « menuiserie » que Michel Lamart nous laisse deviner dans cet ouvrage et qui, en atteignant le ton de la plus exacte sincérité, fait tout le prix de ce « témoignage ».

Michel Diaz, 14/04/2024

        

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