Michel DIAZ, écrivain et poète
Interview par Clémence Prot, pour Signature Touraine (15/05/2020)
Question 1 :
Quand (quel âge) et pourquoi avez-vous commencé à écrire ?
Dès l’âge de 10 ou 12 ans. De la poésie, des histoires, sur des cahiers d’écolier, avec marges et carreaux. Pourquoi ?… Sait-on jamais pourquoi on écrit ? Je suppose que, dans mon cas, c’était pour essayer d’exister, me sentir exister un peu plus, en ayant quelque prise sur ce qui nous échappe, le monde, le temps, soi-même, tout cet inconnu qui nous cerne… Je pense que ces raisons d’écrire sont fondamentalement les mêmes chez moi aujourd’hui. Ce désir, qui peut être lié à un état névrotique, une difficulté d’adaptation à la vie, vient de très profond, il échappe lui-même aux mots. On peut l’analyse, le théoriser, cela n’explique pas tout. Le désir de création reste un mystère… existentiel même, je dirais. Il n’en demeure pas moins qu’il peut être vécu comme une fatalité (qui peut prendre la forme de la passion dévorante et exclusive, dévoratrice) s’il s’impose comme l’indispensable moyen de se sentir relié au monde et de s’y sentir exister. Mais « la passion », c’est aussi le chemin de croix du Christ. Il y a beaucoup de créateurs malheureux, embarrassés de cette pesante (parfois) nécessité de devoir créer pour vivre. Dans ce cas, le chemin sera long pour transformer cette « fatalité » en source de joie et de vie. Oui, le chemin de la création peut avoir quelque chose de « christique ». Souffrance et (éventuel) salut.
Question 2 :
Quelle place la lecture occupait-elle dans votre enfance ?
Une place relativement peu importante. Au désespoir de mon père. Je préférais le monde de mes rêveries, celui des jeux que je m’inventais, du bricolage (avions, bateaux, théâtre de marionnettes, instruments de musique, cirque en pâte à modeler, dessins, collages, essais d’écriture…) qui me permettait une plus grande évasion dans l’imaginaire. J’y étais plus « actif » que dans la lecture qui faisait de moi un garçon plus « passif », dépendant de l’imaginaire des autres. Ce besoin de « faire » de mes mains, et par moi-même, était sans doute une réponse à ce malaise existentiel que je viens d’évoquer.
Question 3 :
Avez-vous un « rituel » dans votre processus d’écriture ? (isolation, période d’incubation, noircir des pages puis faire le tri, être en ville ou à la campagne…)
Pendant tout le temps où j’ai enseigné, j’en étais réduit à écrire le soir, très tard, pendant les week-end ou les vacances scolaires. Je n’avais pas d’autre choix, et j’en ai beaucoup souffert. Aujourd’hui, et depuis des années, je marche dans la campagne plusieurs heures par jour. J’écris pendant ces longues balades, mon esprit marche avec mes jambes. J’ai fait mienne la phrase de Friedrich Nietzsche : » Aucune pensée ne vaut quelque chose si elle n’a pas été conçue en marchant ». L’écriture a toujours été pour moi quelque chose de physique, qui a à voir avec les rythmes du souffle, les pulsations cardiaques, les contractions de l’estomac et les spasmes de l’abdomen, avec le corps vivant autant qu’avec le pur intellect. J’ai aussi besoin de silence et de solitude. Je les remplis de mon monde intérieur, en harmonie avec le monde qui m’entoure, me nourrit et m’inspire. Il est vrai que l’écriture poétique, qui procède par impulsions (ces « états de grâce poétiques » comme disait Pierre Reverdy) s’accommode mieux de ce genre de démarche. Beaucoup de poètes procèdent d’ailleurs ainsi. « La marche est poésie et la poésie est marche » a écrit le poète Michel Deguy. Je ne supporterai plus de m’asseoir devant mon bureau, chaque jour, à heure régulière, pour réfléchir et remplir mon quota de pages. Je serais incapable d’aligner trois lignes, et si je les alignais, elles me sembleraient « fabriquées » parce qu’elles ne seraient pas passées par l’alambic du corps en mouvement, par ces émotions et ces élans que j’éprouve quand je sens mon corps vivant, debout, dans la verticalité de la marche. C’est ainsi que je vois l’homme d’ailleurs : debout, vertical, et en marche. Comme depuis ses origines. J’aime aussi beaucoup cette phrase de Gaston Bachelard : « S’arrêter, c’est mourir ».
Question 4 :
Avez-vous un remède contre le « syndrome de la page blanche » ?
Je n’ai plus de « syndrome de la page blanche ». Comme je viens de le dire, je marche, je me promène, je rêve, j’observe le monde, les arbres, le ciel, les oiseaux, les bords de rivière où je marche. Je ne fais rien, en un mot : je travaille. Si une idée, une phrase, des images, le désir d’écrire se présentent et se font pressants, j’écris, je tire le fil de la pensée, le croise avec un autre, je mets en route un texte, l’élabore comme un lissier. Si rien ne vient à mon esprit, ce n’est pas grave. Ce sera pour demain, plus tard, ou jamais peut-être. Je ne me fais plus aucune obligation d’écrire à tout prix. Si j’écris, c’est mu par le désir et le plaisir d’écrire, dans la jubilation des mots qui viennent sur la langue, du texte qui s’ébauche, dans le bonheur du « faire » au bout des doigts. Je sais que personne n’attend après mes textes comme à quelque chose d’essentiel à la marche du monde. Je n’ai rien à prouver, rien à livrer absolument, aucun compte à rendre, je me sens totalement libre d’écrire ou de ne pas écrire. Et d’écrire ce que je veux, comme je le veux, sans aucune contrainte. Si je ne peux vivre sans écrire, je refuse pourtant de me rendre esclave de sa nécessité (qui fait des écrivains souffrant justement de « la page blanche »)… La question de la publication viendra plus tard, en temps utile, le désir /besoin d’écrire ne doit pas en dépendre. Pour moi, l’écriture est un chemin de vie, d’accomplissement de soi, et ne répond pas à la volonté de faire des livres qui porteront mon nom. S’ils trouvent un éditeur et des lecteurs, tant mieux, je m’en réjouis, mais ce qui importe avant tout, pour moi, c’est le chemin d’homme que j’y ouvre. Je ne me soucie pas d’y laisser quelque trace. J’essaie d’avancer, pour le pas toujours à venir.
Question 5 :
Quand avez-vous publié votre premier livre (quel âge) et dans quel contexte ? (Notamment professionnel : aviez-vous ou avez-vous encore un autre métier à côté ?)
Mon premier livre publié (j’avais 24 ou 25 ans) était un recueil de poèmes. Il a été publié par l’éditeur Pierre-Jean Oswald qui, à l’époque, publiait de la poésie contemporaine (française et étrangère) de grande qualité. C’était alors un éditeur de renom. J’étais très content d’entrer dans son catalogue, aux côtés de poètes dont j’aimais beaucoup le travail. Tout de suite après, P.-J. Oswald a publié ma première « vraie » pièce de théâtre. Cette pièce aurait dû être publiée chez Stock, et Lucien Attoun, qui s’occupait alors de la collection « Théâtre ouvert », m’avait demandé de lui apporter des modifications. Mais il s’est heurté à mon amour-propre de jeune auteur (de jeune imbécile !) et j’ai refusé de faire ces corrections.
Question 6 :
Diriez-vous qu’avoir déjà été publié facilite ou complique les choses ? (Attentes des lecteurs, pression de l’éditeur, nouvelles idées, etc)
Cela ne complique en rien les choses, mais cela ne les facilite pas nécessairement. Les éditeurs ont des lignes éditoriales qu’ils ont définies et auxquelles ils tiennent. Avoir déjà publié ne signifie rien. Ce que les éditeurs veulent, c’est un texte de qualité qui entre dans leur ligne éditoriale. J’ai essuyé des refus d’éditeurs chez qui j’avais déjà publié un ou plusieurs livres. Le manuscrit que je leur proposais ne correspondait pas à leur attente. Croire qu’on aura plus de facilité à publier parce qu’on a déjà publié, est une vue de l’esprit assez naïve. Chaque projet de publication est une nouvelle aventure qui remet les compteurs à zéro, à moins d’être un auteur très médiatisé qui va occuper les présentoirs et les vitrines des libraires.
Question 7 :
Comment vous sentez-vous avant de publier un livre ? (stressé des attentes du public, impatient, très zen, confiant.. etc.)
Avant de publier un livre, je l’ai fait lire à un éditeur qui l’a accepté, avec qui j’ai eu des échanges, qui l’a fait lire à son comité de lecture, qui m’a demandé de faire des corrections. Je suis donc plutôt confiant et je sais être patient. Parfois, il faut attendre un an ou deux (ou plus !) avant que le livre paraisse : l’éditeur doit respecter son calendrier de publications. Je suis d’autant plus serein quand je sais que l’éditeur ou l’éditrice est exigeant(e), que j’ai noué avec lui, ou elle, des relations de confiance, voire d’amitié. Quant aux réactions du public des lecteurs, on n’en sait rien à l’avance. Personne n’en sait rien. Il faut rester humble, ne pas se dire que l’on a écrit un chef-d’œuvre que tout le monde va s’arracher et dont tout le monde va parler. Attendre les réactions des lecteurs, c’est s’aliéner à une attente souvent stérile. La récompense viendra de quelques-uns qui auront été touchés, et qui sauront le dire, même en quelques mots, même si ces mots sont maladroits.
Question 8 :
Qui est votre auteur préféré ? Votre livre préféré ? (2 réponses possibles)
Il m’est impossible de répondre à cette question ! L’histoire de la littérature est un continuum, jalonné d’œuvres majeures inscrites dans la mémoire de nos cultures. De L’Odyssée d’Homère, à La Divine comédie de Dante, au Don Quichotte de Cervantès, il y a tant de chefs d’oeuvre, Villon, Rabelais, et tant d’autres après, qui jalonnent tous les siècles… J’aime beaucoup la littérature russe, Tchékhov, Gogol, et américaine, Faulkner, Charles d’Ambrosio. J’ai beaucoup d’admiration pour les nouvelles de Kafka et les écrits « solaires » de Camus, des monuments pour moi, comme l’oeuvre de Samuel Beckett. La nouvelle « Un cœur simple » de Flaubert tient aussi une grande place dans mon Panthéon. Mais je lis surtout de la poésie contemporaine. Saint-John Perse et Pierre Reverdy, désormais des « classiques ». Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Jacques Dupin, Bernard Noël, Michel Butor, par exemple encore, parmi les plus connus, des incontournables. Mais Adonis encore, Salah Stétié, Vénus Kouri Ghata. Le paysage de la poésie contemporaine est foisonnant, d’une incroyable richesse, et je vous cite encore ces quelques noms, en vrac : Jacques Réda, Pierre Dhainaut, Jean-Louis Bernard, Bernard Fournier, Michel Passelergue, Jacques ancet, Eric Barbier, Léon Bralda, Silvaine Arabo, Gilles Lades, Alain Freixe, Jean-Paul Bota, il y en a beaucoup d’autres, peu connus du grand public, ou totalement ignorés de lui, mais dont l’oeuvre est remarquable et me procure de grands enchantements de lecture.
Question 9 :
Depuis quand adhérez-vous à l’association Signature Touraine ?
Depuis la création de l’association.
PORTRAIT CHINOIS :
Répondez honnêtement, par un seul mot, et avec celui qui vous vient en premier à l’esprit !
- Si vous étiez un Objet ? Un arbre. Un vieil olivier au tronc tourmenté. Mais un arbre n’est pas un objet, c’est un être qui appartient à la grande famille des vivants. S’il vous faut un objet, je dirais une pierre, une de ces pierres des murets en pierres sèches qui délimitent les parcs à moutons dans les causses du Larzac, par exemple.
- Si vous étiez un Animal Mythologique ? Le Phénix, qui renaît toujours de ses cendres.
- Si vous étiez une Époque ? Les années cinquante à soixante-dix. Ce sont des années d’une intense créativité et inventivité (jamais égalée depuis) dans les tous les domaines de la création, de la pensée, des sciences humaines. Je ne développerai pas, il me faudrait une page entière.
- Si vous étiez un Mot ? Désir.
- Si vous étiez un Livre ? Le prochain, pour essayer de continuer à exister intensément.
- Si vous étiez un Personnage Littéraire ? L’étranger du poème de Baudelaire : « J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! ».
- Si vous étiez un Art ? La poésie. Éventuellement l’aquarelle, pour son côté liquide et assez imprévisible. Mais toute forme d’expression artistique, si elle est profonde, se rattache pour moi à la poésie, qui n’est pas l’apanage des seuls mots.
- Si vous étiez un « Diner de Rêve », vous le passeriez en compagnie de ? Ma compagne et mon fils, dans une gargote au bord de l’eau.