MICHEL DIAZ, Quelque part la lumière pleut, Éditions Alcyone 20 €
Note de lecture publiée in Diérèse N° 84
Il y a parfois des ouvrages dont l’abrupt, comme une haute falaise à escalader, inciterait à rebrousser chemin, surtout lorsque « le soleil noir de la mélancolie » (Nerval) pèse lourdement sur les têtes – cette falaise qui est en apparence un monde sombre ayant semble-t-il perdu toute raison…et les événements qui assaillent l’époque le prouvent cruellement, jusqu’à laisser pressentir maints désastres.
Dans une telle affaire, on est en droit de se demander ce que vient faire un recueil de poèmes tandis qu’effectivement tout le monde se veut occupé (et pour cause, l’agitation de l’utilitaire, la primauté du consumérisme, le quant à soi). Eh bien justement !
Voici que Michel Diaz, en « guetteur », offre d’un grand souffle « jusqu’à l’usure du cœur » un regard mesuré sur l’histoire réfléchie de quelques mois (janvier-mai 2020). Il propose de nourrir une réflexion (« ce que l’on écoute, c’est ce que nous révèle une urgence de l’âme dans l’instant mis à nu ») car la fuite de la raison évoquée dans les lignes précédentes fait « nos saisons, chaque jour, un peu moins habitables et la mort un peu plus béante ».
L’auteur lance un cri du cœur, parce que souffrant, au sujet du dépit du monde « toujours en guerre contre les vivants et contre la vie elle-même ». Pour exemple, la pandémie avec ses affres s’incruste là, les distances s’instaurent, les blessures se répandent : « je la regardais s’en aller » « mourir d’une lente et vaste solitude ». Pages poignantes, entre autres, dédiées à la maman du poète qui ne veut pourtant pas céder « aux appels des sombres nostalgies ». Oui, Michel Diaz, en habitué de la voix des oiseaux, d’un fleurissement de vignes, du lent mouvement de l’herbe fraîche, sait voir et assumer la face escarpée du réel de la condition humaine et il choisit, par la grâce de se sentir vivant (mais toujours au prix du doute), de franchir le tumulte des agonies afin de « s’essayer à vivre plus loin ».
C’est la musique de Verlaine qui murmure avec l’éclaircie entraperçue : l’espoir luit, certes minuscule, mais sagement avec la vertu de la poésie qui sait s’arrêter pour voir et comprendre, toucher, entendre le vrai secret donnant à la femme, à l’homme, ce qu’elle révèle « avoir compris de l’enfance du vent » et permettre de faire « l’inépuisable éloge des eaux vives ». Intuition ou révélation émanant de la simple réalité des choses et des événements où quiconque peut retrouver son chemin « pour l’unique bonheur de [se] sentir vivant » tout en apprenant peut-être à exister de peu.
Cela incite le poète à s’inscrire dans un présent à construire en futur proche : « Tout est devant » mais avec cette clef qui ouvre le mystère que le poème sait porter pour aller effleurer un horizon créateur de sens « ce si peu sur la terre des jours – tendre vers la beauté, la musique des mots et des formes, vers cela seulement, l’évidence dans l’incertain, cela qui donne raison d’être à l’être ».
Voilà bien un itinéraire à emprunter. Bien sûr « Quelque part la lumière pleut » ! Elle rejoint cette confiance affichée par Ilarie Voronca (1903-1946) alors qu’il devait fuir en 1933 l’enfer balkanique : « Rien n’obscurcira la beauté de ce monde ».
Jean-Pierre Boulic