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Shitao et Cézanne, une même expérience spirituelle – Charles Juliet

Shitao & CézanneSHITAO ET CEZANNE,
une même expérience spirituelle

Charles Juliet – Editions L’Echoppe (2003)

Ce texte est l’un des éléments d’un colloque qui s’est tenu à Aix-en-Provence les 10 et 11 juillet 2002 pour marquer le centième anniversaire de la construction de l’atelier de Cézanne, Chemin des Lauves.

« Ecrire un texte sur Cézanne, déclare d’emblée Charles Juliet, est une tâche ardue. » Et on veut bien le croire : tant d’études et tant d’essais consacrés à l’homme et à l’œuvre, au cours des précédentes décennies, rendent la tâche difficile si l’on ne veut pas répéter ce qui a déjà été dit. Aussi, pour essayer de contourner cette difficulté, Charles Juliet va-t-il centrer son exposé sur l’aventure spirituelle de Cézanne. Et pour cela, ajoute-t-il, « il m’a paru intéressant de montrer qu’elle était assez semblable, dans son essence, à celle qu’a vécue Shitao, un peintre chinois du dix-septième siècle. »

Shitao, apprend-on, a vécu de 1642 à 1707. Sans nous attarder sur les détails de sa biographie (le massacre de sa famille, de sang royal, en une période de troubles politiques, les fractures psychiques et leurs séquelles provoquées par de tels événements sur un enfant de trois ans), nous nous contenterons de dire que Shitao, après avoir été sauvé de la mort par un serviteur, fut placé dans un monastère où il fut initié au Bouddhisme t’chan et très tôt remarqué pour ses dons pour le dessin et la peinture. Plus loin dans son texte, Ch. Juliet nous apprend encore que l’œuvre de cet artiste, « extrêmement audacieuse, d’une étonnante diversité, est pourtant d’une incontestable unité », et qu’ayant tout expérimenté et tout osé « ses œuvres sont d’une variété et d’une liberté de style sans exemple. »

C’est par cette audace, cette unité, par cette liberté de style, fruit d’une constante recherche et d’une opiniâtre expérimentation des moyens de son art, que « tout comme celle de Cézanne en France, son œuvre a créé une rupture et marqué l’histoire de la peinture chinoise. » Après elle, ajoute encore Ch. Juliet, comme après celle de Cézanne, il ne fut plus possible de peintre comme avant.

Dans la suite de son exposé, Ch. Juliet développe le parallèle qu’il a, dès le départ, établi entre l’expérience spirituelle des deux artistes. Ainsi, écrit-il, si selon Shitao « la peinture émane du cœur », ce foyer des puissances de l’être, et si elle est le fruit de son activité spirituelle tout autant qu’intellectuelle, il faut également considérer que « si l’œuvre de Cézanne est si importante, si elle nous parle à ce point, c’est parce qu’elle est descendue dans ses racines et qu’il a peint à partir de ses racines. » De même, poursuit-il, si « Shitao parlait de « la Suprême Simplicité », Cézanne déclarait, quant à lui : « Je veux être simple. Ceux qui savent sont simples. » Et Ch. Juliet d’ajouter à ces mots du peintre : « ceux qui ont parcouru le long chemin de la connaissance de soi sont évidemment simples. Ils sont aussi humbles et sereins. Ils se sont décompliqués, dépouillé de leur égocentrisme, ils ont dépassé les conflits qui les entravaient, et ainsi, ils ont accédé à cette simplicité d’être qui va de pair avec l’acquiescement à soi-même. » Mais l’autre condition pour atteindre l’essence des choses, descendre au plus profond de ce qu’exige la démarche créatrice, c’est, nous dit-il encore, pour Shitao, comme pour Cézanne, la nécessité absolue d’être vrai, car « on ne peut toucher à la profondeur sans toucher à la vérité. »
Mais laissons la parole à Ch. Juliet qui termine ainsi son intervention :

« Etre vrai – vrai dans toutes les phases de son travail, donc être vrai en lui-même, vrai avec lui-même – a été l’obsession de Cézanne. Et c’est cette authenticité qui confère à son œuvre cette si forte présence, cette tranquille autorité. Sans que nous nous en rendions compte, quand nous regardons une toile de Cézanne, nous subissons l’effet de cette authenticité, la force de conviction d’une œuvre dans laquelle le peintre s’est investi avec la totalité de son être.

« L’homme de bien œuvre en lui-même sans relâche », nous rappelle Shitao citant Le Livre des Mutations, l’ouvrage le plus ancien de la littérature chinoise. De même le peintre doit sans trêve œuvrer en lui-même. Œuvrer à s’intensifier, s’affiner, aller toujours plus avant dans sa quête de lui-même, de l’Un, de cela à quoi l’être humain aspire et qu’il ne saurait nommer.
Cézanne ne cessait de répéter : « Il faut travailler, il faut travailler. » On peut prolonger sa pensée en ajoutant : travailler sur la toile pour travailler en lui-même. Pour être toujours plus libre, plus vaste, plus riche, mieux armé, mieux centré. Pour vivre dans une croissante intimité avec lui-même. Pour s’approcher davantage de cet absolu continûment et douloureusement poursuivi. Pour vivre à la pointe de lui-même, et dans une tension extrême, capter et figurer l’infiniment subtil. »

Ce texte, dans lequel Ch. Juliet s’applique à recouper les réflexions de Shitao et de Cézanne, renvoie ces deux artistes à une même expérience. C’est-à-dire à une démarche de créateurs exigeants, passionnés, dont la vie se confond avec l’œuvre. Et ce qui vaut dans l’œuvre, dans toute œuvre qui se propose d’intensifier non seulement notre rapport au monde mais encore à nous-mêmes, est ce qui nous élève, nous grandit et, en nous arrachant au temps, nous donne accès à ce qui, dans l’esprit, appartient à l’impérissable.

Michel Diaz. 04/03/2016

Vendredi 10 Octobre – Vernissage à La Boite Noire. Dédicace le Samedi 11.

Affiche Expo Bouro

Vendredi 10 Octobre – 18h00

Vernissage de « Au coeur de la matière » exposition du peintre Laurent Bouro.
Avec présentation de « Sans Titre 2 (Approches du visage)» livre de Michel Diaz et Laurent Bouro.

Après-midi dédicace Samedi 11 Octobre de 16H à 18H
Lecture de Michel Diaz à 18h00.

Exposition 10 Octobre au 1er Novembre 2014
Ouvertures : du mercredi au samedi de 11h à 19h

LA BOITE NOIRE
Espace de Créations Contemporaines
59, rue du Grand Marché, 37000 TOURS

Sans Titres 2

Autour de quelques tableaux de Thierry Dussac – Sept 2014

Thierry Dussac affiche

A propos de l’exposition de Thierry Dussac à La Guerche en septembre-octobre 2014

[Les mots qui suivent, fruit de ma lecture personnelle de ces œuvres, qui n’engage par conséquent que moi seul et ma propre subjectivité, ne concernent essentiellement que les tableaux si percutants/bouleversants qui représentent des fœtus humains.]

 

petit être

non advenu
promis au n’être-pas
tas de viscères en bataille

apparu un instant
sur le théâtre de la toile
émergé du néant informe où il est déjà retourné

ces coulisses de l’avant-monde
qui toujours prétendra l’ignorer

le voici

entre cri de détresse et rire d’infortune,
comme un éclair sans suite dans la nuit
avant de disparaître du décor

petit être non-né

sans visage ni nom

à peine yeux et bouche
et corps et membres à peine

si peu, et insuffisamment
pour craindre et espérer

le voici, petit être

exposé dans sa mort encore fraîche, fruit d’une étreinte hâtive de cellules (qu’on imagine commandée par des doigts de latex )
yeux clos, scellés sur son retrait, sans visage ni nom, regard cristallisé sous la peau diaphane de ses paupières,
qu’on devine s’ouvrant là-bas sur un ici qui n’est rien qu’un ailleurs sans date ni mémoire et ne répondant à rien d’autre qu’à l’appel insondable du vide

le voici

dérivant dans sa mort immortelle, béatitude indifférente, corps aboli privé de sens, éclairé d’un jour minéral

trois gouttes de lumière froide et impalpable – clarté taillée à pic environnée d’immense solitude

mais visage donné à voir,
qui vient du fond des temps contre le mien
le voici suspendu dans sa halte terrible, l’excès inattendu de sa présence, son inaccessible proximité, surnageant dans les eaux primordiales et dans sa configuration inaccomplie,
naufragé au cœur de ses limbes (habitant ce foyer de silence comme un rêve au bord des paupières, un mot juste posé sur le bout de la langue, blanc d’une phrase inachevée )

marée d’effroi,

sollicitude étrange
que je psalmodie seul
le temps l’héberge maintenant dans sa trouée obscure, rature désolée d’une douleur sans nom,
prisonnier des lacets de fer de la profanation qui tenaillent toute parole d’hommage feint
ou de pitié
mon injonction absurde est de baisser les yeux
comme on veut ramper sur le sable

mais un rideau se lève comme fait la pensée rêveuse, sur une terre aride, à la marge du puits
(grincement dans les gonds du langage qui tenterait de dire comment l’Homme se lave les mains dans la cendre froide de toute passion

celle d’abord de les salir aux entrailles sanglantes du monde et au noir incendie de sa destruction, sacrifiant à la loi du nombre et aux yeux grand ouverts de la foule sur ses désirs )

maintenant le rideau se lève sur les tremblements du corps et de l’âme, sur cette angoisse acide et trouble

ces heurts indescriptibles de l’esprit où s’avance l’Homme à tâtons, écoutant craquer tous ses os, comme pris dans les nœuds de ses propres ténèbres, seulement éclairé de l’éclat du malheur

les yeux noirs de l’obscurité qui y règne
au plus fort de la nuit comme du jour

entendez-vous
comme moi je l’entends
quand la guerre étrangle le monde ?
le choc des armes arrache encore des éclairs à la peur, des étincelles tristes à la nuit, une plainte, un gémissement aux bouches meurtries
mais le futur est une ville en ruines aux pierres consumées, rien qu’une Babylone aux terrasses détruites, aux jardins dévastés

te voilà exposé disais-je, parade de nos épouvantes, syllabe sans consonne ni voyelle, dans l’insoutenable énoncé de tout nom
comme tas de matière première, corvéable à merci et vendue aux marchands d’éternelle jeunesse,
viande promise d’animal humain aux épiciers d’organes toujours neufs, aux boutiquiers de l’immortalité,
aux étals de tous nos caprices, aux banquets foisonnants de la faim, au jet de sang de toutes les révoltes,
à la multitude féroce des yeux immenses mais somnolents qui ne voient pas venir la fin d’un monde qui trébuche en bordure d’abîme et vacille dans sa folie

à travers tes paupières mi-closes, tu regardes à perte de ciel, comme un devin le scrute, comme éclat de roche céleste qui cingle aveugle vers le cri, morceau d’étoile qui scintille dans le trou béant du cratère, son lac de bave pétrifiée
blessure clignotante et pareille à un astre de glace, tu me contemples au fond des yeux de ton premier regard

et ton regard se prend au mien, maintenant suspendu comme à la lune qui suspend la voûte de la mer et avec moi tout l’univers que tu prends à témoin

dans ton œil maintenant grand ouvert,
l’écume des questions chante le chant de la nuit qui va toujours s’épaississant et qui sans doute aura raison de nous

tu es
je suis
voilà

la vie passe et repasse là où il n’y avait rien,
et moi-même comment me garder de la mort ?

dors, petit être,
dans le si lent amour, dans la grâce des choses qui si bien se complètent
je t’imagine vivre de la vie des feuilles, des herbes familières, des grands trains dans la brume, des couleurs éclatantes, du bonheur subtil de l’oiseau ou du chuchotis d’un ruisseau,
parmi les formes balsamiques de l’illusion, les cailloux d’ambre et de silex,
toujours dans le mystère étonnamment

peut-on rêver plus belle sépulture ?
car il se peut que ce qui semble ne pas exister soit la seule véritable existence,
il se peut qu’ici rien ne soit réel

rien ne subsistera sans doute que la Terre, mère éternellement vierge

les fleuves incessants, vie et mort en maraude parmi les arbres et les herbes où les oiseaux sauvages déposeront leur œufs, et dans l’air dards et ailes bourdonnantes à la lumière intacte du soleil

la lumière obscure du sens
que tu pourras fixer, yeux dans les yeux,
sans cligner un instant des paupières

dors, petit être,

le vent le sait qui passe,
et le chemin aussi qui tourne et fuit
rien ne subsistera,
dans les siècles des siècles,
que ton absence et sa transparence d’agate pure

au midi recueilli de l’oubli

et la paix du temps sans limite

12-17 Septembre 2014

Thierry Dussac portrait-Photo-Thierry Borredon

 

Château de La Guerche : Lectures les dimanches 14 et 21 septembre 2014 à 17 heures

Arts à la Guerche

A l’occasion de l’exposition à La Guerche qui accueille aussi des peintures de Laurent Bouro,
je ferai lecture des textes contenus dans le livre d’art SANS TITRE 2 (illustré de peintures de L. Bouro)
sous-titré « Approches du visage », qui vient de paraître aux éditions Label-Martin Decrouy.

Ces lectures auront lieu les dimanches 14 et 21 septembre à 17 heures.

J’espère avoir le plaisir de vous retrouver en cette occasion.

Laurent Bouro
– Visage : Laurent Bouro.